Dans un arrêt rendu le 27 juillet dernier(1), le Conseil d’Etat estime qu’un département expose des mineurs isolés à un traitement inhumain et dégradant quand il les laisse à la rue, dans une situation précaire et d’extrême vulnérabilité, en dépit d’une ordonnance de protection. Et qu’il ne peut pas s’exonérer de son obligation de prise en charge de ces jeunes au motif d’une saturation de ses capacités d’accueil.
Au centre de cette affaire : le cas d’un jeune Malien, seul, sans famille connue et dépourvu de toute ressource vivait, dans des conditions très précaires, dans un campement installé au sein d’un jardin public. Le juge des enfants l’avait confié à l’aide sociale à l’enfance (ASE) du département du Nord sans que cette prise en charge soit effective. L’intéressé s’était donc tourné vers le juge des référés du tribunal administratif de Lille et avait obtenu qu’il soit enjoint au département du Nord d’assurer son hébergement dans les huit jours. Ce dernier n’ayant pas exécuté cette décision, le jeune Malien avait alors de nouveau saisi le juge des référés du tribunal administratif de Lille, pour demander cette fois qu’il soit enjoint non seulement au département du Nord mais aussi à l’Etat et à la ville de Lille de « mettre en œuvre un certain nombre de mesures pour faire cesser les atteintes graves et manifestement illégales portées, selon lui, à plusieurs libertés fondamentales ». Par une seconde ordonnance, le juge des référés a enjoint au département du Nord de proposer au requérant une solution d’hébergement, incluant le logement et la prise en charge de ses besoins alimentaires quotidiens, jusqu’à ce qu’il soit effectivement pris en charge par le département. Dans le même temps, il a prononcé la même injonction à l’encontre du préfet du Nord, en cas de carence du département à l’issue d’un délai de 17 jours. Le département du Nord a fait appel, faisant notamment valoir que le dispositif qu’il a mis en place pour l’accueil des mineurs isolés était saturé compte tenu du nombre important de mineurs isolés qui lui étaient confiés par décision judiciaire. Mais le Conseil d’Etat a donc tranché en sa défaveur.
En premier lieu, la Haute Juridiction indique qu’il incombe, à titre principal, aux autorités du département de prendre en charge l’hébergement et de pourvoir aux besoins des mineurs confiés aux services de l’ASE. Cette obligation a même une portée particulière « lorsqu’un mineur privé de la protection de sa famille est sans abri et que sa santé, sa sécurité ou sa moralité est en danger ». Et lorsqu’elle entraîne des conséquences graves pour le mineur intéressé, une carence caractérisée du département dans l’accomplissement de cette mission « porte une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale », justifiant l’intervention du juge des référés.
Le cas échéant, il incombe alors à ce dernier d’apprécier quelles sont les mesures qui peuvent être utilement ordonnées. Compte tenu de l’urgence, elles « peuvent revêtir toutes modalités provisoires de nature à faire cesser l’atteinte grave et manifestement illégale portée à une liberté fondamentale », dans l’attente d’un accueil du mineur dans un établissement ou un service autorisé, un lieu de vie et d’accueil ou une famille d’accueil si celui-ci n’est pas matériellement possible à très bref délai. Elles doivent être envisagées au cas par cas « en tenant compte des moyens dont l’administration départementale dispose » et de la situation du mineur intéressé.
Indépendamment d’une injonction adressée au département, le juge des référés peut enjoindre à l’autorité titulaire du pouvoir de police générale (autrement dit le préfet ou le maire), en tant que garant du respect du principe constitutionnel de sauvegarde de la dignité humaine, de se substituer au département afin de faire cesser la situation. Cette compétence ne dispense toutefois pas le département de ses obligations en matière d’aide sociale à l’enfance. Ainsi, le juge des référés ne peut prononcer une injonction à l’égard de l’autorité titulaire du pouvoir de police générale que si les mesures de sauvegarde à prendre excèdent les capacités d’action du département. Il n’en a pas été jugé ainsi en l’espèce.
En examinant l’affaire, le Conseil d’Etat a observé que le département n’avait apporté aucune solution d’hébergement à la suite de l’injonction adressée par le juge des référés en première instance. Et que cette abstention avait conduit le mineur à s’installer dans un parc public avec d’autres mineurs isolés étrangers sous des tentes mises à leur disposition par une association, sans accès à l’eau potable. Compte tenu de cette situation de précarité et d’insalubrité résultant de l’abstention prolongée du département, la Haute Juridiction en a déduit une carence caractérisée de nature à exposer le mineur concerné à des traitements inhumains ou dégradants, portant par là même une atteinte grave et manifestement illégale à une liberté fondamentale.
Elle a également relevé que, malgré les « efforts importants [du département] pour la prise en charge des mineurs isolés étrangers, en nombre croissant », il ne résultait pas de l’instruction qu’aucune solution ne pouvait être trouvée pour mettre à l’abri l’intéressé et assurer ses besoins quotidiens dans l’attente d’une prise en charge plus durable conforme au dispositif légal d’accueil des mineurs isolés. Ni que le mineur avait, par son attitude, fait obstacle à sa mise à l’abri par le département.
C’est ainsi que le Conseil d’Etat a validé l’injonction du juge des référés du tribunal administratif de Lille au département du Nord de proposer une solution d’hébergement, « incluant le logement et la prise en charge [des] besoins alimentaires quotidiens » du mineur.
(1) La Haute Juridiction administrative a rendu trois autres décisions analogues le même jour (CE, 27 juillet 2016, n° 400056, n° 400057 et n° 400058).