Quelles sont les conditions de vie des jeunes placés au titre de l’enfance en danger et comment ceux-ci sont-ils préparés à leur sortie du dispositif de protection de l’enfance ? Un document(1) publié par l’Institut national d’études démographiques (INED) livre un éclairage sur le sujet à partir de la première vague d’enquête ELAP (Etude longitudinale sur l’autonomisation des jeunes placés), réalisée en 2013-2014 auprès de plus de 1 600 jeunes placés par sept départements d’Ile-de-France et du Nord-Pas-de-Calais(2). L’analyse porte sur un sous-échantillon – plus de 500 jeunes âgés de 17 ans – dont un tiers sont des mineurs étrangers isolés.
Plusieurs raisons – mauvaises relations entre pairs, absence de liens familiaux, poursuite d’une formation particulière ou manque de places – peuvent amener à éloigner un jeune de son département d’origine. Ainsi, les trois quarts de ceux de 17 ans interrogés dans le cadre de l’enquête vivent dans le département qui suit la mesure, les autres sont placés en dehors de celui-ci. Deux jeunes sur cinq vivent en hébergement collectif. « Ce type de placement est souvent la première étape dans le parcours des jeunes placés seulement à l’adolescence », indique l’analyse. Parmi eux, « 58 % n’ont connu qu’un ou deux lieux de placement, 42 % ont connu trois placements ou plus malgré cette durée de prise en charge plus courte ».
Le placement de type familial concerne 41 % de l’échantillon, dont 3 % placés auprès d’un tiers digne de confiance (généralement un membre de la famille) et 5 % en lieu de vie et d’accueil. « Ces jeunes ont généralement débuté leur parcours de protection très tôt, puisque la moitié sont arrivés avant l’âge de 8 ans. Etre encore placé en famille d’accueil à 17 ans signifie que leur parcours a été stable », relèvent les auteures, ajoutant que l’« on trouve surtout ce type de trajectoire dans la région du Nord-Pas-de-Calais où le placement en famille d’accueil est particulièrement développé ». Les formes d’hébergement dites « autonomes » concernent 18 % des jeunes interrogés. Largement utilisé pour les contrats « jeune majeur », ce type d’hébergement peut être proposé à certains mineurs, « dans une première étape de semi-autonomie (un éducateur vit sur place) ou d’un accompagnement éducatif par un service spécialisé ». Par ailleurs, « 85 % se plaisent dans leur lieu d’hébergement ». Les deux tiers estiment avoir suffisamment d’autonomie pour gérer leur vie quotidienne, mais un quart aimeraient en avoir davantage, « principalement parmi les jeunes en placement collectif »,où il est plus difficile de s’approprier un « chez-soi ».
Selon ces premiers résultats, 33 % des jeunes ont encore « dans leur horizon leurs deux parents » – quelle que soit la nature des liens entretenus avec eux –, 38 % un seul et 23 % aucun (ces derniers sont décédés, les jeunes ne les ont jamais connus ou bien ils n’ont plus de contact avec eux). Les 7 % restants n’ont pas répondu à la question. « La vie conjugale et parentale des jeunes protégés débute précocement », relèvent les auteures, puisqu’à 17 ans, 9 % des filles et 0,5 % des garçons interrogés ont déjà un enfant. Les deux tiers « ont été conçus lors de la prise en charge des jeunes, pour les autres l’arrivée de l’enfant a motivé le placement ».
Si, comme les autres adolescents de leur âge, la grande majorité (89 %) des jeunes de 17 ans placés est scolarisée, ceux-ci sont plus nombreux (10 % des jeunes non étrangers isolés) à suivre des formations spécifiques (remise à niveau en langue, formation ou stage d’insertion pour jeunes sortis précocement du système éducatif, formation en établissement sanitaire et social…). L’orientation vers des études courtes est par ailleurs majoritaire. Seulement 13 % des jeunes de 17 ans placés préparent un bac général (contre 51 % de cette classe d’âge), 23 % un bac professionnel (contre 24 %) et 40 % un CAP (contre 11 %). Parmi les jeunes scolarisés, 77 % indiquent vouloir poursuivre leurs études. Mais « dans un contexte de démocratisation de l’accès aux études supérieures qui en prolonge la durée au-delà des limites d’âge de la protection de l’enfance, les jeunes placés qui aspirent à les continuer sont souvent freinés dans leurs possibilités », pointent les auteures. Et « si le dispositif “jeune majeur” facilite la poursuite de la formation jusqu’à 21 ans, tous les jeunes placés n’y accéderont pas ».
A la veille de leur majorité, plus d’un quart des jeunes ayant participé à l’enquête ne sont pas encore informés de son existence, indique l’étude. La moitié souhaitent néanmoins en signer un, tandis que 14 % hésitent et 7 % ne le souhaitent pas. Ces derniers ont « davantage de soutien parental ou bien attendent avec impatience leur majorité pour expérimenter d’autres horizons. Les jeunes placés entre 6 et 12 ans se projettent moins dans cette forme d’aide ». En outre, l’approche de la majorité rend les conditions d’accueil des jeunes « très incertaines puisqu’un tiers ne savent pas où ils seront dans trois mois. 56 % pensent rester dans le même lieu et 12 % ont un projet d’emménagement ailleurs, dans ou hors le cadre de l’ASE ». Pour tous, « le passage à la majorité est une étape clé dans l’accès au logement, bien plus que pour les jeunes du même âge ».
(1) « Comment les jeunes placés à l’âge de 17 ans préparent-ils leur avenir ? » – Isabelle Frechon et Lucy Marquet – Documents de travail 227 – Juillet 2016 – Disponible sur
(2) L’enquête ELAP a été réalisée par une équipe de chercheurs et d’ingénieurs de l’INED et du laboratoire « Printemps » de l’université Versailles-Saint-Quentin, en partenariat avec les départements associés. Soutenue par ailleurs par la DREES, la DGCS, l’ONED, l’Anmecs et la Fondation Grancher, elle vise à mieux connaître les caractéristiques et les conditions de vie des jeunes de 17 à 20 ans placés en protection de l’enfance à la veille de leur sortie et quelques mois après celle-ci. A la fin de l’année 2013 et au début de l’année 2014, la première vague d’enquête a porté principalement sur leur vie actuelle et leurs projets. Une seconde vague d’enquête, centrée sur les deux grandes étapes de la sortie du dispositif de protection, à 18 et 21 ans, a été réalisée en 2015.