Directeur de l’Uriopss Champagne-Ardenne, Thomas Dubois pointe : « Le CVS [conseil de la vie sociale] est bien institué et admis. Mais, tout en respectant ce cadre, chaque établissement l’a fait évoluer pour aller plus loin en fonction des attentes de chacun. » Publié en septembre 2014, le rapport de l’ANESM (Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux) sur la participation des usagers au fonctionnement des établissements et services confirme cette vision : dans ceux où le CVS est obligatoire – ceux qui accueillent des personnes âgées ou des adolescents et des adultes handicapés –, il est bel et bien en place, et d’autres établissements tels que des CADA (centres d’accueil pour demandeurs d’asile) ou des CHRS (centres d’hébergement et de réinsertion sociale) l’adoptent parfois sans y être obligés. Même constat dressé par la plus importante fédération d’associations dans le secteur du handicap. « Il y a des CVS dans la plupart de nos établissements, y compris les foyers d’accueil médicalisés », observe Christel Prado.
L’instance créée par la loi du 2 janvier 2002, puis entrée en application par le décret du 25 mars 2004, « n’a été que la formalisation d’une participation qui existait déjà sous différentes formes », explique Thomas Dubois. Aux yeux des dirigeants, les CVS ont l’intérêt d’organiser une réponse collective à une question majeure : comment articuler les places respectives de celui qui accompagne et de celui qui est accompagné ? Mais malgré l’intérêt qu’ils suscitent, leur fonctionnement demande encore à être amélioré. La qualité du dialogue entre ses composantes (direction, usagers, familles, salariés) y est souvent jugée insuffisante. Aussi les directeurs et chefs de service s’emploient-ils à mettre en œuvre des solutions destinées à surmonter les multiples obstacles à une participation efficace aux CVS. Par exemple, comme l’a observé l’ANESM, il est fréquent que les personnes prises en charge et leurs familles les méconnaissent. Plus souvent encore, elles se sentent peu concernées ou bien peu légitimes à y représenter leurs pairs et à prendre la parole. En outre, le handicap freine la participation des usagers, quand ce n’est pas leur présence trop éphémère dans les institutions. « La population est de plus en plus dépendante dans nos EHPAD, et donc pas toujours en mesure de comprendre ce qui est dit et de donner son avis », témoigne Céline Bigeau, directrice des EHPAD publics La Brunetterie et Les Châtaigniers (Vienne), qui souligne une autre difficulté récurrente : « Au cours des réunions du CVS, il n’est pas facile de sortir des cas particuliers pour aller vers les questions communes. »
Chaque directeur recherche des solutions pour surmonter ces problèmes. Les deux EHPAD de la Vienne ont renoncé aux élections comme mode de désignation des représentants des usagers et des familles. La participation repose uniquement sur le volontariat. « On fait régulièrement appel à des candidatures et, avant chaque réunion du CVS, on propose à ceux que cela intéresse de s’y rendre. On a parfois jusqu’à 20 résidents dans nos réunions et, régulièrement, quatre ou cinq familles », relate Céline Bigeau. L’Adapei Nouelles (Côtes-d’Armor) mise sur une stratégie différente : maintenir les élections, mais en mobilisant autant que possible les usagers. « Lors des premières élections de représentants des usagers aux CVS, nous avons été chercher les candidats. La dernière fois, après une campagne d’information et le processus électoral, nous avons eu 239 candidats, soit une personne sur dix ! », se réjouit Etienne Philippe, directeur qualité de l’Adapei Nouelles.
Autre orientation majeure : la mise en place d’espaces d’expression plus informels, thématiques, ouverts à tous les usagers et qui leur permettent de donner leur avis, transmis ensuite au CVS. A l’instar de la « commission menus-restauration » et du « café des voisins » dans les deux EHPAD La Brunetterie et Les Châtaigniers, emmenés par le chef cuisinier et l’animatrice de chaque établissement. Ces derniers participent aux réunions des CVS, de même qu’un cadre de santé et un représentant du personnel soignant. Ainsi, la composition de l’instance a été élargie pour faciliter le dialogue et la prise de décisions.
Une fois ces premières étapes franchies, c’est le contenu même des réunions qui pose problème aux directeurs d’établissements. Les CVS se bornent souvent à être des outils d’information des usagers, alors qu’ils devraient constituer des lieux d’expression, d’échange, voire d’élaboration partagée de décisions entre leurs différents membres. L’Adapei Nouelles a pris le parti de revoir de fond en comble la préparation et l’animation des réunions, comme l’explique Etienne Philippe : « Si l’on veut attribuer un rôle de représentants aux personnes handicapées, il faut s’en donner les moyens : indiquer les dates des réunions très à l’avance, préparer les questions, par exemple au moyen d’une vidéo ou lors d’une réunion intermédiaire, fournir rapidement les comptes rendus, etc. Au cours des réunions, pour faciliter la communication, nous nous appuyons de plus sur des visuels, des pictos, des vidéos. » Ces initiatives ont permis aux directeurs d’améliorer les échanges au sein des CVS et la crédibilité de ces dispositifs auprès des usagers et des familles.
Les dirigeants d’établissements sont également nombreux à engager les représentants des usagers dans des formations pour leur donner les moyens d’assumer leur rôle. « Mais il n’est pas certain qu’elles suffisent », reconnaît Thomas Dubois. Celle des professionnels est aussi importante. « Animer, organiser, accompagner la prise de parole, c’est un vrai savoir-faire à redonner aux acteurs du travail social », estime le directeur de l’Uriopss Champagne-Ardenne, qui souligne la nécessité de débats citoyens : « Aucun point de vue n’est meilleur. La question est : comment travaille-t-on ensemble, comment fait-on un pas l’un vers l’autre pour trouver un consensus qui fait bouger les façons de voir, les pratiques ? »
Le management peut s’appuyer sur le dialogue au sein du CVS pour améliorer la vie quotidienne des usagers et leurs relations avec les professionnels. Dans des CADA et des CHRS, par exemple, les représentants des usagers ont soulevé la question des vacances d’été. « Ils ont confronté leurs points de vue. D’un côté, des salariés bien insérés, qui posent des congés et ont la capacité financière de partir. De l’autre, des personnes coincées dans la structure d’hébergement, sans argent, avec des services fermés, des éducateurs partis en vacances. Au final, ils ont construit des séjours qui répondent aux attentes et aux contraintes des usagers », rapporte Thomas Dubois. Dans les deux EHPAD de la Vienne, plusieurs questions ont été réglées grâce à des échanges au sein des CVS. « Entre autres, nous avons appris par des résidents que le café était servi froid le matin dans certains secteurs, détaille Céline Bigeau. Nous avons recherché qui était concerné par ce problème et réorganisé le service pour que le café soit servi chaud partout. »
« Depuis environ huit ans, nous avons engagé une démarche de démocratie participative. Le principal outil de la participation des usagers est le conseil de la vie sociale interétablissement, qui se réunit six à huit fois par an. L’objectif est de sortir de la toute-puissance de l’éducateur et de celle de l’institution. Professionnels et usagers doivent s’écouter et se reconnaître dans leurs compétences propres. La personne aidée peut dire de quoi elle a besoin pour elle-même, exprimer ce qu’elle ressent. Cela tend à rééquilibrer la relation descendante avec les personnes que nous hébergeons. Les représentants des usagers ont les mêmes moyens que ceux du personnel. Une pièce est mise à leur disposition : ils ont les clés, un téléphone, ils viennent quand ils veulent. Pour remédier au turn-over – les usagers restant peu de temps dans nos structures –, nous avons augmenté le nombre de représentants et permis à ceux qui partent de continuer à siéger quelque temps. Les usagers se réunissent aussi plusieurs fois par an dans des groupes d’expression thématiques dont les idées et les demandes sont transmises au CVS, qui en débat. Les thèmes sont la gestion des appartements, les relations avec les éducateurs, la socialisation, le règlement intérieur, la vie quotidienne… C’est ainsi que l’entretien et la réparation des logements ont été améliorés avec les usagers. Ils ont aussi largement participé aux groupes de travail mis en place pour l’évaluation interne. A présent, les personnes que nous aidons gèrent elles-mêmes les sorties, les fêtes, mais aussi les ateliers d’alphabétisation. Cela a un effet d’apaisement sur l’institution. »(1)
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