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Jean-Jacques Urvoas dévoile ses propositions pour désengorger les prisons

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Pour le garde des Sceaux, il faut construire entre 10 000 et 16 000 places, tout en garantissant l’encellulement individuel. Mais il préconise aussi de recourir plus souvent aux alternatives à l’incarcération et aux aménagements de peine. Autre priorité : mieux occuper les détenus.

Son rapport au Parlement sur les moyens de régler le problème de la surpopulation carcérale était très attendu, et c’est le 20 septembre que le garde des Sceaux l’a enfin dévoilé en direct du centre pénitentiaire de Fresnes (Val-de-Marne). Au 1er août dernier, on dénombrait 68 819 détenus pour 58 507 places de prison, la surpopulation concernant surtout les maisons d’arrêt(1). Parmi ces détenus, seuls 26 829 bénéficiaient d’une cellule individuelle, un autre défi à relever pour la chancellerie. Rappelons en effet que, faute de pouvoir respecter le principe de l’encellulement individuel dans les maisons d’arrêt – un principe inscrit dans la loi depuis 1875 et réaffirmé par la loi pénitentiaire du 24 novembre 2009(2) –, le gouvernement a dû cette année-là faire voter un énième moratoire permettant d’y déroger jusqu’à la fin 2019. Dans son rapport, Jean-Jacques Urvoas dresse le bilan des actions menées pour désengorger les prisons et respecter l’objectif d’encellulement individuel, et remet sur le tapis des solutions maintes fois évoquées.

Créer entre 10 000 et 16 000 places en maison d’arrêt

L’équation est simple : pour pouvoir respecter le principe de l’encellulement individuel, il faut en finir avec la surpopulation carcérale qui, selon le garde des Sceaux, s’explique par la suppression des lois d’amnistie et le durcissement de la législation pénale qui a entraîné l’augmentation du nombre de peines d’emprisonnement, en particulier les peines d’emprisonnement ferme, passé de 252 201 (dont 96 399 « ferme ») en 2002 à 276 806 (dont 122 658 « ferme ») en 2014. Il y a au final une « “dé-corrélation” […] entre l’évolution de la population pénale et celle des capacités carcérales », reconnaît Jean-Jacques Urvoas, ce qui « rend toujours plus lointain l’objectif d’encellulement individuel ». La surpopulation concerne avant tout les maisons d’arrêt qui, au 1er août dernier, accueillaient 46 705 détenus pour une capacité de 33 263 places (répartis dans 27 934 cellules). Taux d’occupation moyen affiché : 140,4 %, contre au plus 92 % dans les établissements pour peine, qui, eux, respectent « bien souvent » le principe de l’encellulement individuel, relève le rapport. Pour le ministre de la Justice, l’absence d’évolution des capacités pénitentiaires s’explique surtout par la multiplication des législations pénales et leur application, le « manque d’efficacité des politiques pénales conduites en matière d’exécution des peines et d’application des peines, d’alternatives à la peine », les « délais inhérents à la mise en œuvre des programmes immobiliers » (dix ans en moyenne entre leur lancement et la livraison du dernier établissement), « des programmes budgétaires trop souvent insuffisants » et un « défaut d’anticipation de l’accroissement de la population pénale et de ses causes ».

Dans ce contexte, au regard d’hypothèses statistiques que détaille le rapport, Jean-Jacques Urvoas estime qu’il sera nécessaire de construire entre 9 481 et 14 666 cellules individuelles supplémentaires en maison d’arrêt afin d’atteindre un taux de 80 % d’encellulement individuel, et entre 828 et 1 477 cellules doubles. Pour lui, une « attention soutenue » devra aussi être portée aux centres de semi-liberté « au regard des fortes marges de progression qui existent en matière d’encellulement individuel et de leur caractère stratégique dans un projet de réinsertion ».

Sur la forme, Jean-Jacques Urvoas recommande de passer par une loi de programmation « parce qu’elle autorise des opérations étalées dans le temps [et apparaît ainsi] plus judicieuse ». Pour lui, sa préparation doit être « engagée de manière a-partisane et il paraît légitime que ce soit la prochaine législature qui en soit saisie ». Mais, insiste-t-il, « il est indispensable que des premiers engagements significatifs figurent dans le projet de loi de finances pour 2017 », avec la création d’une première tranche de construction de 4 355 places en maisons d’arrêt (900 millions pour un total de 1,1 milliard d’autorisations d’engagement). Et ce, en priorité « dans les territoires à forte densité carcérale », à savoir en région parisienne et Provence-Alpes-Côte d’Azur, dans le ressort des directions interrégionales des services pénitentiaires de Toulouse et de Strasbourg, et en outre-mer.

Optimiser l’emploi des 2 300 places vacantes

Sans attendre l’extension du parc immobilier, le garde des Sceaux préconise une « meilleure exploitation des places inoccupées des établissements pour peine », qui, au 1er août, s’élevaient à 2 300(3). Comment ? Grâce à une « accélération et à une amélioration qualitative de la procédure d’orientation » des détenus dans ces établissements (anticipation de l’orientation des condamnés dès leur prise en charge au sein du quartier des arrivants, simplification de la constitution du dossier d’orientation…). Toutefois, prévient-il, l’optimisation des places devra tenir compte du principe de maintien des liens familiaux. Aussi devra-t-elle « être principalement axée sur les personnes détenues sans attaches familiales, ce qui restreindra d’autant les marges de manœuvre de l’administration pénitentiaire », reconnaît Jean-Jacques Urvoas. Au micro de RTL le 21 septembre, le ministre a également proposé de « déqualifier juridiquement ces places » pour pouvoir y incarcérer les détenus en surnombre des maisons d’arrêt.

Recourir aux alternatives à la prison et aux aménagements de peine

Parce que « la politique pénale est naturellement indissociable de l’évolution des effectifs de la population carcérale »,le garde des Sceaux appréhende aussi la lutte contre la surpopulation carcérale au regard du développement des peines alternatives à l’incarcération(4) et des aménagements de peine visant à diminuer la durée passée en détention. S’agissant, par exemple, des aménagements de peine, Jean-Jacques Urvoas regrette qu’ils demeurent « plutôt l’exception que la règle » – le taux de recours est passé de 11,7 % en 2008 à 18,6 % en 2012, puis à 21,5 % au 1er juin 2016 – alors même que le législateur a toujours cherché à rendre juridiquement exceptionnel le recours à la peine privative de liberté. Dernières initiatives en date : la création de la libération sous contrainte et de la contrainte pénale(5).

« S’il est encore trop tôt pour mesurer l’impact de ces mesures sur la population carcérale, reconnaît le ministre de la Justice, il apparaît en revanche clairement qu’une politique de développement des aménagements de peine et de la libération sous contrainte doit s’accompagner d’une augmentation de l’offre d’accueil, du nombre de places disponibles et d’autres structures et modalités de prise en charge afin de pouvoir diversifier les projets d’aménagement de peine et les objectifs de libération sous contrainte, et d’en faire bénéficier le plus grand nombre. »

Améliorer la prise en charge des détenus

« Une réflexion purement capacitaire n’a guère de sens si elle ne s’accompagne pas d’une réelle démarche qualitative », estime par ailleurs Jean-Jacques Urvoas, qui s’est aussi penché sur les conditions de détention : vétusté des locaux (120 des 187 prisons ont été construites avant 1920 et 15 avant 1830), oisiveté des détenus au regard de la massification des demandes d’activité, dégradation des conditions de travail des personnels…(6) Des faits sans cesse dénoncés par le contrôleur général des lieux de privation de liberté(7). Pour le garde des Sceaux, il est par exemple « prioritaire […] de revisiter l’absence d’activité en détention qui entraîne une oisiveté non seulement génératrice de tensions mais aussi contre-productive en termes de réinsertion ». Alors même que l’obligation d’activité a été introduite dans la loi pénitentiaire de 2009, elle ne concernait que 34,7 % des détenus en maison d’arrêt en 2012. C’est pourquoi, selon lui, « il faut atteindre les cinq heures d’activité dès 2017 ».

Autre enjeu pour l’administration pénitentiaire : mieux préparer les détenus à leur sortie de prison. Mais la promiscuité et la surpopulation carcérale n’y aident pas, déplore le rapport. Pourtant, les dispositifs de formation et d’activités peuvent contribuer à optimiser leurs chances de réinsertion. Dans ce domaine, les sorties dites « sèches », c’est-à-dire sans aménagement de peine (soit 80 % des sorties aujourd’hui), sont « problématiques »(8) car le risque de nouvelle condamnation reste ici 1,6 fois plus élevé que pour les personnes en ayant bénéficié. Pour mieux prendre en charge ces publics et, par là même, désengorger les maisons d’arrêt, la chancellerie suggère de créer des « quartiers de préparation à la sortie » – rattachés aux maisons d’arrêt et aux quartiers maison d’arrêt –, en lieu et place des différentes structures existantes (quartiers nouveau concept, quartiers pour peines aménagées et quartiers courtes peines), et vers lesquels ils pourraient systématiquement être orientés. D’ores et déjà, elle recommande, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2017, de créer 2 513 places pour 28 quartiers de préparation à la sortie (230 millions d’euros). Bien sûr, souligne-t-elle, cela supposerait un renforcement des services pénitentiaires d’insertion et de probation !

Notes

(1) Les maisons d’arrêt accueillent les personnes prévenues et celles qui sont condamnées à des peines inférieures ou égales à deux ans.

(2) Voir ASH n° 2682 du 12-11-10, p. 43.

(3) Plus précisément, on dénombrait 1 563 places vacantes en centres de détention et quartiers centre de détention, 586 en maisons centrales et quartiers maison centrale, et 149 en centres pour aménagement et quartiers pour aménagement.

(4) La contribution des alternatives à l’incarcération à la baisse de la population carcérale doit être approfondie dans le cadre du rapport dressant le bilan de la loi du 15 août 2014 relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales (voir notamment ASH n° 2897 du 13-02-15, p. 47 et 48), qui devrait être prochainement remis au Parlement.

(5) Voir respectivement ASH n° 2910 du 15-05-15, p. 49 et n° 2911 du 22-05-15, p. 47.

(6) Face à la dégradation des conditions de travail des surveillants pénitentiaires – qui ont subi 2 500 agressions depuis le début de l’année –, Jean-Jacques Urvoas a annoncé, sur France Inter le 20 septembre, qu’il allait en recruter 2 500 autres en 2017.

(7) Voir ASH n° 2952 du 18-03-16, p. 15.

(8) Selon le rapport, en 2013, 97 % des personnes condamnées à une peine inférieure à six mois n’ont pu obtenir d’aménagement de peine par manque de disponibilité des personnels d’insertion et de probation.

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