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Trois jours pour redresser la barre

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Le service territorial éducatif de milieu ouvert et d’insertion de Melun organise des stages de citoyenneté. Une mesure alternative aux poursuites qui permet aux mineurs de réfléchir aux conséquences des délits qu’ils ont commis et à leurs droits et devoirs de citoyens.

« Vous devez savoir qu’en France, un mineur n’est jamais jugé comme un adulte et qu’il ne peut exécuter plus de la moitié de la peine décidée pour un adulte. C’est ce que l’on appelle l’“excuse de minorité” », explique Abdellah Hasni. Assis en cercle, les jeunes écoutent en silence le référent laïcité et citoyenneté à la direction territoriale de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse) de Seine-et-Marne, venu présenter l’exposition interactive sur la justice des mineurs intitulée « 13/18 Questions de justice ».

Cet après-midi, dans les locaux de l’UEAJ (unité éducative d’activités de jour), ils sont sept à consacrer une partie de leurs vacances à ce stage de citoyenneté organisé par le STEMOI (service territorial éducatif de milieu ouvert et d’insertion) de Melun. Agés de 15 à 18 ans, tous sont mineurs ou l’étaient au moment des faits pour lesquels le parquet a prononcé cette mesure comme alternative aux poursuites. Les uns ont commis des dégradations, d’autres des délits d’outrage, d’autres encore des tentatives de vol. Des actes relativement bénins, mais qui nécessitent d’être retravaillés avec les différents intervenants et les éducateurs de la PJJ dans le cadre de cette mesure éducative, a estimé le parquet. « En schématisant, on peut dire que ces jeunes sont sur le palier avant les marches qui mènent à toutes les sanctions judiciaires existantes, souligne Abdellah Hasni. On tente de leur faire comprendre qu’il faut essayer de vivre en bonne intelligence avec la société plutôt que d’être à contre-courant. »

Provoquer une prise de conscience

Instaurés en 2004, les stages de citoyenneté sont l’occasion de rappeler les règles et les valeurs républicaines de respect et de tolérance et de provoquer une prise de conscience salutaire. L’exposition de cet après-midi a pour objectif de préciser le cadre de la loi, d’en montrer les aspects protecteurs et d’expliquer également les risques réels encourus lorsqu’on en franchit les limites. Des limites avec lesquelles ces adolescents ou presque adultes sont d’autant plus tentés de jouer que, la plupart du temps, ils méconnaissent les règles en vigueur. « Ce qui les marque le plus, ce sont les réponses qui sont données lors de nos échanges et qui sont aux antipodes de ce qu’ils pensaient être la réalité », observe Abdellah Hasni. Derrière chacun des jeunes, de grands panneaux thématiques présentent les droits et devoirs de chacun, les différentes catégories d’infractions ou encore la procédure judiciaire relative aux mineurs délinquants. Certains d’entre eux tripotent nerveusement les cartons qu’ils ont choisis et au dos desquels figurent des cas concrets. Haut de survêtement à capuche, l’air faussement décontracté, Jules(1) lit la situation qu’il a sous les yeux. « J’ai été agressé et on m’a volé mon portable. Je connais l’identité de mon voleur. Que dois-je faire ? » Virginie Jadin, éducatrice spécialisée à l’UEMO (unité éducative en milieu ouvert) de la PJJ de Melun, est chargée de coordonner le stage. Elle rappelle que le fait d’avoir acheté un téléphone portable volé est un recel, délit puni par la loi, et qu’il faut toujours demander une facture. De son côté, Abdellah Hasni en profite pour revenir sur les grands types d’infractions que sont les contraventions, les délits et les crimes. Une autre question porte sur un cambriolage et permet à l’éducatrice spécialisée de préciser les peines encourues et les circonstances aggravantes. « Qu’est-ce qu’il faut faire si on se fait cambrioler ? », lance Virginie Jadin. Si la plupart des jeunes évoquent le dépôt de plainte, Assane, qui est aujourd’hui majeur, s’inquiète d’un face-à-face avec son voleur. « J’ai le droit de le taper, quand même… », tente le jeune homme, avant d’être immédiatement repris par le référent laïcité et citoyenneté : « Vous devez savoir que lorsqu’une situation dégénère, c’est rarement celui qui a commencé qui se retrouve devant le juge. De victime, il ne faut pas devenir agresseur. »

À la découverte du monde

Soigneusement encadrée par les deux professionnels de la PJJ, la discussion s’anime et les échanges fusent lorsque sont évoqués les dangers liés à la consommation de drogue ou les risques d’une utilisation non maîtrisée des réseaux sociaux. « Soyez vigilants lorsque vous diffusez des photos ou des opinions sur vos smartphones. On voit de plus en plus de jeunes devant les tribunaux pour enfants à cause de ça », prévient Virginie Jadin. Les jeunes sont tenus d’assister à l’ensemble des interventions prévues durant les trois jours que dure ce stage de citoyenneté. De leur assiduité et de leur comportement dépendra l’avis de validation du stage qui sera transmis au parquet par l’UEMO. Ils savent que, en cas d’avis négatif, la procédure judiciaire les concernant reprendra son cours. Depuis le début du stage, le groupe a déjà rencontré le substitut du procureur, venu leur rappeler le cadre et l’objectif de ce dispositif, et a pu assister à une audience correctionnelle pour adultes au tribunal. Un moment important, sur lequel les équipes de la PJJ s’appuient pour bien faire comprendre aux jeunes les différences de traitement entre les mineurs et les majeurs confrontés à la justice. « Lors d’un précédent stage, des jeunes ont été interloqués de voir un gamin de 19 ans qui comparaissait pour un vol de cuivre être condamné en moins de deux heures et partir directement en détention. Certains ne comprenaient pas, disaient qu’ils avaient fait des choses plus graves. Il a fallu leur expliquer qu’ils étaient mineurs et qu’à ce titre on leur laissait la possibilité et le temps d’évoluer », raconte Daniel Nicolas, responsable de l’UEMO.

Prendre en compte les victimes

Tout au long du stage, les équipes reviennent sur la notion de respect des autres et cherchent à amener les jeunes à changer leur perspective pour pouvoir prendre en compte les préjudices subis par les victimes. Virginie Jadin ne manque ainsi jamais une occasion d’interpeller les stagiaires sur la question du ressenti des habitants confrontés à des dégradations régulières ou sur l’ampleur des dommages, non seulement matériels mais aussi psychologiques, d’un cambriolage ou d’un vol. « On leur explique par exemple que lorsqu’on vole un scooter à un adulte, il va perdre une journée de travail, et que derrière tous ces délits il y a une personne, quelqu’un qui pourrait tout aussi bien être leur grande sœur, leur père, etc. » Pour enfoncer le clou, une rencontre avec les membres d’une association d’aide aux victimes de Seine-et-Marne a d’ailleurs été programmée. « La plupart du temps, lorsque les représentants d’une association de victimes demandent aux jeunes qui sont les victimes d’infractions pénales, ces derniers commencent par dire : “C’est nous”, remarque Nathalie Guignat, la responsable de l’UEAJ. Et, progressivement, ils arrivent à se positionner autrement par rapport à l’acte qu’ils ont commis. »

Les victimes, il en est également question durant la dernière journée de stage. Athlétique et souriant, Dominique Bunel capte l’attention des jeunes stagiaires à grands renforts de diapos et de vidéos spectaculaires. Ce chef de service à la direction de zone sûreté Paris Sud-Est de la SNCF a l’habitude d’intervenir dans ce type de stages. Les vidéos se succèdent. Elles montrent les comportements à risque de personnes qui traversent les voies ferrées, mal placées sur les quais ou en train de forcer des passages à niveau au péril de leur vie. D’autres images choc montrent les conséquences d’actes inconscients commis par des jeunes, comme les dégâts provoqués par des grosses pierres posées sur une voie de TGV et qui ont amené la SNCF à réclamer plusieurs dizaines de milliers d’euros de dommages et intérêts aux parents des mineurs fautifs. « C’est abusé, là ! », s’insurge Assane. Suit une séquence où défilent les images de wagons couchés sur les rails et éventrés après avoir déraillé sur une plaque de ferraille placée par un jeune. « Bilan : quatre morts, vingt-sept blessés et une peine de sept ans d’emprisonnement pour le jeune », finit par lâcher Dominique Bunel. « C’est pas beaucoup pour ce qu’il a fait », s’étonne un stagiaire. Les autres approuvent. A chaque fois, le chef d’équipe au sein de la police des chemins de fer revient sur les raisons de telle ou telle sanction, prend le temps de replacer les faits dans leur contexte et explique, dans ce dernier cas, que l’enquête n’a pas démontré qu’il y avait volonté de tuer. « Je ne suis pas là pour aborder uniquement le côté répressif, mais pour expliquer aussi tous les problèmes que nous rencontrons et limiter la casse, précise Dominique Bunel. Il s’agit également d’essayer de leur montrer ce que c’est lorsqu’on se met à la place du voyageur, des victimes. »

Redonner une place au dialogue

Après la pause, le chef d’équipe à la sûreté ferroviaire et Virginie Jadin évoquent la rapidité avec laquelle un nombre croissant de jeunes entrent dans le conflit, et leur difficulté, surtout lorsqu’ils sont en groupe, à accepter la discussion. Pour Dominique Bunel, les stages de citoyenneté doivent aussi viser à redonner une place au dialogue et à lutter contre cette culture du conflit. « On a l’impression que de plus en plus de personnes, les jeunes comme les adultes, sont formatées par les films, les médias et se braquent dès qu’il y a un problème. Ici, on essaie au contraire d’éviter le plus possible l’affrontement. »

C’est la dernière ligne droite pour ces jeunes qui commencent à montrer des signes de relâchement et d’impatience. Au programme de l’après-midi, une restitution collective, la rédaction d’une lettre individuelle adressée au procureur de la République pour expliquer ce que l’on a retenu de ces trois jours et un entretien avec une éducatrice spécialisée chargée de décider de la validation du stage. « Qu’est-ce que vous avez pensé de ce stage ? », lance Virginie Jadin. Après un moment de silence, quelques jeunes évoquent sa longueur, les audiences au tribunal où « on s’endormait parce que presque toutes les affaires ont été renvoyées », tandis que d’autres disent avoir aimé la rencontre avec les membres de l’association d’aide aux victimes et les interventions plus vivantes et interactives, comme celle du chef d’équipe à la sûreté ferroviaire. La coordonnatrice du stage revient sur certaines notions importantes, sur le rôle des différents acteurs engagés dans la justice des mineurs et insiste une dernière fois sur les conséquences du passage du statut de mineur à celui de majeur.

Il est temps de passer à la rédaction de la lettre au procureur. « Vous devez exprimer vos propres idées. Si vous me faites du copier-coller, je déchire les lettres et on recommence », avertit Virginie Jadin. L’exercice est inédit, et le groupe semble désemparé. « Y’aura beaucoup de fautes, madame », prévient un jeune, tandis que son voisin demande « s’il faut s’excuser »… Léo finit par s’affaler sur la table, complètement en panne. Peu bavard, l’air timide et un peu perdu, ce jeune garçon de 16 ans est arrivé ici après avoir écrit sur un mur des insultes contre la police. « J’étais un peu incontrôlable. Je voulais me faire remarquer par mes parents, qu’ils fassent plus attention à moi. Mais au final, ça n’a rien changé, ils s’en fichent complètement de moi », finit par confier le garçon. Les professionnels de la PJJ profitent également de ces stages de citoyenneté pour tenter de repérer les difficultés qui peuvent être à l’origine du passage à l’acte d’un mineur. « Quel que soit l’acte posé, il n’est jamais anodin. On s’aperçoit qu’au départ, il y a un moment de fragilité dans leur parcours, des répétitions dans leur histoire familiale qui peuvent expliquer ce qui s’est passé », assure Sylvie Duval, directrice du STEMOI Sud Seine-et-Marne(2). Lorsqu’elles apparaissent durant un stage, les situations les plus préoccupantes sont mentionnées dans les rapports et font parfois l’objet de signalements de la part des équipes de la PJJ. Ce sont aussi quelquefois les parents eux-mêmes, lors des entretiens avec le responsable de l’UEMO avant et après le stage, qui font état de difficultés importantes au sein de la famille ou dans le parcours de leur enfant. La plupart du temps, cette mesure alternative constitue pour les parents une première expérience avec la justice pénale, et il est également important d’utiliser ces entretiens préalables pour leur expliquer le sens de ce stage et son importance. « Les parents m’interrogent souvent sur les conséquences de cette mesure, et notamment les implications en termes de casier judiciaire, témoigne Daniel Nicolas. Je les rassure, mais ne cherche pas à dédramatiser. Je leur explique que commettre un délit n’est jamais insignifiant et qu’il y a forcément des conséquences. »

« J’espère ne plus vous revoir… »

Stylos à la main, les jeunes avancent tant bien que mal dans la rédaction de leur lettre. Certains appellent une éducatrice stagiaire à l’aide pour formuler une idée, d’autres demandent que l’on inscrive l’orthographe d’un mot au tableau ou bien cherchent désespérément l’inspiration en fixant le plafond. Régulièrement, Virginie Jadin vient chercher un stagiaire pour l’entretien individuel final. C’est le tour d’Assane. Dans un bureau à l’écart, l’éducatrice spécialisée lit sa lettre, lui demande s’il a déjà eu d’autres condamnations, les moments qui l’ont particulièrement intéressé et ce qui l’a marqué durant le stage. Assane revient sur les audiences auxquelles il a assisté : « Quand le procureur disait les peines, ça m’a vite calmé. Maintenant, je suis adulte et j’aurais pris pareil si j’avais fait la même chose… » Après avoir félicité Assane pour son implication durant ces trois jours, Virginie Jadin valide le stage du jeune homme et l’interroge sur ses projets. Pour Assane, comme pour beaucoup de stagiaires, l’infraction qui lui a valu cette sanction à caractère éducatif appartient au passé. L’intervention du chef d’équipe à la sûreté ferroviaire l’a beaucoup impressionné et il voudrait en savoir plus sur ces métiers. Il promet de passer au Bureau information jeunesse proche de chez lui. Léo, quant à lui, retournera au lycée après les vacances. Il veut devenir frigoriste comme son oncle, qu’il aide régulièrement dès qu’il a un moment de libre. « Etre ici, ça m’a permis de comprendre ce que les autres avaient pu ressentir après ce que j’ai fait, que j’avais fait du mal à des gens. Ça va m’aider à redresser la barre », assure le garçon. Marquer le coup pour éviter que ces jeunes, tous primodélinquants, ne se retrouvent à nouveau devant un juge, c’est l’objectif de ces stages de citoyenneté, martèlent les professionnels de la PJJ. « Ces stages sont une mesure courte. Il n’y a pas chez ces jeunes le sentiment de banalisation de l’action judiciaire que l’on peut trouver chez d’autres qui fréquentent régulièrement les tribunaux et qui doivent effectuer des peines de plusieurs mois, explique Daniel Nicolas. Et en général, lorsqu’on transmet au parquet un avis de validation du stage, ça s’arrête là. » Leur entretien terminé, les jeunes doivent encore passer un par un dans le bureau de la responsable de l’UEAJ, avant de « recouvrer la liberté ». Et là, Nathalie Guignat leur répète inlassablement la même phrase : « J’espère ne plus vous revoir… » Depuis son arrivée à la tête de l’UEMO de Melun, en septembre 2014, il n’y a eu qu’un seul cas de récidive, glisse Daniel Nicolas.

Notes

(1) Les prénoms des stagiaires ont été modifiés.

(2) Service territorial éducatif de milieu ouvert et d’insertion (STEMOI) Sud Seine-et-Marne : 52, rue du Général-de-Gaulle – 77000 Melun – Tél. : 01 64 14 23 40.

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