Lutte contre la radicalisation, tensions accrues dans les prisons, fronde des syndicats de surveillants, le tout sur fond de préparation budgétaire et de campagne électorale… Deux ans après l’adoption de la loi « Taubira » du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales, le contexte est propice à la relance du débat sur la politique pénale et carcérale. D’autant que le ministre de la Justice a, le 20 septembre en rendant public son rapport sur l’encellulement individuel – un principe dont l’application fait l’objet de moratoires successifs –, exposé ses intentions en matière de construction de places de prisons. Et ainsi confirmé les orientations dévoilées quelques jours plus tôt par le Premier ministre. Selon Jean-Jacques Urvoas, pour permettre à 80 % des détenus d’avoir une cellule individuelle – pour favoriser la réinsertion mais aussi pour adapter les conditions de détention à la lutte contre le terrorisme –, il faut construire d’ici à 2025 entre 10 000 et 16 000 cellules (voir ce numéro, page 5). Ce qui nécessiterait un engagement budgétaire compris entre 1 et 2,5 milliards d’euros.
« Une politique qui mène droit dans le mur », ont contesté le 20 septembre une vingtaine d’organisations aux champs d’intervention divers, dont l’Association nationale des juges de l’application des peines, Avocats pour la défense des droits des détenus, la CGT-Insertion Probation, Citoyens et Justice, Emmaüs-France, l’Observatoire international des prisons, le Secours catholique, le Snepap-FSU ou le Syndicat de la magistrature. A l’appui de leur démonstration : le nombre de personnes détenues en juillet dernier – 69 375(1) –, soit un record historique et un taux d’occupation de plus de 150 %. L’augmentation du parc pénitentiaire est une réponse « inopérante, que ce soit pour endiguer la surpopulation carcérale ou pour réduire la récidive », considèrent les organisations dans un texte commun, rappelant que « depuis 25 ans, près de 30 000 places de prison ont été construites, un effort immobilier inédit entraînant une hausse de 60 % du parc pénitentiaire ». Les signataires dénoncent des politiques pénales qui se sont concrétisées « par l’allongement de la durée moyenne de détention et par une incarcération massive pour des petits délits, avec une augmentation de plus de 33 % du nombre de détenus condamnés à des peines de moins de un an de prison en cinq ans ».
Les organisations arguent par ailleurs que la prison « produit ce qu’elle entend combattre : elle aggrave l’ensemble des facteurs de délinquance en fragilisant les liens familiaux, sociaux ou professionnels, favorise les fréquentations criminogènes et n’offre qu’une prise en charge lacunaire – voire inexistante – face aux nombreuses problématiques rencontrées par la population carcérale en matière d’addictions, de troubles psychiatriques, d’éducation, de logement, d’emploi, etc. » Conséquence, poursuivent-elles : « 61 % des personnes condamnées à une peine de prison ferme sont réincarcérées dans les cinq ans. Des chiffres qui tombent à 34 et 32 % pour une peine alternative à la prison comme le travail d’intérêt général ou le sursis avec mise à l’épreuve. » Dans le même temps, « les moyens manquent cruellement aux personnels et aux structures qui assurent l’accompagnement socio-éducatif et l’hébergement des sortants de prison et personnes condamnées en milieu ouvert ». Au final, les organisations demandent, pour lutter contre l’inflation de la population carcérale, « une politique pénale humaniste » se traduisant par un plan d’action « ambitieux, et audacieux, visant à investir massivement dans la prévention, l’accompagnement et le suivi en milieu ouvert ».
Rappelant que l’évolution de la population emprisonnée (on est passé de 78 à 101 détenus pour 100 000 habitants en un quart de siècle) n’est pas corrélée à celle de la délinquance, elles mettent en évidence que l’augmentation du nombre de détenus suit en revanche celle du nombre de places. « Plus on construit des places de prison, plus elles sont remplies », a pour sa part estimé Adeline Hazan, contrôleure générale des lieux de privation de liberté, le 20 septembre sur France Inter. En août dernier, le chercheur Pierre Victor Tournier dressait, dans une note de l’Observatoire de la privation de liberté et des sanctions et mesures appliquées dans la communauté (Opale), un bilan chiffré de la contrainte pénale, sanction appliquée en milieu ouvert créée par la loi du 15 août 2014 et qui peut être prononcée à l’encontre des auteurs de délits susceptibles d’être sanctionnés d’une peine de cinq ans d’emprisonnement ou moins. « Au cours du premier semestre 2016, 716 contraintes pénales ont été prononcées par les juridictions, relevait-il. Sur la même période, on peut estimer à 138 900 le nombre de peines d’emprisonnement prononcées en matière correctionnelle »,dont 47 500 peines fermes. Le chercheur relevait néanmoins que le nombre de contraintes pénales prononcées était en augmentation.
De son côté, la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale demande au gouvernement d’intégrer à son plan d’action les dispositions de la réforme pénale de 2014 « visant à favoriser l’accompagnement social, la préparation à la sortie, le développement des alternatives à l’incarcération (contrainte pénale, placement extérieur, travail d’intérêt général…) ». Elle préconise aussi que « l’accès à l’emploi pendant et à la sortie de détention devienne une priorité nationale, avec l’accès à un contrat de travail et au droit à la formation pour les personnes détenues, préparant leur insertion dans le monde du travail ». Un bilan de la loi « Taubira » devrait être prochainement remis au Parlement.
(1) 68 819 au 1er août.