La mission stratégique qui lui est confiée, sa vocation interministérielle, l’élargissement de sa composition et les moyens qui lui sont promis devraient conférer au Haut Conseil du travail social ce qui manquait à l’ancien CSTS (Conseil supérieur du travail social) : de la visibilité et de l’influence. S’il faudra attendre sa première séance de travail, le 22 septembre, pour qu’elle entre dans le vif du sujet, l’instance consultative installée le 7 juillet par la secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, Ségolène Neuville (voir ce numéro, page 55), suscite beaucoup d’attentes. A la hauteur des enjeux du plan d’action en faveur du travail social et du développement social, dont elle est la première traduction concrète.
Conformément aux vœux de sa présidente, Brigitte Bourguignon, députée (PS) du Pas-de-Calais et auteure du rapport de préfiguration de l’instance, le Haut Conseil s’ouvre à d’autres acteurs de l’action sociale, dont les représentants des personnes accompagnées et les organisations professionnelles. Marcel Jaegger, titulaire de la chaire de travail social et d’intervention sociale du CNAM, ancien membre du CSTS et nouvellement mandaté en tant que « personnalité qualifiée », y voit l’opportunité « d’engager un travail collectif », sur « des valeurs communes », à condition de ne pas réitérer l’absentéisme qui a si souvent caractérisé les séances de l’ancien conseil. Certains représentants des pouvoirs publics avaient brillé par leur discrétion, et à désormais 58 membres (contre 49 auparavant) et en l’absence de suppléants, la tâche ne va pas forcément aller de soi. Le Haut Conseil « reprend largement les missions du CSTS, mais avec une ouverture sur une réflexion générale et le rôle officiel d’émettre des avis sur les projets de loi », se félicite Brigitte Bouquet, qui a été membre et vice-présidente du CSTS. Tout en regrettant, notamment, que le collège des acteurs de la formation ne dispose que de trois représentants. Autre nouveauté pour cette instance qui compte en très grande partie de nouveaux visages : sa présidence n’est plus confiée au ministère de tutelle, « ce qui devrait lui permettre plus d’indépendance », remarque encore Brigitte Bouquet.
La constitution de groupes de travail, lesquels pourront associer des personnes extérieures, devrait aussi permettre au Haut Conseil de lier plus facilement ses réflexions avec celles des professionnels. « La démarche de consensus sur le partage de l’information va s’appuyer sur des allers-retours avec le terrain », précise Franche Roche, d’ores et déjà reconduit à la tête de la commission « éthique et déontologie », avant que l’ensemble de la gouvernance du Haut Conseil soit définie en septembre. C’est aussi l’optique dans laquelle devraient travailler les six organisations désignées pour représenter les personnes accompagnées. A l’exception du CCPA (conseil consultatif des personnes accueillies et accompagnées) et de la Fédération nationale des Adepape (associations départementales d’entraide des personnes accueillies en protection de l’enfance), elles ne sont pas forcément constituées de personnes étant ou ayant été directement prises en charge. La configuration diffère donc de celle du 8e collège du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. « L’idée est de faire travailler les personnes concernées sur des sujets précis, avec des auditions, explique Isabelle Bouyer, bénévole à ATD quart monde, membre de ce collège, responsable de pôle au département « action sanitaire et sociale » de la MSA Marne-Ardennes-Meuse. Par exemple, sur le référent de parcours, « qui va être expérimenté dans quatre départements, des groupes de militants vont être constitués, notamment pour être associés à la définition d’indicateurs pour évaluer la pertinence de cette expérimentation. L’enjeu est d’avancer avec l’expertise des personnes en situation de pauvreté et en lien avec le travail social, avec une vraie volonté de redonner du sens à la profession ».
L’un des « chantiers prioritaires » assignés à l’instance, dans la droite ligne du plan d’action interministériel, risque d’entraîner des discussions houleuses : la définition du travail social dans le code de l’action sociale et des familles. Certains y voient le risque de figer ce champ complexe par une démarche « descendante ». « Mais n’est-ce pas ce que l’on a fait avec la définition du handicap ?, relève Manuel Pélissié, membre du Haut Conseil du travail social au titre de « personnalité qualifiée » et président de la commission professionnelle consultative (CPC) du travail social et de l’intervention sociale. Consacrer la définition internationale du travail social est, commente-t-il, une perspective ouverte pour reconnaître à ce dernier le statut de « pratique et de discipline ». Autre motif de satisfaction à ses yeux : « la complémentarité, et non la confusion » entre le rôle du Haut Conseil et celui de la CPC, qui doit bientôt finaliser, comme demandé par Ségolène Neuville, un schéma directeur sur la refonte de l’architecture des diplômes en travail social(1). La complémentarité des deux instances devrait également exister à travers les débats et controverses sur la délimitation du travail social. Brigitte Bourguignon a salué, lors de la séance d’installation, l’entrée de la médiation dans l’instance, à travers la présence de France médiation au sein du collège des organisations professionnelles. « Il faut réfléchir en amont et en aval aux passerelles, que les travailleurs sociaux sortent de leur tour d’ivoire »,se félicite Patrick Doutreligne, président de l’Uniopss, représentée au Haut Conseil dans le collège des « associations et organismes nationaux ».
Pour les organisations professionnelles, être représentées en tant que telles (et non plus à travers des « personnalités qualifiées) est une victoire de haute lutte. « C’est une demande ancienne de l’ANAS [Association nationale des assistants de service social] », rappelle sa secrétaire nationale, Sandrine Dumaine, qui siège désormais au Haut Conseil et se félicite, en particulier, de « sa capacité d’autosaisine qui nous permettra de porter des thématiques de travail en fonction des remontées des professionnels sur le terrain ». Même satisfaction du côté de l’Organisation nationale des éducateurs spécialisés, dont le président, Jean-Marie Vauchez, émet néanmoins quelques réserves : « le Haut Conseil est placé non pas auprès du Premier ministre mais de la ministre des Affaires sociales. Je crains que l’on reproduise une interministérialité très marginale », relève-t-il, ajoutant que le Haut Conseil devra, contrairement au CSTS, avoir les moyens de ses ambitions.
Tout en soulignant que les délais sont courts avant la fin de la mandature présidentielle, Cristelle Martin, présidente de l’Association nationale des cadres de l’action sociale des départements, compte aussi sur la nouvelle instance pour « synthétiser et produire des propositions de guidance ». Dans un contexte financier tendu pour l’action sociale, elle y voit le moyen de prolonger et d’amplifier le rôle des cadres départementaux « dans la réflexion sur l’action sociale, qui n’est pas juste une question d’équations d’allocations individuelles, dans la défense du travail social, du développement social et de la prévention ». Certains observateurs déplorent néanmoins des absents dans cette représentation collective, à l’instar de Lyes Louffok, auteur de l’ouvrage Dans l’Enfer des foyers. « Les assistants familiaux n’y sont pas représentés. C’est grave », a-t-il souligné sur son compte twitter @LyesLouffok. « D’autant qu’ils sont travailleurs sociaux à part entière » et qu’ils « souffrent d’un manque de reconnaissance important ».
Au final, les plus déçus figurent parmi les organisations syndicales, dont certaines se sentent lésées à la faveur de l’élargissement de l’instance. « Nous avions toujours reçu une fin de non-recevoir à notre demande d’être représentés », rappelle Christel Choffel, membre du bureau national du Syndicat national unitaire des assistants sociaux de la fonction publique-FSU. Si cette absence, comme celle de SUD, est désormais réparée, « nous ne sommes que huit sur 58 membres, cette reconnaissance n’est pas à la hauteur de la légitimité des syndicats ! », estime-t-elle. Par ailleurs, « où sont la Fédération autonome de la fonction publique territoriale et les syndicats étudiants ? » Christine Sovrano, membre du collectif « travail social » de la CGT, désormais membre, rappelle que les organisations syndicales « étaient 33 au début du CSTS » et une douzaine selon l’arrêté de nomination de 2010. « Dire que les organisations syndicales sont uniquement dans la défense des conditions d’exercice donne une vision dévalorisée de leur rôle, ajoute-t-elle. J’ai tenté d’interpeller le Haut Conseil sur la question, mais cela a été mal perçu. » Lors de l’installation de l’instance, Brigitte Bourguignon s’était pour sa part félicitée de la présence de « toutes les organisations syndicales dans la perspective de leur apport constructif sur les pratiques professionnelles ».
Pour les dix mois à venir, Ségolène Neuville s’est engagée à lancer des chantiers « irréversibles » pour le travail social. « Mais que se passera-t-il après 2017 ? », interroge de son côté Alain Dru, ancien membre au titre de la CGT. Avec à la tête de Haut Conseil une élue, certes plébiscitée pour son engagement pour le travail social, « les choses sont politiquement liées », considère-t-il.
(1) Ce projet devrait être soumis au vote de la CPC le 15 septembre. Autour de socles communs et d’une organisation par filières, l’idée est celle, selon Manuel Pélissié, d’une « spécialisation progressive qui amènera aux diplômes actuels ».