Quel est « l’effet causal » du chômage sur la santé mentale ? C’est ce qu’ont cherché à déterminer deux chercheurs pour le compte de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), qui vient de publier le résultat de leurs travaux(1). Ils ont d’abord passé en revue la littérature sur la question du lien entre chômage et santé mentale, selon laquelle les chômeurs sont plus exposés aux risques pour la santé mentale (épisodes dépressifs plus nombreux que chez les actifs, consommation plus élevée de psychotropes). A ces derniers s’ajoutent plusieurs « facteurs de risque » (perte de revenus et moindre couverture santé pouvant freiner l’accès aux soins, exposition au stress et perte de confiance en soi, « déviation à la norme sociale » et isolement), qui s’accumulent en cas de chômage de longue durée.
Cependant, « l’identification empirique de ces différents effets » est « particulièrement difficile », la corrélation entre chômage et santé pouvant « être le reflet de caractéristiques inobservées ou inobservables – par exemple une faible estime de soi – qui seraient des facteurs latents de dépression mais aussi de chômage. De plus, peut se poser un problème de causalité inverse, les individus en moins bonne santé étant, d’une part, plus susceptibles de tomber au chômage et, d’autre part, moins susceptibles d’en sortir ».
Afin d’évaluer dans quelle mesure « l’expérience et la durée de chômage affectent la santé mentale des individus en augmentant les troubles mentaux dits courants, soit les troubles de l’humeur et les troubles anxieux », les auteurs ont bâti un modèle économétrique se fondant sur le panel des enquêtes « Santé et itinéraire professionnel » de l’INSEE de 2006 et 2010. Dans celui-ci, « la santé est considérée comme un capital qui évolue en fonction des investissements réalisés et des facteurs influençant sa dépréciation ». Ce modèle fait également intervenir un certain nombre de variables sociodémographiques (âge, niveau d’études, taux de chômage moyen dans la zone d’emploi…). Les résultats indiquent que l’expérience du chômage a un « effet causal néfaste sur la santé mentale chez les hommes » – surtout après 40 ans – alors que ce n’est pas le cas pour les femmes. Chez ces dernières, « les périodes d’inactivité de plus d’un an ne sont significatives que pour la consommation de psychotropes », mais au final, « l’expérience de chômage [semble] moins mal vécue » chez elles que chez les hommes. Enfin, « du point de vue des politiques publiques, cette étude montre qu’un accompagnement psychologique ciblé et efficace des chômeurs permettrait de prévenir la survenue de troubles mentaux », ajoutent les auteurs.
(1) Economie et statistique n° 486-487 – Juillet 2016 – En ligne sur