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Dynamique culturelle

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Créée il y a trois ans à Toulouse par des éducateurs et éducatrices spécialisés, La Bénévolante propose à des jeunes de 14 à 20 ans accueillis en MECS de vivre une expérience encadrée en tant que bénévoles dans des festivals. Partenaire de 17 festivals en 2016, l’association a pu embaucher deux salariés.

Fin juin, à Toulouse, Rhada, Leslie, Precious et Andréa se relaient à la billetterie et à l’information du public du festival du Lido, à l’entrée de l’école de cirque éponyme. Pendant toute la semaine, les adolescentes se sont aussi essayées à la cuisine, à la régie plateau ou à l’assistance vidéo, encadrées par trois adultes bénévoles et deux permanents de l’association La Bénévolante(1). Toutes quatre sont des mineures isolées ou déscolarisées de 16 et 17 ans placées par l’ASE (aide sociale à l’enfance) à la MECS (maison d’enfants à caractère social) Pargaminières.

« Precious était très motivée et a donné un super coup de main en cuisine, à la billetterie, à la mise en place et au nettoyage, se félicite Fanny Marcon, en service civique à l’association. Elle a adoré le festival et compte essayer d’intégrer l’école de cirque l’année prochaine. » Les choses ont été plus compliquées avec Leslie et Rhada, du fait d’un rapport à l’autorité un peu difficile au sein de l’équipe cuisine. « Mais dès qu’on les prenait individuellement, on arrivait à les faire s’impliquer, souligne la jeune femme, et elles ont beaucoup aimé faire de la décoration et de la signalétique. » Les adolescentes ont assisté à cinq représentations, ce qui leur a permis de développer leur sens critique. « Quand elles jugeaient un spectacle “nul”, je leur rappelais tout le travail qu’il a nécessité », poursuit-elle.

La Bénévolante n’a que trois ans d’existence, mais déjà plus d’une centaine d’expériences de ce type. Partenaire de trois festivals en 2014, la jeune association toulousaine est passée à neuf festivals en 2015, auxquels 45 jeunes ont participé(2). Une croissance liée à la pertinence du dispositif et à l’énergie communicative de ses concepteurs, convaincus de l’importance de la culture comme vecteur de cohésion sociale et d’émancipation.

En quête d’alternatives éducatives

Le projet est né en 2013, lors de L’été de Vaour, un festival de théâtre de rue et de cirque organisé depuis trente ans dans un petit village du Tarn. « Avec Julien Ducor, éducateur en prévention spécialisée à la Reynerie [un quartier sensible de Toulouse, ndlr], et Léa Ostermann, éducatrice en MECS et comédienne, nous étions bénévoles dans des festivals, raconte Leïla Amini, présidente et fondatrice de La Bénévolante. Nous nous sommes dit que si ça nous avait appris à faire tant de choses et aidé à prendre confiance en nous, cela pourrait avoir le même effet sur les jeunes que nous accompagnons. » L’idée a vite fait son chemin au sein d’un groupe d’éducateurs qui enchaînaient les remplacements dans des MECS de l’agglomération toulousaine, déçus par leur vécu en institution et désireux d’inventer des alternatives éducatives. Une fois les statuts déposés en novembre 2013, ils ont rapidement convaincu les MECS dans lesquelles ils travaillaient et les jeunes qu’ils côtoyaient de tenter l’aventure. En mars 2014, les premiers ont participé à Ciné Latino, festival de cinéma d’Amérique latine à Toulouse, suivis par d’autres à L’été de Vaour en août et au festival de théâtre de rue de Ramonville en septembre. « A Vaour, se souvient Leïla Amini, nous étions sept encadrants bénévoles pour six jeunes – une grande majorité d’éducateurs, mais, comme on avait envie que les équipes soient pluridisciplinaires, il y avait aussi Anaïs, animatrice et comédienne, Max, régisseur, et Hugo, vidéaste. » Le résultat a dépassé leurs espérances : à la responsabilisation, à la dynamique conviviale et festive se sont ajoutés le bénéfice des relations intergénérationnelles, la découverte du milieu rural pour des jeunes de cité, l’expérimentation de la vie sans télé et de vrais coups de foudre artistiques pour les jeunes. « Ç’a été une semaine inoubliable, pleine de découvertes, de nouveaux copains, témoignait un adolescent dans la vidéo tournée cet été-là. J’ai appris à jouer de la guitare et de l’accordéon, à être en contact avec les gens, à ne pas être timide. Les gens dans le village, surtout les papis, étaient tous sympas. Au début, je ne voulais pas voir de spectacles, mais je n’ai pas regretté d’y être allé. »

Un partenariat en pleine expansion

Forte de ce premier succès, l’équipe de « bénévolants » s’est mise à croire à la viabilité d’une plate-forme qui permette de proposer aux équipes éducatives des projets culturels clé en main. « Les éducateurs sont tellement accaparés en MECS par le quotidien que l’accès à la culture devient un luxe qui passe souvent à la trappe », argumente Leïla Amini. Cette frustration a poussé Isabelle Debats, coordinatrice pédagogique à La Bénévolante depuis mars dernier, à quitter la MECS où elle s’est occupée d’adolescents pendant cinq ans à Nîmes. « J’ai arrêté de monter des projets culturels parce que ça ne tenait pas, explique-t-elle. C’était très difficile de les pérenniser avec le nez dans le guidon, entre les obligations administratives et les situations de crise. Je me disais qu’il fallait que quelqu’un d’extérieur s’en occupe, une structure qui fasse le pont entre la culture et les institutions. La Bénévolante collait parfaitement à ce que j’attendais ! »

Pour accompagner la croissance de l’association sans épuiser les bonnes volontés, il devenait indispensable d’engager un salarié. Sollicités, les financeurs (conseil départemental, caisse d’allocations familiales et Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances) ont répondu présents, d’autant que La Bénévolante a remporté plusieurs prix de fondations (MAIF, Banque populaire occitane, Fondation Kronenbourg, Archipel des utopies). Au début 2015, l’association a ainsi pu embaucher une salariée en contrat aidé pour assurer la coordination administrative et logistique. Le nombre des partenaires a augmenté : neuf festivals, cinq MECS, deux clubs de prévention, un service d’AEMO (action éducative en milieu ouvert) et une mission locale de l’agglomération toulousaine.

Par le bouche-à-oreille entre éducateurs et entre festivals, les sollicitations se sont multipliées. Le budget est passé de 38 000 à 61 000 €, avec un tiers d’autofinancement(3). Cette année, 17 festivals qui proposent cirque, musique, théâtre de rue ou même sports extrêmes sont devenus partenaires de La Bénévolante. Aux trois d’origine s’en sont ajoutés des petits – Les Ruelles d’Auriac-sur-Vendinelle, La Bohème, à Muret (Haute-Garonne) – et des très importants – le festival d’Aurillac (Cantal), les Transes cévenoles (Gard). Deux personnes ont pu être recrutées à la place d’une, soulageant ainsi Leïla Amini, qui a consacré en 2015 presque la moitié de son temps à l’association, sans rétribution : Isabelle Debats gère la relation avec les partenaires, mais aussi le recrutement et la formation des bénévoles, avec Fanny Marcon, en service civique. Antoine Dasso, formé en école de commerce et passé par l’éducation populaire, assure la gestion et les relations avec les festivals. Car le travail en amont prend beaucoup de temps, avec de nombreux contacts par e-mails ou téléphone et des réunions de préparation avec les festivals, les bénévoles encadrants, les éducateurs des structures et les jeunes. Pour l’encadrement des adolescents sur les festivals eux-mêmes, cette année, il a fallu faire appel à des éducateurs salariés en renfort, certains festivals ayant lieu simultanément.

Pour chaque festival est organisée une réunion avec les adultes bénévoles, avant qu’ils ne rencontrent les jeunes. A la mi-juin, dans le local de l’association, Antoine Dasso, Fanny Marcon et Leïla Amini recevaient ainsi trois volontaires pour l’encadrement des jeunes au festival du Lido, rencontrés durant une présentation de début d’année en école d’éducateurs ou lors d’un apéro mensuel : Mathilde Chevrot, élève éducatrice, Corentin Demarthe, régisseur lumière en recherche d’emploi, et Anne Nivet, jeune professionnelle en médiation culturelle. Leïla Amini leur explique les quatre valeurs de La Bénévolante, qui constituent les axes de travail sur le terrain : la mixité sociale « pour des gamins qui restent souvent entre eux » ; la valorisation et la responsabilisation, rendue possible par le bénévolat ; l’accès à la culture, de la façon la moins imposée possible et facilitée par la proximité avec les artistes ; enfin, la préinsertion professionnelle par l’acquisition de savoir-être et de savoir-faire pour des jeunes souvent issus de quartiers fortement touchés par le chômage. « Le respect des horaires, dire bonjour, remercier, s’habiller de façon adaptée, ne pas fumer à l’accueil du public, ne pas mettre la musique à fond au sein d’un groupe… ne sont pas forcément acquis au départ, explique Antoine Dasso. Cela nous oblige parfois à recadrer un peu, mais les choses s’améliorent au fil du festival. »

Présenter le projet dans les MECS

La bienveillance mise dans l’encadrement des jeunes permet d’acquérir ces compétences de façon plus douce que dans un cadre professionnel ou même de stage. « Le premier jour est très important, prévient Fanny Marcon. C’est un moment de diagnostic, pour apprendre à connaître les jeunes. Il faut s’adapter en fonction de leurs problématiques, rester confiant malgré les refus potentiels, les valoriser, favoriser les rencontres avec les autres bénévoles, les redynamiser en cas de baisse de forme… » Une tâche menée en commun, passionnante mais exigeante. « A la fin d’un festival, je suis vraiment lessivée », souffle Isabelle Debats, qui a assuré la coordination lors de Welcome in Tziganie en avril et enchaîne cet été Natural Games, Africajarc, Vaour et Aurillac.

Autre phase importante : la rencontre avec les jeunes. Tout au long du mois de juin, Isabelle Debats et Leïla Amini ont fait le tour des MECS. Elles sont notamment intervenues lors de la réunion des colocataires de l’internat de la MECS Transition, à Toulouse, pour présenter les festivals de l’été à une dizaine d’adolescents, en présence d’un éducateur et du psychologue. « Les jeunes ont souvent des a priori sur le bénévolat, et certains considèrent que travailler gratuitement est presque de l’esclavage, remarque Isabelle. Je leur explique que la rétribution est d’être logé, nourri et d’avoir accès aux spectacles, mais aussi les rencontres et le partage. En général, ils le comprennent à leur retour. » C’est le cas de Valeria, 15 ans, arrivée seule de Crimée en 2015, qui a participé à Ciné Latino en mars 2016. « Nous avons fait l’accueil, vérifié les tickets, vendu les boissons, raconte-t-elle dans un français déjà impeccable. C’était un plaisir, car j’ai rencontré des gens, découvert des choses nouvelles. » Dès la fin de la réunion, elle se porte volontaire pour Natural Games, un festival alliant sports extrêmes et concerts dans l’Aveyron, avec Chris, un autre jeune du foyer. Si le partenariat avec la MECS Transition se passe bien, c’est que celle-ci est très impliquée dans des projets culturels. Depuis plusieurs années, des résidences d’artistes y sont organisées au sein de l’internat, dont la dernière en partenariat avec La Bénévolante. Mais ce n’est pas le cas avec tous les établissements. « On a du mal à faire comprendre à certaines MECS qu’on ne veut pas juste être un prestataire de services, mais un partenaire, pour construire un projet avec le jeune et l’éducateur et apporter une continuité éducative », regrette la présidente de l’association.

Parti à Pâques 2015 en transfert avec cinq jeunes au festival des Ruelles d’Auriac-sur-Vendinelle, Nicolas Leclercq est devenu l’éducateur référent de La Bénévolante à Transition. Il se réjouit du travail accompli. « Cela a été gagnant pour nous à tous les points de vue, assure-t-il. Valorisation, découverte de métiers, spectacles pour les jeunes… avec seulement 10 à 15 heures de préparation, entre les temps de réunion, de présentation aux jeunes et d’organisation matérielle, au lieu de 40 à 50 heures pour un transfert habituel. » Vincent Ladade, le psychologue de la MECS, est tout aussi satisfait. « Cela met les jeunes en valeur, leur prouve qu’ils sont capables, analyse-t-il. Dans ce cadre, le bénévolat est un super outil de médiation pour leur permettre de se faire plaisir en accomplissant des choses utiles pour les autres, mais aussi pour eux car, sans qu’ils s’en aperçoivent, c’est déjà une insertion du côté de la formation et de l’emploi. »

Pour Pierre Boisson, programmateur du festival de Ramonville, partenaire de la première heure de La Bénévolante, il s’agit aussi de vivre une aventure collective. « Quand je m’adresse aux bénévoles, je dis “nous”, pas “vous”, souligne-t-il. Nous faisons ce festival ensemble, autant moi directeur artistique que le jeune de La Bénévolante. C’est important qu’ils fassent cette expérience de participer à quelque chose qui réunit des artistes, une équipe organisatrice, des techniciens professionnels et 150 bénévoles, dont ils font partie. »

L’expérimentation d’un parcours culturel annuel

Pour ne pas laisser retomber cette dynamique, La Bénévolante a expérimenté dès septembre 2015 auprès des jeunes un parcours culturel annuel avec une étape par mois : découverte d’un dispositif culturel, rencontre avec des professionnels, etc. C’est dans ce cadre que Valeria s’est vu proposer d’être membre du jury d’un festival de courts métrages. Pour la deuxième année, ce parcours annuel sera étendu à l’ensemble des jeunes ayant participé aux festivals d’été. Il sera lancé en septembre lors d’un grand événement festif réunissant les organisateurs, les bénévoles et la centaine de jeunes ayant participé aux 17 festivals de 2016.

Pour la suite, l’association souhaiterait embaucher une personne de plus et asseoir sa situation financière. « On s’en sort, mais ça reste précaire, reconnaît la présidente. On met tout dans les salaires et rien dans le matériel. On fait tout avec des bouts de ficelle. Ça prend un temps et une énergie qu’on pourrait utiliser à se former, se développer, se structurer. L’enjeu est d’acquérir les compétences nécessaires pour qu’on ne s’épuise pas. » A l’automne, La Bénévolante commencera à travailler sur la gouvernance associative dans le cadre d’un DLA (dispositif local d’accompagnement), prolongement du parcours Adress(4) dont l’association a bénéficié. Objectif : « clarifier le lien complexe entre les bénévoles qui ont envie de s’investir et les salariés, afin de savoir qui fait quoi et qui décide ». Bouillonnante d’idées, La Bénévolante travaille aussi sur des projets de participation à des festivals européens et aimerait, à plus long terme, s’engager elle-même dans la création. « On se rend compte sur les festivals que les jeunes ont un potentiel de création vraiment exceptionnel, observe Leïla Amini. Avec le bénévolat, on est acteurs du festival, avec le parcours culturel, on développe le côté spectateur, il ne nous manque plus que le côté créateur. » Léa Ostermann, l’une des administratrices, éducatrice, comédienne et clown, rêve d’organiser des séjours de rupture avec un metteur en scène, un scénographe et un chorégraphe, pour monter un spectacle avec un groupe de jeunes avant de le faire tourner dans les festivals partenaires. Un rêve qui pourrait bien devenir réalité, tant l’énergie de La Bénévolante est contagieuse.

Notes

(1) La Bénévolante : 43, avenue de la Gloire – 31500 Toulouse – Tél . 06 30 24 04 84 – http://labenevolante.org.

(2) Chaque séjour peut accueillir au maximum six mineurs, en attendant l’agrément « jeunesse et éducation populaire » que l’association pourra demander en mars 2017 et qui ouvrira le dispositif à quelques majeurs.

(3) 40 000 € sont issus de subventions de fonctionnement ou de bourses, 1 200 € de dons et de cotisations, 20 000 € proviennent du paiement du séjour par les institutions, correspondant au prix d’un séjour en centre de vacances ou au prix de journée en MECS. Sur place, les festivals offrent la nourriture, l’hébergement et l’accès aux spectacles.

(4) Le parcours Adress (accompagnement pour le développement et la réussite en économie sociale et solidaire) soutient la création de structures de l’ESS par le biais d’heures d’accompagnement technique (montage de projet, comptabilité) par des associations similaires et de formations gratuites (faire une convention, demander des subventions, rendre légales ses activités, etc.).

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