La Cour européenne des droits de l’Homme (CEDH) a, le 12 juillet, épinglé la France pour avoir, dans cinq affaires, placé en rétention administrative, entre 2011 et 2014, des enfants en bas âge avec leurs parents en situation irrégulière, dans l’attente de leur expulsion. Une pratique pour laquelle Paris a déjà été condamnée par la CEDH en 2012 – le fameux arrêt dit « Popov »(1) – et que dénoncent depuis des années les associations d’aide aux étrangers(2).
Dans les cinq affaires, la Cour a jugé que la France a, selon les cas, violé l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’Homme – qui interdit les traitements inhumains ou dégradants –, ou l’article 5 – qui prohibe la détention arbitraire –, ou l’article 8 – relatif au droit au respect de la vie familiale – ou bien encore les trois ensemble. Elle a notamment pointé l’âge des enfants concernés ainsi que la durée et les conditions de leur enfermement et reproché aux autorités françaises de n’avoir pas recherché de façon effective si le placement en rétention administrative de la famille était une mesure de dernier ressort à laquelle aucune autre mesure moins coercitive ne pouvait se substituer.
Dans tous ces dossiers, les enfants étaient particulièrement jeunes : en 2012, un enfant arménien de 4 ans a ainsi été placé 18 jours au centre de rétention administrative (CRA) de Toulouse-Cornebarrieu, avec ses parents. La même année, deux petites filles tchétchènes de 2 ans et demi et quatre mois ont passé huit jours au CRA de Metz-Queuleu, avec leur mère. La Cour était également saisie des cas d’un enfant roumain de 2 ans retenu pendant huit jours en décembre 2014 ainsi que de deux bébés tchétchènes de 7 mois et 15 mois, retenus respectivement pendant sept jours et neuf jours, tous au CRA de Toulouse-Cornebarrieu.
Les juges européens ont ordonné aux autorités de verser aux familles requérantes des sommes allant de 1 500 à 9 000 €, au titre du dédommagement moral.
Dans l’une des affaires – celle qui implique un enfant tchétchène de 15 mois –, le défenseur des droits avait fait une « tierce intervention ». La CEDH y condamne la France au regard des articles 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme. Dans un communiqué, Jacques Toubon se félicite de la condamnation de la France par la CEDH, qui conforte sa position sur le sujet. « La France avait pourtant déjà reçu un avertissement sévère » avec l’arrêt « Popov » mais cela n’a pas mis un terme à de telles pratiques. « La rétention des enfants s’est au contraire intensifiée », souligne-t-il, rappelant que, « selon un rapport publié en janvier 2016 par les associations présentes en CRA, le nombre de familles a plus que doublé en métropole entre 2014 et 2015, passant à 52 familles et 105 enfants ». « Le législateur, au motif d’encadrer cette pratique, l’a quant à lui légalisée le 7 mars 2016 [3] en l’accompagnant de très nombreuses dérogations, très proches de celles prévues par la circulaire » prise en 2012 après l’arrêt « Popov ». Or, répète Jacques Toubon, « cette circulaire n’a jamais empêché le placement de familles en CRA… ni la condamnation de la France ».
Le défenseur des droits profite donc de ces nouvelles affaires pour marteler sa position : la rétention administrative d’enfants – accompagnés ou non – étant contraire à l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi qu’aux articles 3, 5 et 8 de la Convention européenne des droits de l’Homme, le placement des mineurs en centres ou locaux de rétention doit être interdit et cette interdiction ne doit souffrir d’aucune exception. La loi du 7 mars 2016 « doit être réformée sur ce point ».
(2) Dans un communiqué, la Cimade s’est, du reste, félicitée de ces décisions et a appelé le gouvernement français à « en tirer toutes les conséquences ». « La loi doit changer pour mettre fin à l’enfermement en rétention des enfants, y compris à Mayotte. »
(3) La loi relative au droit des étrangers en France a posé un principe d’interdiction de la rétention des mineurs accompagnants… en admettant toutefois trois exceptions – Voir ASH n° 2968 du 8-07-16, p. 51.