« Une offre de soins inégale », « une coordination santé-justice insuffisante », la question de l’alcoolisme pas « spécifiquement abordée »… Tels sont quelques-uns des griefs qui émaillent un rapport récemment rendu public sur la politique de la santé des personnes placées sous main de justice(1). Daté de novembre 2015 mais publié seulement le 19 juillet, il a été établi, à la demande des ministères de la Justice et de la Santé, par les inspections générales des affaires sociales (IGAS) et des services judiciaires (IGSJ), qui ont été chargées d’évaluer l’application du plan d’actions stratégiques 2010-2014 portant sur ce domaine(2).
« L’état de santé des personnes détenues est très mal documenté », rappellent d’emblée les auteurs. Constat déjà connu au moment de l’élaboration du plan, qui devait permettre d’améliorer les connaissances et le suivi épidémiologique. Mais cet état de fait perdure, selon le rapport, qui qualifie les données disponibles d’« anormalement anciennes ». « Les études générales datent de 2003 pour l’état de santé des entrants en détention », « de 2004 pour la prévalence des troubles psychiatriques… ». Seule l’étude sur le VIH, l’hépatite C et les traitements de substitution a été actualisée en 2010. Il ressort cependant des chiffres connus à ce jour que « les besoins en santé demeurent importants » et que « l’offre de soins très disparate est encore insuffisante ». Les pathologies et troubles mentaux, par exemple, sont surreprésentés en milieu carcéral. Si, parmi les entrants, huit sur dix présentent un « bon état général », un entrant sur dix est orienté en consultation de psychiatrie et plus de la moitié des personnes détenues ont déjà un antécédent de troubles psychiatriques. De même, le taux de suicide est six fois plus élevé que celui des hommes libres âgés de 15 à 59 ans. Par ailleurs, 80 % de la population carcérale fume quotidiennement et 31 % déclarent une consommation excessive d’alcool. Une personne détenue sur 100 est séropositive au VIH et une sur 20 au virus de l’hépatite C, soit environ quatre fois plus que dans la population générale.
La question des moyens est également pointée par les auteurs. Si les effectifs du personnel de santé ont été doublés entre 1997 et 2013, dans le même temps, la population carcérale s’est accrue de 25 %. Il en résulte des disparités entre les régions dues, en partie, à la démographie médicale insuffisante et à la faible attractivité de l’exercice en prison. Résultat : 22 % des postes de spécialistes budgétés ne sont pas pourvus, de même que 15,5 % des postes de psychiatres. On déplore enfin une insuffisance chronique de dentistes et d’assistants dentaires. En outre, les locaux alloués aux unités sanitaires des centres hospitaliers implantés dans les établissements pénitentiaires (USMP) sont globalement sous-dotés.
Pour l’IGAS et l’IGSJ, le plan 2010-2014 constituait certes un « instrument utile », mais sa mise en œuvre a souffert d’une difficile coordination entre le ministère de la Santé et le ministère de la Justice, pourtant poussés à collaborer depuis la réforme opérée par la loi du 18 janvier 1994 relative à la santé publique qui avait pour but de permettre aux détenus de bénéficier d’une prise en charge sanitaire identique à celle qui est proposée à la population en général. Par exemple, les « commissions régionales santé-justice sont insuffisamment réunies ». Il conviendra à l’avenir de « renforcer la coordination entre l’autorité judiciaire et les professionnels de santé », plaide le rapport, qui préconise l’adoption d’un nouveau plan intitulé « programme d’actions stratégiques relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice ». Ce programme ne reprendrait pas « les actions qui ressortent de l’organisation usuelle des soins », mais serait « centré sur des mesures permettant l’amélioration des soins et leur adaptation aux nouveaux enjeux ».
Dans ce cadre, les deux inspections suggèrent d’amplifier plusieurs orientations du plan 2010-2014. A commencer par les actions d’éducation à la santé, qui « ne bénéficient qu’à peu de personnes détenues ». A titre d’exemples, les auteurs estiment que la prévention des maladies non transmissibles (tel le dépistage du cancer colorectal) est « perfectible », ou encore que « la mise à disposition de préservatifs et de lubrifiants doit être généralisée ». De même, des travaux « restent à mener en vue d’une réduction des risques sanitaires liés à l’usage de stupéfiants ». Quant au tabagisme, l’IGAS et l’IGSJ militent pour la reconnaissance d’un droit à un encellulement non fumeur. Elles recommandent d’ailleurs d’associer la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives à l’élaboration et au pilotage du nouveau programme.
Face au manque de moyens des USMP, les inspections générales incitent notamment au développementde la télémédecine en milieu carcéral, tout en soulignant qu’elle ne doit être « qu’une modalité complémentaire d’accès aux soins » et « ne doit pas conduire à réduire des postes dans les USMP dans les spécialités déficitaires, eu égard à la difficulté de recruter ».
Le rapport recommande également d’introduire de nouveaux axes d’actions dans le futur programme d’actions. Il préconise, en particulier, d’améliorer l’accès effectif aux soins en rapport avec le motif de la condamnation, une question qui « se pose avec acuité » au regard notamment des difficultés d’accès aux soins psychiatriques des auteurs d’infractions sexuelles.
Il attire aussi l’attention sur la problématique de la perte d’autonomie liée au vieillissement et/ou au handicap (inadaptation des locaux, accès compliqué à l’allocation personnalisée d’autonomie et à la prestation de compensation du handicap, difficultés pour faire intervenir des auxiliaires de vie…) et de la fin de vie en prison. Selon l’IGAS et l’IGSJ, le futur programme d’actions doit donc absolument comporter un volet « médico-social » qui serait piloté par la direction générale de la cohésion sociale et la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie, en partenariat avec les maisons départementales des personnes handicapées et les conseils départementaux.
Les deux inspections souhaitent enfin que les couvertures sociales de base et complémentaire existantes à l’entrée en détention soient maintenues, afin de recentrer les tâches administratives de l’administration pénitentiaire sur les personnes sans couverture sociale.
(1) Evaluation du plan d’actions stratégiques 2010-2014 relatif à la politique de santé des personnes placées sous main de justice – IGAS-IGSJ – Disponible sur