« Aujourd’hui, nous sommes inquiets. » Alors que la campagne pour l’élection présidentielle s’amorce sur des sujets avant tout sécuritaires, Patrick Doutreligne, le président de l’Union nationale interfédérale des œuvres et organismes privés non lucratifs sanitaires et sociaux (Uniopss), s’est montré, lors de la conférence de rentrée sociale de l’union, le 20 septembre(1), préoccupé par la « radicalisation » des discours. Et par la place que réussiront à occuper les politiques de solidarité dans les débats. L’enjeu de l’élection présidentielle « risque de porter sur des changements sociaux et pas sur des réajustements », analyse-t-il. Ce qui confirme l’Uniopss dans sa volonté de changer elle-même de stratégie de campagne. Au lieu d’un catalogue de revendications, parfois reprises, tantôt rabotées dans les programmes, souvent amoindries par la moulinette budgétaire, c’est un « modèle de société » que veut défendre l’organisation face à « la montée des inégalités », aux « risques de fractures et de repli sur soi », à « la défiance croissante vis-à-vis des pouvoirs publics et des institutions »,ou encore aux « confusions volontaires ou manœuvrées entre assistance et assistanat ».
En attendant la présentation de ce travail prospectif, c’est, sur le front des sujets sociaux et médico-sociaux, un bilan en demi-teinte du quinquennat qu’a dressé Patrick Doutreligne. Une mandature « marquée par une production législative importante, souvent avec un décalage entre les ambitions et la mise en œuvre » et un défaut de cohérence, comme en témoignent les déceptions sur la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement (ASV). Les insuffisances budgétaires ne sont pas les seules en cause. « On n’a jamais eu autant de lois nécessitant autant de décrets d’application », a souligné Patrick Doutreligne, selon qui pas moins d’un millier de décrets n’est pas encore paru, tous textes confondus résultant de cinq années législatives, dont « 200 décrets sur la loi “ASV” » et une petite centaine découlant de la loi pour l’accès au logement et un urbanisme rénové. Tous n’empêchent pas les textes d’être appliqués, « mais d’un point de vue démocratique, c’est préoccupant », fait valoir le président de l’Uniopss. Tout comme l’est « l’aspect différé » des réformes, à l’instar de la généralisation du tiers payant, applicable à tous les patients en 2018. Difficile de ne pas y voir « une porte ouverte à des modifications en cas d’alternance politique ».
Dans un contexte budgétaire contraint et de réduction des dotations aux collectivités, la répercussion du « mieux » affiché par les indices de conjoncture économique « n’est pas sensible dans notre secteur », a relevé le président de l’Uniopss, rappelant que la prévention dans son ensemble est particulièrement touchée, mais également l’aide à domicile – « comme en Normandie où, en trois mois, deux associations ont dû fermer leurs portes » –, voire tous les secteurs du social et du médico-social dans certains départements.
Si le secteur associatif continue deprospérer en nombre de salariés, il « stagne en termes de masse salariale », tempère Patrick Doutreligne. Non sans souligner quelques grands écarts entre la volonté de l’Etat de soutenir le secteur et les orientations qui le soumettent à la concurrence ou le restreignent dans ses marges de manœuvre : appels à projets, « CPOM [contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens] imposés », reconnaissance d’un secteur à « but lucratif limité » qui, dans les services à la personne, fait de l’ombre aux associations, exclusion du crédit d’impôt compétitivité emploi, sujet sur lequel les associations attendent encore une solution qui soit à la hauteur de la compensation espérée. « La mise en place de la loi travail va peser sur notre secteur », notamment par l’application de la primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, qui risque encore de favoriser la recherche du moins-disant, a encore pointé le président de l’Uniopss, évoquant des discussions avec l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) sur le sujet. Autre paradoxe, a pointé Morgane Dor, conseillère technique « Europe et vie associative » de l’Uniopss : « L’institutionnalisation de l’engagement par des dispositifs étatiques », alors que les subventions à la vie associative diminuent.
En matière de réduction de la pauvreté, les statistiques ne sont pas favorables : selon l’INSEE, le taux de pauvreté stagne à 14 %, les inégalités ont cessé de se réduire et l’intensité de la pauvreté s’accroît(2). « Le plan quinquennal de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale, qui était un engagement courageux du président, a été tenu et est sur la bonne voie », accorde Patrick Doutreligne. Echec persistant néanmoins, la territorialisation défaillante du plan, ce qui entraîne des disparités en matière d’accès aux droits ou d’hébergement et de logement. Certes, Manuel Valls a, par voie de circulaire en juillet dernier, demandé aux préfets de renforcer la mobilisation des territoires(3). « Nous avons longtemps attendu cette instruction. Elle arrive tard et il me semble que le Premier ministre sait être plus ferme sur d’autres sujets », tance le président de l’Uniopss.
Restent quelques chantiers à boucler avant la fin de la mandature. Dont l’adoption du projet de loi « égalité et citoyenneté », examiné au Sénat à partir du 4 octobre, en procédure accélérée, après son adoption en juillet à l’Assemblée nationale. La commission spéciale du Sénat a remis en cause plusieurs dispositions importantes du texte, visant à favoriser la mixité sociale – « celle que l’Uniopss défend, qui vise à permettre aux plus modestes d’accéder aux logements habituellement occupés par les personnes plus aisées qu’elles », a souligné Jeanne Dietrich, conseillère technique « emploi-logement » à l’union –, à renforcer l’application de la loi SRU ou à améliorer l’accueil et le statut des gens du voyage. Outre qu’elle espère le rétablissement, par l’Assemblée nationale, des articles retoqués, l’Uniopss a proposé de nouveaux amendements, en lien avec le Collectif des associations unies. L’un a pour objectif de mobiliser davantage le parc privé là où le nombre de logements sociaux est insuffisant, l’autre d’obliger les communes qui n’ont pas assez construit de logements locatifs sociaux à programmer 50 % de PLAI (prêts locatifs aidés d’intégration), au lieu de 30 % actuellement. L’union porte également des propositions pour garantir le respect des droits fondamentaux des personnes menacées d’expulsion. Pourrait là encore sortir du Parlement un texte touffu, dont les avancées dépendront de sa mise en œuvre concrète et de son appropriation dans les territoires.
(1) A cette occasion a été rendu public son document « Rentrée sociale des associations sanitaires, sociales et médico-sociales – Enjeux politiques et budgets prévisionnels 2017 » – Septembre 2016 – 48 €.