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La nouvelle commission nationale consultative doit faire ses preuves

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Réinstallée en décembre dernier, la Commission nationale consultative des gens du voyage (CNCGDV) fera-t-elle mieux que la précédente instance, décriée pour son immobilisme ? Resserrée dans sa composition et renforcée dans ses missions, elle peine encore à être considérée comme un interlocuteur incontournable des pouvoirs publics.

En novembre 2013, le Premier ministre chargeait le délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement de réfléchir à une « redéfinition, par voie réglementaire, du rôle et des missions » de la Commission nationale consultative des gens du voyage, qui avait déjà connu deux légers toilettages en 1999 et 2003. Mais pas question, cette fois, d’un simple lifting. Après le sévère état des lieux réalisé par la Cour des comptes en 2012, qui appelait à « revoir en profondeur ses modalités de fonctionnement »(1), les préconisations du préfet Derache en 2013(2) et les nombreuses critiques sur l’inertie de l’instance et son mode de gouvernance peu démocratique, il s’agissait de procéder à une véritable remise à plat. Un objectif d’ailleurs en cohérence avec le plan de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale de 2013, dont une mesure invitait à renouveler la politique à l’égard des gens du voyage. Au terme de la concertation menée avec les associations concernées et après une gestation de près de deux ans, la nouvelle commission était formellement réinstallée en décembre 2015.

Des prérogatives renforcées

Mais, après six mois d’exercice, celle-ci doit encore convaincre. Certes, la réforme a donné des compétences nouvelles à cette instance et amélioré son efficacité. Le décret du 20 mai 2015, qui fixe ses nouvelles règles de fonctionnement et sa composition(3), conserve sa vocation initiale : être un organisme de réflexion et de concertation destiné à appuyer l’élaboration des politiques publiques concernant les gens du voyage. « Ses objectifs sont identiques à ceux de l’ancienne instance, à savoir faire des propositions pour garantir l’accès aux droits des gens du voyage », observe Marc Béziat, délégué général de l’Association nationale des gens du voyage citoyens (ANGVC). Mais, si la commission est, comme auparavant, consultée par le gouvernement sur les projets de textes législatifs et réglementaires et sur les programmes d’action relatifs aux gens du voyage, elle peut désormais proposer, de sa propre initiative, des mesures susceptibles d’améliorer leur situation. Le décret « renforce ses possibilités d’autosaisine », se félicite Stéphane Lévêque, directeur de la Fédération nationale des associations solidaires d’action avec les Tsiganes et les gens du voyage (Fnasat). Par ailleurs, la commission est chargée d’une nouvelle mission d’observation de la mise en œuvre des politiques publiques sur les gens du voyage. Enfin, elle est toujours tenue de rédiger un rapport annuel de bilan et d’orientation – document qui n’avait été produit qu’en 2001 et 2002.

La réforme a aussi cherché à renforcer l’efficacité de la commission. Sa composition (voir encadré ci-contre) est resserrée à 32 membres (au lieu de 40) élus pour cinq ans (au lieu de trois). Trois personnes issues de la communauté des gens du voyage siègent désormais à côté des associations représentatives. « On retrouve le principe d’une représentation directe des usagers sur le modèle du huitième collège du CNLE [Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale], cela va dans le bon sens », relève Stéphane Lévêque. Contrairement aux autres membres, ils ne devraient pas être nommés avant septembre en raison d’une procédure spécifique de désignation avec appel à candidatures. D’ores et déjà, « les relations avec les pouvoirs publics sont plus horizontales qu’auparavant : nous sommes moins cantonnés à un rôle de victimes qui réclament, notre parole semble mieux prise en compte », se réjouit Eugène Daumas, président de l’Union française des associations tsiganes (UFAT).

Autre avancée, le secrétariat est assuré par la délégation interministérielle à l’hébergement et à l’accès au logement (DIHAL), avec une conseillère chargée de l’animation de la commission à temps plein, Nathalie Goyaux, dont l’expertise est unanimement reconnue. L’ancienne commission ne fonctionnait plus qu’avec un appui minimal de la direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Marc Béziat se félicite « du volontarisme dont fait preuve la DIHAL ». Trois groupes de travail ont été rapidement mis en place : sur la réglementation (emploi-formation, habitat adapté, circulation, domiciliation…), sur les aspects mémoriels (dans la perspective d’une commémoration nationale relative à l’internement des nomades pendant la Seconde Guerre mondiale en octobre) et sur la reconnaissance de la place des gens du voyage dans la culture française. La dimension interministérielle de la DIHAL permet en outre d’élargir le cadre des discussions jusque-là bilatéral (ministère par ministère) de la commission, dorénavant placée auprès du Premier ministre (et non plus des ministres chargés des Affaires sociales et du Logement). Des inquiétudes demeurent toutefois. La DIHAL sera-t-elle capable de se mobiliser pleinement pour accompagner la nouvelle instance « qui doit se prononcer sur des sujets aussi variés que l’insertion professionnelle, la scolarité ou la culture des gens du voyage, ce qui dépasse son socle de compétences, à savoir l’hébergement et l’accès au logement » ?, s’interroge Stéphane Lévêque.

Quoi qu’il en soit, son organisation plus transparente tranche très nettement avec « l’opacité de l’ancienne commission », souligne Marc Béziat. « Son fonctionnement est bien plus structuré et rigoureux », renchérit Patrick Gohet, adjoint au défenseur des droits, membre de l’instance. De fait, « Il existe désormais un règlement intérieur qui a été discuté et validé par l’ensemble des membres », explique Nathalie Goyaux. Par ailleurs, un bureau « indépendant » – les représentants ministériels n’y participent pas – est chargé de l’ordre du jour. « Nous avons la volonté de faire bouger les lignes et, pour l’instant, ça fonctionne », se félicite Sylvain Mathieu, délégué interministériel à l’hébergement et à l’accès au logement.

Enfin, la nouvelle commission est présidée par Dominique Raimbourg, député (PS) de Loire-Atlantique, dont la légitimité n’est guère contestée. « Le fait que ce soit un parlementaire en vue, reconnu pour ses compétences sur le sujet, lui confère du poids », observe Patrick Gohet. L’intéressé n’hésite pas d’ailleurs à user de son statut de député pour plaider la cause des gens du voyage sur des sujets souvent techniques auprès du gouvernement dès que l’occasion se présente. « Il faut relancer la dynamique et la liste des thèmes que je souhaiterais que la commission aborde est encore longue : la santé, les rites funéraires… », soutient-il.

Des progrès à faire

Néanmoins, si l’instance est plus opérationnelle, encore faut-il qu’elle soit considérée comme un interlocuteur incontournable. Or les pouvoirs publics ont encore des progrès à faire. Même si, depuis décembre, la commission a été saisie deux fois – par le commissariat général au développement durable sur des sujets d’ordre environnemental et par la DGCS sur le projet de circulaire sur la domiciliation, elle n’a, en revanche, pas été consultée sur le « chèque énergie »(4), dont l’expérimentation a débuté en mai, déplore Stéphane Lévêque : « Les gens du voyage n’ont tout simplement pas été pris en compte : quelles que soient leurs ressources, ils ne sont pas éligibles au “chèque énergie”. »

Certes, la commission a rendu un avis sur l’évolution du formulaire CERFA de demande de logement social pour mieux prendre en compte l’habitat mobile. Celui-ci devrait déboucher sur une disposition réglementaire, ce qui serait « une avancée essentielle », selon les associations. En revanche, parmi les propositions qu’elle avait formulées sur le projet de circulaire annuelle relative à la préparation des stationnements estivaux des grands groupes de caravanes de gens du voyage (dite « circulaire “grands passage” », signée le 1er avril), seule la nomination d’un médiateur par département a été retenue. Ses autres préconisations – implication dans la préparation de la circulaire de l’ensemble des associations concernées, suppression de sa temporalité estivale et amélioration de l’organisation des stationnements – sont passées à la trappe. « On a le sentiment que le groupe de travail préparatoire au texte n’a été qu’un faire-valoir », déplore Marc Béziat, dont l’association s’est fendue d’une lettre(5) au ministère de l’Intérieur faisant état de sa déception.

Avec seulement trois plénières à son actif – en décembre, en février et en mai – et un calendrier serré, il est encore trop tôt pour savoir si la commission va pouvoir s’investir pour faire avancer la question des gens du voyage. D’autant qu’elle est aussi tributaire de la politique menée à l’égard de cette population. Or cette dernière est pour le moins frileuse. L’habitat mobile n’est toujours pas reconnu comme un logement(6). Par ailleurs, la proposition de loi relative au statut, à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, portée par Dominique Raimbourg, visant notamment à abroger les mesures discriminatoires issues de la loi de 1969 (en particulier les livrets de circulation), a certes été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale en juin 2015, mais elle n’a jamais été inscrite à l’ordre du jour du Sénat. Et il a fallu que les députés reprennent la main en déposant des amendements pour que ses dispositions soient reprises dans le projet de loi « égalité et citoyenneté », adopté en première lecture à l’Assemblée nationale au début juillet. « Le gouvernement n’a pris aucune initiative, ce sont les parlementaires qui ont été moteurs, commente Marc Béziat. Dans ce contexte peu mobilisateur, si les avis de la commission ne sont pas suivis d’effets, elle risque d’avoir très vite du plomb dans l’aile. » La façon dont elle va fonctionner sera un signal fort, estime Stéphane Lévêque : « Si elle est consultée et écoutée, ce pourra être l’amorce d’un retour à la confiance, sinon la distance entretenue entre les pouvoirs publics et les gens du voyage a encore de beaux jours devant elle. »

Une trentaine de membres

Créée en 1992, la Commission nationale consultative des gens du voyage a été resserrée à 32 membres en 2015, répartis en quatre collèges :

→ 8 membres désignés par les ministres des Affaires sociales, du Logement, de l’Intérieur, de l’Emploi et de la Formation professionnelle, de l’Education nationale, de la Santé, de la Culture et de l’Economie ;

→ 8 élus dont un député, un sénateur, trois maires, deux conseillers départementaux et un conseiller régional ;

→ 8 représentants des associations des gens du voyage – Action grand passage, l’ANGVC, l’Association sociale nationale internationale tsigane, Culture et tradition des gitans du Grand Sud, la Fnasat, France liberté voyage, l’UFAT, l’Union pour la défense active des forains ;

→ 8 personnalités, dont trois issues de la communauté des gens du voyage.

Notes

(1) L’accueil et l’accompagnement des gens du voyage – Octobre 2012 – Rapport disponible sur www.ccomptes.fr – Voir ASH n° 2779 du 19-10-12, p. 10.

(2) Dans son Appui à la définition d’une stratégie interministérielle renouvelée concernant la situation des gens du voyage – Juillet 2013 – Disponible sur www.gouvernement.fr – Voir ASH n° 2819-2820 du 19-07-13, p. 21.

(3) Voir ASH n° 2912 du 29-05-15, p. 40.

(4) Voir ASH n° 2960 du 13-05-16, p. 42.

(5) Egalement signée par France liberté voyage, La vie du voyage et l’Aumônerie nationale des Gitans et gens du voyage.

(6) Une étude, rendue publique par la DIHAL en mai dernier, devrait faire avancer la réflexion sur le sujet – Disponible sur www.dihal.gouv.fr – Voir ASH n° 2965 du 17-06-16, p. 11.

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