Le 25 juillet dernier, le Comité pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes de l’ONU a rendu ses observations sur les septième et huitième rapports périodiques de la France relatifs à sa politique publique de lutte contre la discrimination à l’égard des femmes(1). Sans conteste, admet l’instance, la France a récemment fait de nombreux efforts en ce sens avec, notamment, l’adoption de la loi du 4 août 2014 sur l’égalité réelle entre les femmes et les hommes(2) et du quatrième plan interministériel de prévention et de lutte contre les violences faites aux femmes 2014-2016(3), ou encore la création, en 2013, d’un Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCEFH). Mais de nombreux sujets inquiètent encore l’ONU, qui a adressé à la France ses recommandations.
En dépit des améliorations apportées par la loi « asile » du 29 juillet 2015 – par exemple, la création d’une allocation pour demandeur d’asile(4) –, le comité demeure inquiet sur les capacités de la France à faire face à l’afflux actuel de réfugiés et à les accueillir dans des conditions dignes. Mais aussi sur l’application du droit d’asile aux femmes provenant de pays dits « sûrs » ou à celles qui sont présentes dans les zones d’attente dont les demandes d’asile sont traitées en procédure accélérée, comportant peu de garanties, déplore l’instance. Dans ce contexte, l’ONU demande à la France, d’une part, de veiller à ce que les demandes d’asile examinées en procédure accélérée basculent bien en procédure normale dès lors qu’elles remplissent les critères pour en relever et, d’autre part, de revoir l’utilisation qui est faite de la liste des pays d’origine sûrs en raison de son incertitude.
Si le comité salue l’évolution de l’arsenal législatif français permettant de lutter contre la discrimination à l’égard des femmes, avec, en dernier lieu, l’adoption de la loi « égalité femmes-hommes » de 2014, il en déplore toutefois l’effectivité limitée. Il regrette également que la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes et son protocole facultatif soient méconnus, même par les avocats, les juges et les autres personnes susceptibles d’être concernées, et que les décisions de justice y fassent rarement référence.
En outre, l’instance considère la définition française du harcèlement sexuel peu claire alors même que cette définition a été modifiée en 2012 et, plus récemment, dans le cadre de la loi « égalité femmes-hommes » de 2014. Comme l’a déjà préconisé le défenseur des droits, elle invite donc le gouvernement français à introduire une définition claire et précise du harcèlement sexuel dans la future loi relative à l’égalité et à la citoyenneté(5) ainsi qu’à prévoir une réparation au civil de la victime – qui n’est aujourd’hui possible qu’en cas de harcèlement sexuel au travail – et un ajustement de la charge de la preuve dans le projet de loi sur la justice du XXIe siècle(6). Deux textes en cours de discussion au Parlement.
De façon générale, alors que les questions d’égalité entre les femmes et les hommes bénéficiaient, au début du quinquennat de François Hollande, d’un ministère propre, elles ont ensuite été reléguées à un simple secrétariat d’Etat, puis aujourd’hui noyées au sein du ministère des Familles, de l’Enfance et des Droits des femmes. Ce qui crée de l’« incertitude », pouvant être interprétée comme une « régression au regard des droits des femmes », pointe le comité. Aussi préconise-t-il au gouvernement de s’assurer que ces questions disposent d’un ministère propre et des ressources humaines, techniques et financières nécessaires. L’instance déplore aussi l’absence d’une délimitation claire des fonctions du HCEFH, du défenseur des droits et de la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH)… sans compter la faiblesse des ressources du Haut Conseil en comparaison avec les deux autres autorités. Un équilibre qu’elle demande au gouvernement de trouver.
Le comité onusien déplore par ailleurs la faiblesse des moyens humains et financiers alloués à la mission interministérielle pour la protection des femmes contre les violences et la lutte contre la traite des êtres humains (Miprof) pour laquelle il convient de faire un effort, estime-t-il.
Autre point d’inquiétude pour l’instance : le faible taux de dépôt de plainte en cas de violences faites aux femmes, y compris de viol, mais aussi celui des poursuites pénales et de condamnations. Par exemple, illustre-t-elle, les femmes immigrées peuvent hésiter à porter plainte en cas de violences conjugales car, en pratique, leur droit au séjour repose bien souvent sur l’existence d’une communauté de vie. Même si la loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers a permis d’améliorer leur protection(7), le comité – qui rejoint sur ce point la CNCDH(8) – considère encore cela insuffisant et demande à l’Etat français de revoir les conditions d’octroi des titres de séjour des femmes étrangères victimes de violences conjugales. Au-delà, il lui demande aussi de renforcer l’assistance et la protection offertes à toutes les femmes victimes de violence, en particulier en augmentant la capacité d’accueil des centres d’hébergement d’urgence, qui, eux aussi, doivent bénéficier des ressources à la hauteur de leurs missions.
Faible taux de poursuites pénales et de condamnations en matière de trafic d’êtres humains, peu de considération pour les cas d’exploitation, en particulier le travail forcé ou l’esclavage, insuffisance de la coordination et des crédits pour la mise en œuvre du plan d’action national contre la traite des êtres humains 2014-2016(9), absence de mesures de réhabilitation permettant, entre autres, l’accès à du conseil et aux services de santé, mise en danger accrue des personnes prostituées en raison de la pénalisation des clients prévue par la loi du 13 avril 2016 visant à lutter contre le système prostitutionnel(10)… Autant de sujets d’inquiétude pour le comité de l’ONU qui suggère à l’Etat français de veiller à ce que des poursuites pénales soient systématiquement engagées, en particulier lorsque des femmes et des mineures sont impliquées, et à ce que les condamnations soient à la hauteur du crime perpétré. Il l’invite aussi à prévenir et à lutter contre toutes les formes d’exploitation des êtres humains, et à s’assurer que les victimes de trafic obtiennent protection et réparation du préjudice subi. Signalons que le gouvernement a fait un pas en ce sens puisque la loi « prostitution » de 2016 a prévu des mesures de sécurité et un parcours de sortie de la prostitution pour les victimes de la prostitution, du proxénétisme et de la traite des êtres humains aux fins d’exploitation sexuelle.
Le comité critique enfin le système de déclaration commune des impôts sur le revenu pour les couples mariés et liés par un pacte civil de solidarité (sauf pour la première année de leur union), ce qui peut notamment « décourager l’emploi des femmes ». Aussi demande-t-il à l’Etat français de revoir son système d’imposition et d’introduire celui d’une déclaration individuelle – au moins en guise d’option – et de supprimer ou de modifier le quotient familial en vue de rendre le système d’imposition « neutre » et ainsi de favoriser l’emploi des femmes. Plus généralement, l’instance onusienne recommande de simplifier et d’harmoniser les règles fiscales et sociales relatives aux couples, qu’ils soient mariés, pacsés ou en concubinage.
(1) Disponible uniquement en anglais sur
(4) Voir en dernier lieu ASH n° 2965 du 17-06-16, p. 51.
(5) Sur les grandes lignes du projet de loi, voir ASH n° 2956 du 15-04-16, p. 5.
(10) Ce risque a été largement évoqué au moment des discussions parlementaires sur ce texte – Voir ASH n° 2966 du 24-06-16, p. 49.