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Habitat des personnes handicapées : soutenir les initiatives « solidaires »

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Les formes de logement accompagné et d’habitat partagé pour les personnes handicapées sont aujourd’hui encouragées par les pouvoirs publics. Attention toutefois à ne pas exclure les projets portés par les parents d’enfants handicapés ou les personnes handicapées elles-mêmes, met en garde Jean-Luc Charlot, sociologue, qui coanime la démarche Ti’Hameau(1).

«  Nous l’avons constaté depuis plusieurs années déjà(2), des formules d’habitat s’inventent un peu partout en France, afin de permettre à des personnes handicapées de vivre ou de continuer à vivre non seulement “chez elles”, mais aussi dans la Cité(3). Il semble qu’une nouvelle étape de ce processus soit en train de s’amorcer. D’une part, de grandes associations en font un de leurs axes de réflexions et d’actions, comme l’a montré le colloque “Habitat inclusif” organisé le 17 mai dernier par l’Association des paralysés de France. De l’autre, les pouvoirs publics mettent cette question à leur agenda, on en veut pour preuve leur intention affichée, lors de la dernière conférence nationale du handicap, de “lever les obstacles au développement des formes de logement accompagné et d’habitat partagé(4). La signature d’une convention entre l’Etat et l’Union sociale pour l’habitat devrait permettre de développer progressivement une telle offre dans le parc social(5). Les pouvoirs publics ont également confié une mission à l’inspection générale des affaires sociales en vue d’améliorer les conditions et modalités d’attribution de la prestation de compensation du handicap, notamment lorsque celle-ci est mise en commun dans le cadre d’un projet partagé d’habitat.

Ces réflexions sur les conditions de développement mais aussi de sécurisation et de pérennisation de ces initiatives ne peuvent que réjouir les acteurs engagés dans leur mise en œuvre. Rappelons toutefois que ces formules d’habitat intermédiaire sont portées par deux catégories de promoteurs, qui, sous la même “volonté de vie autonome pour les personnes handicapées”, poursuivent des stratégies différentes.

Deux logiques différentes

D’un côté, les grands (et les plus modestes) acteurs du médico-social envisagent ces projets comme une solution possible à des problématiques nouvelles – par exemple, au vieillissement des usagers des établissements et services d’aide par le travail (ESAT), dont la fin du contrat d’aide et de soutien par le travail signifie la perte de leur logement ou de leur hébergement. Ces formules peuvent aussi être considérées par ces acteurs comme la mise en œuvre du processus de “désinstitutionnalisation” dans le droit fil des conventions internationales ; le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, lors de sa dernière visite en France en 2014, avait d’ailleurs exhorté les autorités françaises à élaborer un plan global visant à remplacer les institutions par des services de proximité. Elles peuvent encore être envisagées comme la mise en place de nouveaux services médico-sociaux quand le contexte de rigueur budgétaire persistante rend difficile la création d’établissements.

De l’autre côté, des projets sont portés par des parents de personnes handicapées ou des personnes handicapées elles-mêmes, appuyées ou non par des associations gestionnaires de services et d’établissements médico-sociaux. Il s’agit de parents, eux-mêmes vieillissants, qui imaginent des solutions afin d’anticiper le moment où ils ne pourront plus vivre avec leurs descendants. Ou bien des parents plus jeunes qui ne peuvent imaginer que des solutions inclusives pour leurs adolescents handicapés. Il peut s’agir aussi d’adultes en situation de handicap qui résident dans des établissements médico-sociaux et souhaitent vivre hors de leurs murs : ils imaginent alors des formes plus solidaires d’habitat où, grâce à la mutualisation de leurs ressources, ils bénéficieront d’une qualité de vie qui leur serait hors d’atteinte individuellement.

Indiscutablement, ces deux “types” de promoteurs ne mettent pas en œuvre les mêmes stratégies d’élaboration de solutions et, pour certains d’entre eux, ne partagent pas la même conception de la “vie autonome” (c’est le cas de certains des jeunes parents d’adolescents qui rejettent a priori toute solution collective de nature médico-sociale). Ils ne disposent pas non plus des mêmes outils techniques, ni de la même légitimité. D’où une certaine suspicion des autorités quand les besoins ou désirs non ou mal satisfaits sont mis en avant par des personnes qui ne sont pas des professionnels.

On peut, sans trop se tromper, redouter que la “puissance de feu” des experts du secteur médico-social ne marginalise à terme les initiatives portées par les usagers ou leurs familles. Alors même que ces formules ressemblent à s’y méprendre dans leurs motivations, à celles qui furent à l’origine de la création des principales associations du secteur médico-social avant leur professionnalisation, voire leur bureaucratisation.

Un « agir solidaire »

Je qualifierais ces initiatives du second type de “solidaires”. En effet, des personnes volontaires se constituent en groupe et se fédèrent autour d’un projet de vie et de relations de voisinage, afin d’élaborer et de réaliser ensemble un programme d’habitat. Si elles varient au gré des expériences toujours singulières, ces formules présentent toutes les caractéristiques de l’“agir solidaire”. Ce dernier renvoie en effet à une action fondée sur des solidarités vécues où se construisent des réciprocités entre les personnes dans des espaces à la fois publics et privés (ancrés sur les problèmes de l’intimité et de la sphère privée et “travaillant” la question politique de la réappropriation de son mode d’habiter). L’“agir solidaire” n’est pas seulement un mode de réponse à des besoins mal ou non satisfaits – ce que le terme de “solidarité” désigne parfois –, il est aussi, et peut-être avant tout, une action de résistance aux systèmes étatiques et économiques animée par une volonté de changement, de transformation. Ainsi, la plupart des groupes de personnes qui portent aujourd’hui de tels projets ou réalisations d’habitat ne désirent pas seulement jouir, pour eux ou pour leurs proches, d’un habitat plus satisfaisant que le leur. Ils veulent également se réapproprier les décisions et les responsabilités de l’acte de construire ou de rénover, et, au-delà, de leur manière de vivre.

J’insiste cependant sur un point : il ne s’agit pas d’opposer ces deux “familles” d’initiatives, mais bien de les distinguer afin d’être attentif aussi au développement des secondes. Au moment où l’on semble réfléchir aux conditions de leur développement et de leur pérennité, l’enjeu est de se donner les moyens d’accompagner les porteurs de projets et de mettre en réseau les initiatives. En raison des nombreux obstacles, en effet, l’élaboration de ces solutions ressemble le plus souvent à un long et épuisant parcours du combattant, qui laisse ses protagonistes épuisés et, parfois, défaits. »

Notes

(1) Qui conçoit des solutions d’habitat adapté au manque d’autonomie. Jean-Luc Charlot anime également le groupe de travail « Habitat et handicap, pour des formules plurielles et solidaires », mis en place par la Fabrik Autonomie et habitat. Il vient de publier : Le pari de l’habitat. Vers une société plus inclusive avec et pour les situations de handicap ? – Ed. L’Harmattan – 15,50 €.

(2) Au moins depuis l’étude conduite par Typhaine Mahé, chargée de mission au CTNERHI (Centre technique national d’études et de recherches sur les handicaps et les inadaptations) en 2006 et intitulée « Formules de logements regroupés et autonomie des usagers ».

(3) Voir aussi notre décryptage dans les ASH n° 2905 du 10-04-15, p. 22.

(4) Voir ASH n° 2962 du 27-05-16, p. 5.

(5) Cette convention porterait plus largement sur l’adaptation du patrimoine, le développement de l’offre et l’accompagnement dans les champs du vieillissement et du handicap.

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