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Travail avec les familles et promotion de l’égalité entre les sexes

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Le travail auprès des familles favorise-t-il l’autonomie des mères ou contribue-t-il à perpétuer la division traditionnelle des rôles familiaux ? Des recherches menées en Suisse et en France pointent l’impact, à cet égard, de l’intervention des travailleurs sociaux.

Marianne Modak, professeure honoraire à la Haute Ecole de travail social et de la santé de Lausanne (Suisse), et trois autres chercheures ont réalisé une étude auprès d’un échantillon représentatif d’assistantes et assistants sociaux (AS) travaillant en Suisse romande dans des services publics d’aide sociale(1). Plusieurs situations courantes mettant en jeu différentes modalités de répartition du travail salarié et du travail domestique dans la famille leur ont été présentées. L’objectif était de repérer dans quelle mesure ces assistantes et assistants sociaux cherchaient, ou pas, à conjuguer réponse aux besoins exprimés par les familles en difficulté et promotion de l’égalité entre les sexes. « Pour remplir leur mission qui est de faire en sorte que la famille dispose d’un revenu lui permettant de sortir de la pauvreté, les AS doivent obligatoirement tenir compte à la fois de la nature – genrée – des échanges familiaux ordinaires et de l’accès – genré lui aussi – au marché du travail », commente Marianne Modak(2).

Les enfants d’abord

Résultat : les travailleurs sociaux interrogés sont conduits à privilégier le modèle de l’homme pourvoyeur principal de revenu pour résoudre les problèmes des familles demandeuses d’aide. « Réciproquement et dans la logique de complémentarité des rôles de sexe, les propositions faites aux mères par les AS vont à l’encontre des prescriptions de l’Etat social actif, qui vise à intégrer ces mères le plus rapidement possible sur le marché de l’emploi », explique-t-elle. Les propositions en question suivent plutôt une logique normative traditionnelle, guère questionnée par les travailleurs sociaux, que la chercheure résume en quelques mots : sacralité du lien physique de proximité mère-enfant, travail domestique à la charge des femmes, famille supposée former une unité économique homogène. « Ces AS, qui trouvaient par ailleurs des solutions souvent originales […] aux problèmes qui leur étaient soumis dans nos scénarios, ne faisaient pratiquement aucune proposition susceptible de bouger les soubassements structurels de la division sexuelle du travail », constate Marianne Modak. Cette « occultation du genre » résulterait d’une écoute empathique des usagères. « Si les AS ne suivent pas toujours l’obligation d’appliquer aux mères des mesures d’insertion dans l’emploi, c’est parce que la prise en compte du bien de l’enfant, mis en avant par les intéressées, inclut aussi le fait qu’elles accepteraient de réduire leur indépendance économique au profit de la famille. Dans un contexte où cette autonomie économique se paie, pour les mères pauvres, à la fois de la double journée de travail et de l’abandon sur d’autres de certaines tâches éducatives ou affectives, les bénéficiaires de l’aide sociale seraient donc autant, sinon plus, soucieuses de l’équilibre et de la préservation de leur vie privée […] que de leur autonomie et de l’égalité entre femmes et hommes ». En se voulant avant tout les interprètes de leurs interlocutrices – et ce, « aux dépens de leur émancipation » –, les AS conforteraient ipso facto « l’organisation fondamentalement genrée de la famille ».

Au terme de différentes recherches, la sociologue Coline Cardi pointe aussi l’impact des dispositifs d’action sociale s’adressant aux familles sur la perpétuation de la division traditionnelle des rôles familiaux(3). Qu’il s’agisse de repérer, de prévenir ou de sanctionner des situations familiales jugées dangereuses ou à risque, les mères, et en particulier celles qui sont en situation de précarité, apparaissent comme la cible et le levier des interventions sociales. L’autonomie est devenu le maître-mot de l’aide aux parents. Mais « si on demande aux mères de faire preuve d’autonomie, c’est avant tout parce que cette autonomie est pensée en lien avec le bien-être psychologique de l’enfant : il s’agit de se dégager d’une relation jugée fusionnelle et dangereuse pour le mineur », explique la sociologue.

Un stéréotype bien ancré

La « bonne » mère est ainsi celle qui trouve la « bonne distance », qui parvient à une certaine « autonomie psychique » favorable à l’épanouissement de l’enfant. Son autonomie est non seulement adossée à celle de l’enfant, mais aussi limitée par elle. C’est pourquoi le surinvestissement professionnel des femmes est toujours suspecté : il est interprété comme le signe d’un désengagement maternel et parfois conjugal. En centre maternel, par exemple, la question de l’insertion professionnelle des femmes est, dans les faits, plus que secondaire, note la chercheure. « L’attention est davantage portée sur l’apprentissage du maternage et de la tenue d’un foyer. » C’est encore et toujours la figure, aujourd’hui dévalorisée, de « bonne ménagère » à laquelle les femmes des milieux populaires restent assignées, souligne Coline Cardi.

Notes

(1) Recherche réalisée avec Myriam Girardin, Véréna Keller et Françoise Messant, présentée par Marianne Modak lors du colloque sur « L’intervention sociale dans une perspective de genre » organisé les 19 et 20 mai par l’université Paris-13, l’ETSUP et la Haute Ecole spécialisée de travail social et de la santé, EESP Lausanne – www.etsup.com/L-intervention-sociale-dans-une.

(2) Dans un article publié avec ses collègues chercheures dans la revue Nouvelles questions féministes n° 32, 2013.

(3) Par exemple un centre maternel et un centre de thérapie familiale – Voir « La construction sexuée des risques familiaux » de Coline Cardi in Politiques sociales et familiales n° 101 – Septembre 2010 – Voir aussi « Travail social, contrôle sexué » – DGCS – Cahiers Stratégie & Prospective n° 1, 07/14.

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