« Chaque année, l’Observatoire national de la protection de l’enfance – nouveau nom de l’Observatoire national de l’enfance en danger (ONED) depuis la loi du 14 mars 2016 – publie un ensemble de données chiffrées portant sur la population bénéficiaire d’une mesure ou d’une prestation en protection de l’enfance. Ces chiffres sont à l’heure actuelle des estimations (près de 290 000 mineurs concernés par une mesure ou une prestation de protection), réalisées sur la base des données d’activité des tribunaux et des services de l’aide sociale à l’enfance (ASE) ou de la protection judiciaire de la jeunesse(1).
Pourtant, depuis la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance, les observatoires départementaux de la protection de l’enfance et l’observatoire national sont chargés, chacun sur son territoire respectif, de recueillir un ensemble de données chiffrées permettant de décrire et d’analyser les parcours de tous les mineurs bénéficiant d’une mesure/prestation en protection. En bref, il s’agit d’un dispositif exhaustif, anonyme (une clé permet de suivre les parcours tout en préservant l’anonymat) et longitudinal (les informations concernant chaque parcours singulier peuvent être “chaînées” d’une année sur l’autre).
La mise en œuvre de ce dispositif a connu quelques soubresauts. Après la remise en cause du premier décret d’application en 2008, un deuxième, accompagné d’une autorisation unique de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, a été publié le 28 février 2011. Toutefois, le processus d’observation reposait sur une donnée non stabilisée, l’information préoccupante, définie différemment d’un département à l’autre, voire au sein d’un même département. Le périmètre de la population observée ainsi que la nature de certaines informations n’étaient donc pas similaires entre les départements. C’est pourquoi, au début 2013, l’ONED organisait, avec le soutien de l’Assemblée des départements de France, de la direction générale de la cohésion sociale et de la direction de la protection judiciaire de la jeunesse, une démarche de consensus. L’objectif était que tous les acteurs du dispositif tombent d’accord sur le périmètre exact observé. Le rapport remis à la ministre de la Famille par le comité d’experts en juillet 2013(2) donne une réponse précise : “Toute mesure individuelle de protection de l’enfance, administrative ou judiciaire, hors aides financières, entrant dans le périmètre de la loi réformant la protection de l’enfance du 5 mars 2007, déclenche l’entrée dans le dispositif national d’information quelle qu’en soit l’origine” (préconisation n° 1). D’autres préconisations visent à consolider ce dispositif(3).
Ainsi, ce n’est qu’à partir de la fin septembre 2013, à la suite d’une réunion commune des comités technique et de pilotage animés par l’ONED, que la mise en œuvre de ce dispositif a pu débuter(4). Aujourd’hui, dans ce processus d’élaboration du dispositif, où en est-on ? Que connaît-on de cette population de mineurs bénéficiant d’une mesure/prestation en protection de l’enfance ?
Notons au préalable que ce dispositif est totalement novateur. A l’heure actuelle, par exemple, en raison de l’évolution des logiciels utilisés, les services de la Justice ne sont pas en mesure de fournir des chiffres portant sur la population des mineurs qui bénéficient d’une mesure de protection (justice civile). Au-delà du champ de la protection de l’enfance, il n’existe pas en France un autre dispositif d’une telle ampleur, à la fois exhaustif, anonyme et longitudinal, qui permettrait d’assurer la comparaison. Une seule exception, certes de taille : le programme de médicalisation des systèmes d’information (PMSI). Depuis le début des années 1980, il a été prévu de mettre en place un système de suivi de chaque patient qui bénéficie d’un soin relevant du système de santé français. Alors que les investissements humains et financiers étaient conséquents, Il aura fallu près de vingt années pour imaginer et construire un dispositif satisfaisant !
Depuis 2013, la mise en place de ce dispositif de remontée des données en protection de l’enfance a rencontré de multiples difficultés, d’ordre technique, organisationnel et politique.
Tout d’abord, conformément au principe de la libre administration des collectivités territoriales, les départements disposent, pour la gestion de leurs missions, de logiciels “métiers” différents. Or le dispositif d’observation procède par extraction d’informations préalablement intégrées dans les bases de l’aide sociale à l’enfance, via ces logiciels “métiers”. Les éditeurs de logiciels, dans le cadre de leurs relations commerciales avec les départements, ne semblent pas toujours avoir été sollicités ou n’ont pas toujours répondu dans les temps et conformément aux obligations règlementaires opposables aux départements, pour qu’il puisse y avoir un renvoi annuel des bases de données des services de l’ASE vers l’Observatoire départemental de protection de l’enfance et l’ONPE. Sur ce point, certains départements envisagent de s’organiser pour porter une parole convergente, voire pour mutualiser leur action.
En outre, l’organisation de la mise en œuvre de la protection de l’enfance diffère selon les territoires. L’ensemble des informations relatives à l’évaluation, au suivi et à la fin des prestations/mesures n’est pas disponible dans les mêmes services ou lieux. A ce problème de la répartition de l’information entre la cellule de recueil de l’information préoccupante et l’ASE, voire le secteur associatif habilité, il faut adjoindre des difficultés propres à l’organisation de chacune de ces entités, ne serait-ce que sur le plan territorial (schématiquement centralisation ou territorialisation) ou de l’organisation des services (qui saisit l’information, la contrôle, la valide ?). Sur ce point, l’évolution technique est d’un grand secours : en ce qui concerne les logiciels “métiers”, le passage d’une version “poste” à une version “web” permet de rapprocher le mode de saisie de la source de l’information. Ainsi, certains départements ont laissé la possibilité (et ils envisagent qu’elle devienne une obligation) au secteur habilité de consulter certaines informations pour les mineurs qu’ils suivent, sur l’identité ou le statut juridique par exemple, et de saisir un certain nombre d’informations, plus propres à la vie quotidienne de l’enfant, telles que les informations relatives à la santé ou à la scolarité.
Enfin, notons une dernière difficulté : les départements font face à une crise budgétaire conséquente et certains accordent parfois la priorité à leurs investissements “informatiques” dans les domaines où une efficience budgétaire devient vitale, comme le RSA. L’acquisition des mises à jour des logiciels et les formations nécessaires, qui permettraient pourtant de répondre à des obligations légales, ne sont pas placées en priorité absolue. C’est pourquoi l’action de mobilisation de l’actuelle ministre chargée notamment de l’enfance peut porter, aussi dans ce domaine, ses fruits. Le vote de la nouvelle loi portant sur la protection de l’enfant (voir ce numéro, page 49) et surtout la mise en œuvre de la feuille de route 2015-2017(5) sont un élément mobilisateur.
Malgré ces difficultés, les résultats sont à la fois présents et prometteurs. En avril 2016, par exemple, un quart des départements ont transmis des bases de données à l’ONPE. Un travail constant mené par l’observatoire avec chacun des départements permet de renforcer la quantité et la qualité des informations.
Ainsi, la protection de l’enfance mobilise fortement les élus et les professionnels ; le gouvernement organise son action ; les acteurs, départements et secteur associatif habilité, notamment, innovent considérablement. L’ONPE suscite et accompagne ce mouvement sur chacun des plans : un suivi distinct pour chaque département, pour chaque éditeur, pour chaque type de professionnel et une action nationale concertée et mutualisée.
La mise en place d’un dispositif d’observation est toujours semée d’embûches et suscite des craintes. Elle permet pourtant pour chaque acteur de mieux connaître les populations suivies, les évolutions et plus largement de s’interroger sur le sens de la politique publique, la mise en œuvre par des dispositifs dédiés et la nature des pratiques. »
(1) Voir
(3) Voir
(4) Il est à noter que ce périmètre a été légalement consolidé par la nouvelle loi du 14 mars 2016, qui reprend intégralement cette première préconisation, tout en rajoutant dans le périmètre de la population observée les jeunes majeurs bénéficiant d’une aide ASE – Voir l’article 6 de la loi 2016-297 du 14 mars 2016 et la note d’actualité de l’ONPE sur