« Les anciennes pensionnaires de l’établissement créé par mademoiselle Adélaïde Perrin sont désormais considérées comme des citoyennes à part entière. » C’est ainsi que s’achèvent Les murs noirs. Nous sommes en 2004, et la romancière et animatrice d’ateliers d’écriture Sylvie Callet a recueilli durant des mois les témoignages de Gabrielle, Gisèle, Josette, Monique, Odette et plusieurs autres de ces « jeunes filles incurables » qui furent internées au sein d’un « établissement de charité » de Lyon depuis les années 1930. Les portes de l’imposante et sombre bâtisse du quartier d’Ainay se sont refermées durant plus d’un siècle sur des jeunes femmes pour des motifs variés et quelquefois surprenants. Si beaucoup d’entre elles sont handicapées ou indigentes, d’autres entrent dans cet établissement – qui accueillera plus de deux cents pensionnaires au début du XXe siècle – au motif qu’elles sont « idiotes », « peu intelligentes » ou même « rouées ». En s’appuyant sur les récits de ces anciennes « incurables » et sur de nombreuses archives, Sylvie Callet nous fait entrer dans la vie quotidienne de cette institution tenue par des religieuses. Une vie où la noirceur des murs faisait écho à la couleur sombre de l’uniforme qu’il fallait porter, où l’on se levait à cinq heures et demie avant d’aller à la messe et de prendre un petit déjeuner, qui se résumera pendant longtemps à une simple soupe. Une vie monotone, rythmée par la participation des pensionnaires à l’entretien de l’établissement (à grands renforts de paille de fer et de savon noir) et aux travaux quotidiens de brochage, de couture et de broderie, pour lesquels les jeunes filles ne touchent alors aucun salaire. Malgré la dureté d’une existence marquée par des règles extrêmement sévères et par le renoncement à son autonomie, beaucoup finissent par se résigner et n’imaginent plus quitter l’établissement pour mener une vie au dehors. Les souvenirs – parfois teintés d’humour – de ces jeunes filles devenues de vieilles dames illustrent le chemin parcouru dans l’accueil des personnes les plus démunies. Avec, notamment, la loi du 2 janvier 2002 qui fait de l’usager un acteur de son projet de vie… Et un citoyen à part entière.
Les murs noirs
Sylvie Callet – Ed. Les Presses du Midi – 17 €