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Avant de prendre son envol

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Depuis 2015, le service « appartement » du foyer Léopold-Bellan, à Courbevoie, a intensifié l’accompagnement vers l’autonomie des jeunes filles accueillies. Au cœur de ce cheminement, des modules collectifs obligatoires qui préparent à tous les aspects de la vie quotidienne.

Mercredi à 14 heures, Corinne Jean-Marie, maîtresse de maison au foyer Léopold-Bellan de Courbevoie (Hauts-de-Seine)(1), sonne à la porte d’un logement situé à Clichy-la-Garenne, une commune proche. Ici vivent trois jeunes filles suivies par le service « appartement » du foyer. Et cet après-midi, elles y accueillent le module collectif « Manger pour moins de 5 € » animé par Corinne Jean-Marie.

Etablissement de la Fondation Léopold-Bellan, le foyer de Courbevoie accueille 37 jeunes filles âgées de 13 à 21 ans prises en charge dans le cadre de la protection de l’enfance, dont quelques jeunes majeures. Il se compose d’un internat, d’un accueil en famille et du service « appartement ». Depuis la restructuration de l’ensemble du foyer menée en 2015, ce service est autorisé à prendre en charge non seulement des majeures, mais aussi des mineures, dès l’âge de 16 ans. Sa capacité est passée de 10 à 15 jeunes (13 majeures et 2 mineures), réparties sur quatre studios, quatre appartements de deux places et un de trois places. Trois d’entre elles travaillent, quand les autres sont en formation (dix en alternance et deux au lycée). « Nous nous sommes rendu compte qu’il existait un vrai besoin dans le département. En effet, certaines jeunes ne supportent pas les structures collectives et ont besoin d’un cadre plus restreint », explique Jean-Philippe Collombet, directeur du foyer. L’agrandissement du service et le rajeunissement du public pris en charge en 2015 ont été accompagnés d’une réflexion sur la manière de mieux préparer mineures et jeunes majeures à l’autonomie. « Quand ces jeunes filles quitteront le service, elles devront se débrouiller seules. Il est donc primordial de l’anticiper, car cette sortie des dispositifs de protection est souvent difficile », constate le directeur, qui rappelle que près d’un sans-domicile fixe sur quatre a été pris en charge dans sa jeunesse par l’aide sociale à l’enfance. Un chiffre qui monte à 35 % chez les jeunes errants de 18 à 24 ans. Le responsable reprend volontiers à son compte cette phrase tirée du « Rapport annuel 2011 du Défenseur des droits » : « La sortie est le maillon faible de notre dispositif de placement. » Dans les structures collectives, l’organisation de la vie quotidienne est très majoritairement assurée par des professionnels. La fin de la prise en charge par les services de protection de l’enfance peut donc être brutale pour des jeunes qui n’ont pas pu bénéficier d’une transmission des actes de la vie quotidienne par leurs parents et qui, du jour au lendemain, doivent se débrouiller seuls.

Insister sur des détails « évidents »

Pour pallier ces difficultés, le passage par le service « appartement » a été conçu comme un premier sas vers l’autonomie, permettant de mesurer le chemin restant à parcourir pour atteindre ce but. « Une jeune m’a interpellé en disant qu’elle n’avait pas de lumière chez elle. L’ampoule était grillée. Je lui ai demandé pourquoi elle n’en avait pas acheté. Elle l’avait fait, mais en avait pris une à vis au lieu d’une à baïonnette », illustre Jean-Philippe Collombet. Des détails qui paraissent évidents pour les professionnels ne le sont pas pour les jeunes. « Il faut, par exemple, insister sur le fait que si l’on n’enlève pas ses cheveux après s’être douché, cela peut boucher la baignoire et que cela va coûter cher de faire venir le plombier. » Certains comportements des jeunes filles hébergées peuvent aussi désarçonner. « Le voisinage de l’une d’elles se plaignait du fait qu’elle faisait beaucoup de bruit le soir, note le responsable. En échangeant avec elle, nous nous sommes aperçus qu’elle faisait le ménage en fin de soirée, passant l’aspirateur vers minuit et déplaçant les meubles. Nous avons dû lui rappeler qu’elle avait des voisins… »

Désormais, plus question de préparer une sortie du dispositif en seulement quelques semaines. Le maître mot est l’anticipation. « Maintenant, dès l’admission, nous avons en tête la sortie, et même si la jeune est mineure, nous commençons à lui en parler, souligne Vincent Chambon, le chef de service. Nous essayons de privilégier les formations en alternance. Cela leur permet d’avoir un revenu et de pouvoir épargner de l’argent. Et pour celles qui optent plutôt pour la voie directe, nous les incitons à travailler à côté. » En effet, pour accéder à une chambre en foyer de jeunes travailleurs, il faut pouvoir justifier d’un revenu de 600 €. Il est, bien sûr, possible de s’orienter vers des études universitaires. Le service aide alors à déposer une demande de bourse et de chambre auprès du CROUS. Reste que, pour une sortie réussie, il est indispensable de ne pas penser uniquement au logement et à l’insertion professionnelle, mais bien de viser une « insertion globale », qui ne néglige ni la santé ni le « savoir habiter ».

Rattacher au maximum au droit commun

L’objectif des travailleurs sociaux est de rattacher au maximum les jeunes prises en charge aux dispositifs de droit commun. « Auparavant, nous choisissions des médecins traitants à proximité du foyer. Maintenant, les jeunes sont invitées à opter pour des médecins situés à proximité de leur appartement et à faire elles-mêmes les démarches », illustre le chef de service. Dans cette progression vers l’autonomie, les éducatrices jouent un rôle essentiel. « En cas de demande de renouvellement de carte Vitale, par exemple, nous invitons les jeunes à appeler elles-mêmes pour se renseigner sur les papiers à fournir, détaille Andréa Félizardo, l’une des deux éducatrices spécialisées chargées du service. Si, au bout d’une ou deux semaines, le coup de téléphone n’est pas passé, nous leur proposons de le faire depuis notre bureau en mettant le haut-parleur. Un appel téléphonique peut, en effet, être très angoissant. Elles nous demandent : “Qu’est-ce que je vais dire”, et notre présence les rassure. Peu à peu, elles n’ont plus besoin de mettre le haut-parleur, et sont finalement capables d’appeler seules et de nous faire un compte rendu à un prochain rendez-vous ».

Parallèlement à ces accompagnements individuels, les professionnels ont mis en place depuis près de deux ans une série de modules collectifs obligatoires destinés aux jeunes filles du service. Pour les mettre en place, l’équipe s’est inspirée d’expériences existantes. « Une autre équipe, dont nous avons rencontré le chef de service, avait lancé ce type d’ateliers avec des jeunes majeurs, mais leur expérience avait tourné court parce que les jeunes ne venaient pas », indique Jean-Philippe Collombet, insistant sur le fait que « les priorités des jeunes ne sont pas celles des professionnels ». L’équipe du foyer a donc décidé de rendre ces temps obligatoires, au même titre que les rendez-vous de suivi avec les éducatrices. Ces modules collectifs abordent de manière pratique plusieurs champs de la vie quotidienne (santé, insertion professionnelle et accès au droit commun). Les apprentissages des gestes du quotidien sont en grande partie assurés par Corinne Jean-Marie. La maîtresse de maison profite de ses visites à domicile – annoncées ou impromptues – pour faire le point sur l’entretien du logement, le rangement, l’alimentation, etc. Lors des vacances scolaires, le mercredi après-midi, elle anime un module collectif sur un thème lié à la vie quotidienne, pour lequel des jeunes filles de différents appartements sont rassemblées en un seul groupe. De nombreux thèmes y sont abordés, et en premier lieu l’hygiène. « Deux années de suite, nous avons organisé des modules sur ce thème parce que certaines jeunes avaient des soucis importants à ce sujet. Mais ce n’est plus la peine de le refaire car, maintenant, les appartements sont bien entretenus. » Un autre module a été consacré aux produits d’entretien et à la manière de les fabriquer soi-même ; un troisième, au classement et à la gestion des documents. « Nous nous sommes rendu compte que quand les filles déménagent, elles ont souvent des sacs de papiers mélangés et qu’elles n’arrivent pas à s’y retrouver », explique la maîtresse de maison. Ainsi, à l’occasion de ce module, le service a fourni aux jeunes filles des trieurs. « Elles avaient pensé en acheter, mais c’était trop cher pour leur budget. »

Apprendre à recevoir quelqu’un chez soi

Pour l’atelier du jour, quatre jeunes filles sont présentes, et deux autres sont excusées. Savoir recevoir quelqu’un chez soi est l’un des objectifs. « Au début, raconte Corinne Jean-Marie, quand on arrivait pour un module dans un appartement, parfois le salon n’était pas rangé, les filles étaient en pyjama… Maintenant, ce n’est plus le cas, elles prévoient même des jus de fruits pour leurs “invitées”. » Dans le salon, une discussion commence sur la manière de faire les courses, leur rythme, les lieux où chacune s’approvisionne, la comparaison entre les enseignes, etc. Corinne Jean-Marie rappelle la nécessité de varier les types d’aliments et insiste sur l’intérêt des produits surgelés. La suite du module se déroule dans la cuisine de l’appartement. La maîtresse de maison a apporté un sac de provisions pour que les jeunes filles cuisinent ensemble. Au menu, des recettes simples et rapides : croque au maquereau, quiche au thon et pommes de terre au micro-ondes. A 18 ans, pas question de rester des heures devant les fourneaux. « Dans la semaine, je n’ai pas le temps. Ce n’est que le samedi ou le dimanche, quand je reçois quelqu’un, que je cuisine », confirme Laurence, 17 ans, qui réside dans son appartement depuis février. Les jeunes s’affairent aux fourneaux. Au moment d’ouvrir une conserve de thon, l’ouvre-boîte est introuvable. Laurence pose la boîte sur le sol et l’ouvre avec un couteau. Ce recours « au système D comme au bled » amuse les autres, mais moins la maîtresse de maison, qui insiste sur le bruit qui peut gêner les voisins.

Si les modules collectifs assurés par Corinne Jean-Marie se déroulent en demi-groupe, les autres réunissent l’ensemble des jeunes du service. Aujourd’hui, ce sont les deux éducatrices spécialisées du service, Fanny Pinson et Andrea Félizardo, qui animent un temps consacré aux impôts, à destination des jeunes majeures. A partir de 18 ans, quand on n’est pas rattaché au foyer fiscal de ses parents, il est en effet obligatoire de remplir une déclaration de revenus. « C’est important. Si vous n’avez pas travaillé l’année dernière, vous mettez 0 », rappelle Andréa Félizardo. Pendant près de deux heures, les éducatrices accompagnent pas à pas les jeunes femmes dans la rédaction de cette première déclaration de revenus. L’approche est résolument pratique. Par exemple, faut-il ou non cocher la case qui dispense de la redevance télévisuelle ? Une des éducatrices rappelle qu’il faut adjoindre à la déclaration le certificat d’hébergement rempli par la structure. Un dialogue s’engage entre plusieurs participantes : « Pacsé, c’est quoi ? », demande l’une à la cantonade. « Tu sais, le PACS, c’est l’espèce de mariage », lui répond une autre. L’occasion pour les deux éducatrices de revenir rapidement sur la différence entre PACS et mariage. Il est 19 heures, le module se termine. Les jeunes femmes n’ont plus qu’à poster leurs déclarations.

Pour animer ces modules, le foyer Léopold-Bellan privilégie, autant que possible, le recours à des intervenants extérieurs, toujours dans le but d’intégrer les jeunes femmes dans le droit commun. Ainsi, l’ADIL (agence départementale d’information sur le logement) est intervenue sur le thème du logement, détaillant les démarches de demande de logement social à faire à 18 ans. Chacune a rempli un dossier de demande d’appartement. Les aides au logement et les démarches pour les obtenir ont également été abordées. Les modules consacrés à l’insertion professionnelle sont, eux, assurés par des consultants. A cet effet, une convention a été signée entre le foyer et Mercury Urval, une société de conseil en ressources humaines et en organisation, spécialisée notamment dans l’économie sociale et solidaire. Ainsi, en 2015, neuf jeunes femmes se sont rendues dans les locaux du cabinet de Neuilly-sur-Seine (Hauts-de-Seine) de cette société, afin de participer à des ateliers sur le CV et la lettre de motivation et de réaliser une simulation d’entretien d’embauche. Cette année, à la suite du debrief réalisé avec le chef de service et les deux éducatrices, le module « insertion professionnelle » s’est déroulé en deux séances de deux heures : l’une sur le CV et la lettre de motivation, l’autre sur l’entretien d’embauche. Mais surtout il était réservé aux résidentes volontaires. « J’ai insisté auprès de l’équipe sur le principe du volontariat, car toutes les jeunes n’en sont pas au même point : certaines sont encore au début de leurs études, tandis que d’autres ont réellement commencé leur insertion professionnelle, justifie Rémi Martel, consultant chez Mercuri Urval, à l’origine de la convention. Cela me semblait important, tant en termes d’animation – les jeunes les moins concernées peuvent perturber le groupe – que dans le processus d’autonomisation. »

Des modules adaptés aux trajectoires

Si le suivi de l’intégralité des modules reste obligatoire, la pratique, elle, évolue progressivement. Quand une jeune femme a déjà participé à l’un des modules « savoir habiter », elle n’est pas tenue de le refaire, sauf si elle l’estime nécessaire. Certains modules, considérés par l’équipe comme essentiels, peuvent aussi donner aux jeunes une impression de déjà-vu. Régulièrement, le foyer organise un atelier consacré à la vie affective et sexuelle, en essayant de varier les intervenants. Une conseillère du Planning familial de proximité est d’abord intervenue, puis une association ayant créé un site Internet d’information (www.educationsensuelle.com), suivie d’une psychosociologue. « On a eu un grand débat, on pouvait parler de tout. Mais bon, la contraception… on l’a déjà étudiée au collège et dans les foyers. C’est bon, on connaît, s’exclame Modeline, 19 ans, hébergée en appartement depuis deux ans. Pour moi, le plus important, ce sont les démarches administratives, parce que quand on part du foyer, on n’a plus d’éducatrice, on est toute seule. » Laurence renchérit : « Pour aller à la préfecture, comme pour toutes les démarches, personne ne sera là pour nous aider. »

Conçus à l’origine sur un modèle standardisé, les modules collectifs s’adaptent peu à peu aux trajectoires et aux besoins des jeunes accueillies. « Pour les plus avancées dans leur parcours d’autonomie, l’accent est plutôt mis sur l’insertion professionnelle et les démarches administratives, alors qu’il l’est davantage sur les modules “savoir habiter” ou de prévention pour celles qui le sont moins », précise Vincent Chambon. Le rythme des modules est, lui aussi, questionné : « Ces temps-ci, nous avons eu beaucoup de modules, mais les examens approchent, quand est-ce qu’on révise ? », interroge Laurence. Remontée à l’équipe éducative par la maîtresse de maison, cette remarque suscitera une réflexion sur la répartition des modules au cours de l’année scolaire.

Avec la fin de l’année scolaire, justement, arrive le moment d’élaborer le programme de l’an prochain, en se penchant sur les aménagements nécessaires. Pour ses modules « savoir habiter », Corinne Jean-Marie réfléchit à un changement d’horaires : « Peut-être le samedi matin conviendrait-il mieux, car beaucoup de jeunes filles travaillent dans la semaine. » « Nous avons proposé à des anciennes avec lesquelles nous sommes en contact de participer à l’animation d’un module. Elles transmettraient leur expérience et pourraient alerter sur les choses auxquelles il faut faire attention. Toutes ont insisté, en effet, sur la nécessité d’avoir trouvé un logement mais aussi un travail avant de partir, raconte Jean-Philippe Collombet. Elles nous ont dit : “A l’époque, les éducatrices et vous, vous nous soûliez, mais on a bien pu se rendre compte que vous aviez raison” », poursuit, amusé, le directeur, soulignant que « la parole d’autres jeunes sera toujours plus écoutée que celle de professionnels ». Devenir intervenante le temps d’une soirée et pouvoir transmettre son expérience… Une belle manière de clore un parcours d’autonomie réussi.

Notes

(1) Foyer Léopold-Bellan : 175, rue Jean-Baptiste-Charcot – 92400 Courbevoie – Tél. 01 43 33 24 23.

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