Oui. Les personnes sourdes ont une langue spécifique, la langue des signes (la LSF pour la France), et une culture propre. Comme pour toutes les autres communautés humaines, langue et culture sont indissociables. La LSF est cependant une langue visuo-gestuelle qui n’a pas de trace écrite. La culture des sourds se transmet donc à l’intérieur de leur communauté, en face à face, entre pairs. La LSF fédère et cimente cette communauté et participe à la construction de l’identité des personnes sourdes. Et comme de plus en plus d’entendants l’apprennent, le champ de communication des sourds s’élargit. Ils font connaître leur culture à l’extérieur de leur communauté.
Ce sont des valeurs d’entraide et de solidarité. Les sourds ont fait, dans le passé, l’objet de discrimination, notamment à la suite du congrès de Milan qui, en 1880, sous la pression d’oralistes, avait interdit l’apprentissage et l’utilisation de la langue des signes. Ils ont donc eu tendance à se regrouper, notamment dans des établissements scolaires avec internats où ils se retrouvaient entre pairs, seule façon de pouvoir communiquer en face à face. Les regroupements de sourds en clubs sportifs et associations diverses sont nés là. Le désir d’apporter et de recevoir le maximum d’informations par le regroupement et l’échange direct est un trait distinctif de la culture sourde. Bien sûr, les outils numériques représentent aujourd’hui un progrès considérable pour la communication entre sourds.
L’une des craintes des sourds est d’être mal informés. Les entendants reçoivent des informations orales de diverses sources, qui parfois se superposent : dialogue avec une personne tout en écoutant un haut-parleur dans une gare, un bruit extérieur, etc. Cela n’est pas possible pour une personne sourde. Pour elle, la communication doit être claire et précise et exclure toute digression susceptible de brouiller le message. Il n’est pas rare que deux personnes sourdes se fassent des commentaires, mêmes négatifs, sur leur tenue vestimentaire ou leur coupe de cheveux. On privilégie toujours ce qui constitue l’essentiel du message, sans détour.
En France comme aux Etats-Unis, les sourds se regroupent en quelques grands pôles, le plus souvent autour de grandes villes qui sont les mieux à même de leur apporter des aides, en les concentrant. La langue des signes américaine est plus répandue dans le pays, et il est souvent demandé aux futurs enseignants de s’y initier pour pouvoir accueillir, le cas échéant, des élèves sourds dans leur classe. Cette démarche gagne d’ailleurs du terrain en France. Il faut préciser que chaque pays possède sa propre langue des signes. Les langues des signes américaine et française sont dites « cousines », du fait de la similitude de certains signes. Cela est le résultat de l’exportation de la LSF aux Etats-Unis, et de l’influence de l’Institut national de jeunes sourds (INJS), créé à Paris en 1791.
La langue des signes n’ayant pas de trace écrite, tout ce qui relève de la littérature au sens de production écrite est problématique. Des auteurs américains sourds ont d’abord eu recours à des interprètes pour transformer leurs créations (récits autobiographiques, romans, poèmes…) en documents écrits. Certains d’entre eux se sont aussi exprimés directement en langue anglaise, mais ce n’est pas leur langue première. Des productions théâtrales de sourds ont aussi connu un vrai succès. Plus récemment, les ressources du numérique ont permis aux auteurs et artistes sourds de diffuser directement leurs productions. S’agissant de l’art pictural, il existe une véritable abondance sous l’impulsion de mouvements organisés (De’VIA, par exemple) ou à partir d’initiatives isolées. Dans son ouvrage, Thomas K. Holcomb propose un échantillon de ces artistes sourds. Chaque chapitre débute par une représentation picturale et se clôt par un poème.
Numériquement parlant, la communauté sourde est limitée. Les sourds vivent au quotidien entourés d’entendants, et il y a parfois des malentendus venant de la méconnaissance des codes propres à chaque communauté. De plus, même si le visuel occupe de plus en plus de place dans la société moderne, la communication repose encore beaucoup sur l’écrit. Souffrant d’illettrisme à des degrés divers, les personnes sourdes ont parfois une certaine méfiance à l’égard des entendants, craignant notamment que ceux-ci ne leur imposent leurs pratiques culturelles. Mais dès lors que de nombreux entendants apprennent la langue des signes, la communication avec les sourds est facilitée et clarifiée et les représentations mentales peuvent bouger dans un sens favorable.
Elles rejettent cette appellation, en avançant le fait qu’elles ont une langue. Dirait-on d’Espagnols, de Suédois ou d’Italiens vivant sur notre territoire qu’ils sont « handicapés » car ne maîtrisant pas la langue française ? Mais si le handicap se définit comme une inadéquation de l’individu à son environnement, alors, dans une société majoritairement entendante et utilisant couramment une langue orale commune, les personnes sourdes sont handicapées dans leurs relations sociales. Pourtant, lorsqu’on se trouve dans des rassemblements de sourds, on voit à quel point ils sont épanouis et souvent joyeux d’être ensemble et de pouvoir échanger très facilement. Leur insertion réussie passe en réalité par un apprentissage large de la langue des signes par tous, ainsi que par une meilleure maîtrise du français écrit par eux-mêmes. C’est ce à quoi s’attache l’école.
Elle est avant tout une personne et doit donc être respectée. Pour l’aborder, il faut d’abord se manifester à sa vue. Lors de réunions, le positionnement des participants est essentiel. Il faut se trouver dans le champ de vision de la personne sourde. On peut aussi attirer son attention par une légère tape sur l’épaule. La communication avec un sourd s’effectue « en face à face », d’autant que l’expression du visage fait partie intégrante de la langue des signes. La culture sourde est une culture du visuel, et tout ce qui relève du visuel doit donc être privilégié.
Les implants cochléaires, notamment, font des progrès, même s’ils ne donnent pas encore totalement satisfaction. Le projet d’implantation précoce chez les tout jeunes enfants sourds a donné lieu à des débats houleux. Les sourds craignent que ces appareillages, s’ils se généralisent, contribuent à leur insertion presque forcée dans la culture dominante, et que cela se fasse au détriment de leurs propres culture et identité dont ils sont de fervents défenseurs. Leur militantisme est très actif dans ce domaine. Sans doute l’appareillage doit-il tenir compte des cas particuliers.
En effet, le premier décrit une situation où la communauté sourde serait prospère, grâce à la protection légale, au nom de la diversité culturelle, et à la prolifération d’outils technologiques au service de la communication. Le deuxième scénario verrait l’éradication des sourds par une démarche médicale consistant à les « soigner » ou à les guérir. Enfin, la prévalence de sourds multihandicapés pourrait changer la nature de la communauté sourde, qui passerait d’une entité culturelle à un groupe défini par le handicap. Pour l’auteur, l’avenir passe par une approche bilingue (langue des signes, anglais) à développer avec un apprentissage des deux langues et des deux cultures. C’est une conception humaniste respectueuse de la richesse et de la diversité des cultures.
Inspectrice générale honoraire de l’Education nationale, Mireille Golaszewski est chargée de missions ministérielles sur la scolarisation des élèves malentendants et sourds. Elle a traduit l’ouvrage Introduction à la culture sourde (éd. érès, 2016) de Thomas K. Holcomb, professeur à Ohlone College (Californie), qui dispense un enseignement fondé sur la culture sourde et l’ASL (American Sign Language).