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« Ville, vie, vacances », un dispositif en manque de souffle

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Depuis 1982, le dispositif « Ville, vie, vacances » facilite l’accès aux loisirs des jeunes des quartiers défavorisés pour prévenir les pratiques délinquantes. Un temps vecteur d’innovations, ce programme, désormais rattaché aux contrats de ville, mériterait d’être repensé.

Une réponse aux émeutes et aux rodéos urbains de l’été 1981 dans le quartier des Minguettes à Vénissieux (Rhône) et dans d’autres villes de l’agglomération lyonnaise : c’est ainsi qu’a été conçu en 1982, sous l’impulsion des ministères de l’Intérieur et des Affaires sociales, le programme « Ville, vie, vacances » (VVV), prenant la suite des « opérations anti-été chaud » et « opérations prévention été ».

Créée dans l’urgence, cette offre d’activités destinée aux jeunes des quartiers populaires n’avait alors pas d’autre objectif que la prévention d’actes de délinquance attribués au désœuvrement d’une jeunesse ne partant pas en vacances d’été. Il s’agissait « d’éloigner les jeunes les plus turbulents des cités afin d’y maintenir le calme et, en même temps, d’effectuer une action de prévention originale, strictement ciblée et valorisante pour les publics réputés ne pas faire partie de la clientèle habituelle des travailleurs sociaux », explique une étude réalisée sous la direction du sociologue Didier Lapeyronnie pour les vingt ans du dispositif(1).

Rapidement, « Ville, vie, vacances » s’impose comme un laboratoire porteur d’innovations : le programme contribue à construire une politique de la ville tout juste naissante et à renouveler la prévention de la délinquance en mobilisant de nouveaux partenaires et en décloisonnant les pratiques professionnelles au-delà des frontières institutionnelles. Non sans résistances, en particulier « de la part d’équipes du travail social fortement hostiles à ce qu’elles vivaient comme une promotion de l’amateurisme, une négation de leurs compétences et la dépossession d’un quasi-monopole professionnel au profit d’actions militantes et spectaculaires qu’elles jugeaient peu efficaces sur le long terme, voire contre-productives », selon l’étude du sociologue. A l’époque, les critiques viennent aussi des villes accueillant des séjours de vacances financés par VVV qui, à la suite d’incidents avec les jeunes, se plaignent d’une « exportation de la délinquance ».

Un dinosaure

Il n’empêche, trente-cinq ans après, ce dispositif interministériel et multipartenarial de prévention et d’accès aux loisirs fait toujours partie du paysage. Ses objectifs restent très proches de sa vocation initiale : permettre aux jeunes âgés de 11 à 18 ans et résidant principalement dans les quartiers relevant de la politique de la ville d’accéder à des activités culturelles, civiques, sportives et de loisirs et de bénéficier d’une prise en charge éducative pendant les vacances. Progressivement étendu à tout le territoire national et à l’ensemble des vacances scolaires (la priorité restant la période estivale), ce dinosaure concerne aujourd’hui près de 350 000 jeunes. « C’est un programme qu’on peut considérer comme “classique” : les opérateurs l’activent depuis des années sans se poser de questions », avance Christophe Moreau, sociologue au cabinet de recherche Jeudevi (Jeunesse développement intelligents). « Non seulement c’est un des plus vieux dispositifs de la politique de la ville, mais il est populaire et donne de très bons résultats », précise Kaïs Marzouki, chef du bureau du soutien aux associations et de la participation des habitants à la sous-direction de la cohésion et du développement social du commissariat général à l’égalité des territoires (CGET), qui assure le pilotage du programme depuis janvier 2016(2). « Comme il fonctionne bien, il n’est pas question d’y toucher en profondeur, ajoute-t-il. En revanche, nous veillons en permanence à améliorer la qualité des activités proposées. »

Ce qui passe par des orientations fortes. Certaines visent ainsi à développer les actions en dehors des quartiers, pour une « plus grande ouverture des jeunes au monde extérieur »(3) (sous la forme de courts séjours éducatifs et de découvertes des institutions françaises et européennes, de sorties et séjours en dehors du quartier, de chantiers éducatifs, de stages de solidarité internationale…), ou à favoriser les activités qui reposent sur une coconstruction avec les jeunes, « afin de leur permettre d’être davantage acteurs des projets qui leur sont destinés »(4).

A charge pour les opérateurs de proposer des actions qui s’inscrivent dans ces priorités. Cet été, le centre socioculturel Etincelles situé dans le XXe arrondissement de Paris, dont « Ville, vie, vacances » finance huit activités – un chiffre important –, organise des « voyages culinaires » dans Paris alliant balade et restaurant (hors fast-food), une sortie au festival Solidays (avec sensibilisation aux infections sexuellement transmissibles et au sida et implication dans des actions de solidarité). Il investit également une place publique afin d’inciter les jeunes à participer à la création de leurs propres activités… L’association propose aussi des animations gratuites dans un square du quartier et des sorties en Ile-de-France à destination des familles avec adolescents. « Le dispositif a contribué à concevoir et consolider la politique jeunesse d’Etincelles en offrant un socle financier très intéressant », se réjouit Vincent Lacote, le directeur.

Les structures qui bénéficient des subventions VVV sont plutôt satisfaites. Mais le rattachement du dispositif aux nouveaux contrats de ville en 2015 fragilise certains opérateurs. Certes, la plupart des orientations destinées à rapprocher VVV du pilier « cohésion sociale » de ces contrats ne sont pas vraiment nouvelles (comme le fait de renforcer l’articulation avec les dispositifs existants en direction d’un public similaire et de mieux cibler les jeunes les plus en difficulté). Mais il devient difficile d’être éligible hors du périmètre des quartiers prioritaires : certaines actions extérieures aux contrats de ville pourront continuer à être soutenues « dans un souci d’accompagnement de la transition vers la disparition des aides accordées » mais « de façon très exceptionnelle », précise le CGET(5). Bertrand Février, responsable « jeunesse » de la maison de quartier Le Trois Mâts, situé dans un quartier d’Angers hors zone prioritaire, affiche une certaine inquiétude : « Nous ne savons pas si nous allons continuer à toucher des financements au titre de VVV dans les années à venir, alors que ce dispositif est primordial pour les jeunes publics en difficulté qui ont besoin d’un accompagnement adapté. »

Autre incertitude : la gestion du dispositif, jusque-là mis en œuvre par une cellule départementale réunissant les acteurs locaux chargée de la sélection et du suivi des projets (direction départementale de la cohésion sociale [DDCS], direction de la jeunesse, de l’éducation populaire et de la vie associative, caisses d’allocations familiales, protection judiciaire de la jeunesse…), peut désormais être confiée au comité de pilotage du contrat de ville. C’est chose faite dans le Maine-et-Loire, « ce qui a l’avantage de limiter les strates administratives », explique Pascal Boucherit, conseiller d’éducation sportive chargé du programme VVV au sein de la DDCS, qui continue toutefois à défendre avec conviction la spécificité du dispositif. Il ne faudrait pas, cependant, que cette évolution mette fin « à la mutualisation d’expériences et aux innovations collectives en matière de jeunesse » que la cellule départementale permettait, s’inquiète Bertrand Février.

Où sont les filles ?

D’autres réserves sont plus anciennes. Avec, en tête de liste, la sur-représentation des garçons dans les activités. Peu visibles dans l’espace public et moins identifiées dans les pratiques délinquantes, les filles ont « fortement tendance à être les grandes absentes de VVV », relève une étude menée par RésoVilles, centre de ressources politique de la ville en Bretagne et Pays de la Loire, en 2012(6). Auteure d’une recherche-action sur la mixité dans le programme VVV en 2014(7), la sociologue Dominique Poggi confirme : « A Paris, en 2012, les filles ne représentaient que 30 % du public. » La parité fait aujourd’hui partie des préoccupations centrales du CGET, « l’objectif étant d’arriver à une égalité stricte », avance Kaïs Marzouki.

Autres reproches : sa tendance à privilégier des animations à destination des plus jeunes (plus faciles d’accès que les 14-18 ans) et à flatter le désir de consommation des ados avec des activités dont la dimension éducative est parfois peu visible. Quant au recrutement des intervenants, il est loin d’être aisé : « Pour ces activités ponctuelles, nous avons recours à des vacataires qui sont souvent peu formés alors que nous aurions besoin de personnels à mi-chemin entre l’éducation spécialisée et l’animation socioculturelle », pointe Vincent Lacote. Par ailleurs, le fait de cibler les vacances scolaires induit une discontinuité préjudiciable à une relation éducative de qualité. Enfin, les financements n’étant pas reconduits systématiquement mais soumis à un appel à projets annuel, les structures dont les actions n’ont pas été retenues doivent souvent les abandonner – ou, pour le moins, en réduire le périmètre.

Dès 2002, Didier Lapeyronnie mettait en évidence le sentiment d’un dévoiement du programme : non seulement « les actions menées s’écartent peu de l’animation traditionnelle et ont peu d’impacts sur les jeunes, notamment sur les jeunes les plus en difficulté qui sont censés être visés », mais la « longue instruction des dossiers et les délais de financement interdisent à de nombreux acteurs de s’engager dans le dispositif et favorisent les associations ou les institutions déjà en place ». Quinze ans plus tard, Christophe Moreau prolonge la critique : étant donné son volet administratif important, « “Ville, vie, vacances” participe à une technicisation de l’accompagnement de la jeunesse au détriment de la relation de face à face qui devrait pourtant être au cœur du métier des intervenants ».

Que reste-t-il de la dimension novatrice initiale du programme ? Pas grand-chose, selon Jean-François Baulès, directeur de Ressources et territoires, un centre de ressources politique de la ville en Midi-Pyrénées : « Ce dispositif n’est plus qu’une ligne budgétaire parmi d’autres, il aurait dû depuis longtemps être repensé et intégré dans d’autres politiques publiques plus structurantes. » Certains départements ont franchi le pas et choisi de l’abandonner – comme dans la Sarthe où la cellule départementale VVV, en sommeil depuis 2010, a été remplacée par le comité « citoyenneté » du contrat de ville. « La plus-value du programme étant de plus en plus incertaine, nous avons décidé de l’arrêter, ce qui ne nous empêche pas de continuer à financer des activités similaires dans le cadre de l’enveloppe globale du contrat de ville », explique Patrick Bonnain, conseiller technique et pédagogique au sein de la DDCS de la Sarthe. Une évolution destinée à se généraliser ?

VVV en chiffres

→ 345 000 jeunes bénéficiaires, dont 80 % sont issus des quartiers prioritaires de la politique de la ville en 2015.

→ 1 970 porteurs de projets, dont 80 % sont des associations et 20 % des collectivités territoriales(*).

→ 2 965 actions dans 87 départements(*).

→ 8 millions d’euros de budget global annuel alloué par le CGET : les autres financeurs sont les caisses d’allocations familiales, les municipalités, les conseils départementaux et les conseils régionaux.

Notes

(1) Quartiers en vacances. Des opérations prévention été à “Ville, vie, vacances”, 1982-2002 – Editions de la DIV, 2002.

(2) A la suite de l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances dont il a repris les missions.

(3) Selon une note du CGET du 11 mars 2015.

(4) Selon une note du CGET du 10 février 2016 – Voir ASH n° 2950 du 4-03-16, p. 39.

(5) Dans sa note du 11 mars 2015.

(6) « Accompagner les jeunes vers l’autonomie dans le dispositif “Ville, vie, vacances” » – En ligne sur www.resovilles.com.

(7) « Pour qu’activités de loisirs riment avec égalité : participation des jeunes filles et mixité, l’exemple des VVV » – En ligne sur www.ddcs.paris.gouv.fr.

(*) Chiffres en 2014.

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