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Laïcité : le rapport « Thierry » propose de créer un module de formation obligatoire et d’élaborer une charte

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Missionné en novembre dernier, le vice-président sortant de l’ex-Conseil supérieur du travail social (CSTS) a, le 7 juillet, remis à Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, son rapport intitulé « Valeurs républicaines, laïcité et prévention des dérives radicales dans le champ du travail social »(1). Un rapport qui doit être articulé avec l’avis que le CSTS – récemment transformé en Haut Conseil du travail social (voir ce numéro, page 55) – a élaboré sur la laïcité appliquée au travail social(2). Pour Michel Thierry, au regard des problématiques « socialement très complexes et politiquement délicates » qu’il aborde, il s’agit là d’un « rapport d’orientations », « certainement lacunaire en termes d’analyses et de débats », mais qui essaie de « coller aux aspirations des acteurs de terrain et aux questionnements des professionnels de l’action sociale et socio-éducative et des formateurs ».

Réintégrer les quartiers délaissés

La République est représentée sur les territoires au travers de ses services publics ou de ses institutions ou des personnes participant à des missions d’intérêt général au bénéfice de la collectivité. Or, déplore Michel Thierry, force est de constater que « la présence des intervenants sociaux, dans nombre de territoires déshérités, urbains ou ruraux, est aujourd’hui de plus en plus problématique » et encore plus dans les banlieues dites « sensibles » où « il n’existe plus que très peu d’intervenants sociaux, ou même d’“adultes de référence” ». D’ailleurs, estime-t-il, ce dernier constat mériterait à lui seul un « rapport d’analyses et d’inventaire, beaucoup plus fouillé », car il y a « des raisons d’être inquiet » : « paradoxe dramatique de l’affaiblissement ou du cantonnement de la prévention spécialisée », « sans doute trop d’animateurs périscolaires ou de médiateurs qui jouent le rôle de “grands frères” dans un style dynamique mais véhiculant parfois visions manichéennes et préjugés machistes », « équipements socio-éducatifs de proximité qui peuvent être pris en otage ou contrôlés par des groupes radicalisés », etc.

Dans ce contexte, l’ancien vice-président du CSTS considère qu’il faut « renforcer la présence et la qualification des intervenants sociaux sur les territoires délaissés ». Comment ? Par exemple, illustre-t-il, en confortant les équipes de prévention spécialisée et en réaffirmant leurs missions globales de prévention, en les inscrivant dans les dispositifs contractuels de la politique de la ville et dans les compétences sociales des agglomérations ou encore en construisant des passerelles entre animateurs sociaux, médiateurs sociaux ou urbains et filières éducatives du travail social dans le cadre d’une politique d’ensemble de qualification des intervenants sociaux sur les quartiers populaires dits « sensibles ».

Prévenir les dérives radicales

Si « l’opinion est aujourd’hui très mobilisée et très concentrée sur la “radicalisation” », Michel Thierry le rappelle : « le rôle du travail social est d’intervenir en amont, pour contrer des processus de désaffiliation sociale ou de crise personnelle » ou pour « lutter contre les violences et pour le respect d’autrui (et de soi) ». Le travail social s’inscrit donc dans une dynamique préventive, « sous réserve encore une fois de sa disponibilité et de son immersion dans les milieux concernés ». Car, pour l’ancien vice-président du CSTS, « le problème est qu’on consacre souvent beaucoup plus d’énergie et de moyens, à coup de “dispositifs”, à repriser les accrocs du tissu social qu’à en renforcer la trame ». En outre, souligne-t-il, même si ce n’est pas une mission spécifique pour les travailleurs sociaux, la prévention du passage à l’acte fait « partie intégrante de leur rôle en matière de protection de l’enfance et, dans une certaine mesure, de lutte contre l’exclusion ». « Il faut du reste à tout prix éviter, sur certains sites, d’enfermer les éducateurs de rue dans une fonction de prévention de la radicalisation, ou de créer une nouvelle catégorie d’intervenants spécifiques, ou de privilégier des associations focalisées sur cette pointe émergée de l’iceberg. » Lorsque le danger est avéré, les travailleurs sociaux peuvent signaler le jeune aux instances de sécurité locale (3), un processus qui, pour l’auteur du rapport, « doit être construit dans le respect des règles éthiques et déontologiques ».

Mieux former les professionnels

Pour mieux incarner les valeurs de la République, les travailleurs sociaux doivent être mieux formés, insiste Michel Thierry : « même s’il existe des contenus de formation initiale à compléter ou à renforcer […], un défi central à relever est celui d’une pédagogie rigoureuse et très concrète, largement construite sur l’alternance théorie-pratique, afin de mettre de futurs professionnels plus à l’aise pour affronter des questions difficiles, dans un tissu social qui se délite ». Il propose ainsi d’introduire, « à mi-parcours des cursus, un module de formation sur la laïcité, à caractère obligatoire » afin de « développer le contenu de la laïcité » (rappel des repères historiques et des enjeux philosophiques et sociaux, analyse des défis actuels à l’aune de la diversité…). Module qui pourrait trouver sa place « dans les enseignements du futur socle commun [de compétences des formations sociales] relatifs à l’éthique et à la déontologie du travail social valant pour toutes les filières d’exercice ». « Si l’accent est mis ici sur les formations de niveau bac + 3 ou + 2, il est clair que des éléments de formation sur la laïcité, adaptés aux futures responsabilités à exercer, devraient également être dispensés dans des cursus plus courts, comme dans les formations de directeurs ou de cadres », estime l’auteur. Mais faut-il prévoir un enseignement sur les religions ? Pour lui, « il peut faire l’objet d’une séquence de quelques heures dans le cadre du module sur la laïcité, et/ou d’un module d’approfondissement à caractère optionnel  », mais « il importe de ne pas enseigner les religions en tant que telles, parce que cela pourrait autoriser, voire inciter, les travailleurs sociaux à entrer dans des débats religieux, notamment lorsqu’ils sont sollicités ». Plus globalement, le rapport recommande d’élaborer, avec les instituts de formation, une circulaire d’orientations pédagogiques sur l’appropriation des valeurs républicaines et de la laïcité dans l’enseignement et la pédagogie.

Que penser aussi de la mise en place de « référents laïcité » (4) ? « C’est une disposition très utile à condition que les titulaires soient réellement formés et se situent à un bon niveau de responsabilité  », juge Michel Thierry. En tout cas, a-t-il noté, formateurs et étudiants insistent sur les « forts besoins de discussion et de confrontation des pratiques des personnes qui viennent se former ». Dans ce cadre, s’interroge encore l’ancien membre du CSTS, une charte de la laïcité dans le champ du travail social a-t-elle sa raison d’être ? Pourquoi pas, selon lui, mais encore faut-il qu’elle soit « largement concertée, largement bâtie par les professionnels eux-mêmes ». Cette charte – comme celle qui a été adoptée par la caisse nationale des allocations familiales(5) – permettrait alors de « définir les grands traits de l’obligation de neutralité ou de non-ingérence pour les établissements privés mettant en œuvre une mission d’intérêt général, de fournir quelques références communes, utiles aux gestionnaires pour déterminer leurs règlements intérieurs et plus généralement leur pratique de la laïcité, comme aux collectivités publiques pour fixer leurs critères d’agrément, d’habilitation ou de conventionnement ».

Notes

(1) Disponible sur http://bit.ly/29yMuhR.

(2) Voir ASH n° 2938 du 18-12-15, p. 11.

(3) En pratique, relève le rapport, les signalements effectués par les travailleurs sociaux concernent surtout des jeunes majeurs qui ne sont plus pris en charge par leurs familles, les mineurs étant par priorité signalés aux dispositifs spécifiques de protection de l’enfance.

(4) Voir ASH n° 2965 du 17-06-16, p. 5.

(5) Voir ASH n° 2924 du 11-09-15, p. 7.

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