« Les établissements de formation au travail social voient certains effectifs de leurs étudiants s’effriter année après année. En cause, un ensemble d’éléments convergents : une bureaucratisation du travail social, une massification des situations de vulnérabilité, un manque de reconnaissance de la qualification des professionnels de niveau III, renforcé par le fait que leurs trois années de formation ne sont reconnues qu’au niveau bac + 2. Et alors que les professions de champs connexes – infirmiers pour le sanitaire et professeurs des écoles pour l’enseignement –, longtemps reconnues au niveau III, ont été revalorisées au minimum au grade de la licence, sans pour autant perdre le contact avec leurs publics.
Tant le rapport “Bourguignon” que le plan d’action gouvernemental présenté par le Premier ministre le 21 octobre 2015(2) font état de la nécessité d’une revalorisation des professions du travail social, ce dont nous nous réjouissons.
La commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale s’est remise au travail(3). Une des hypothèses de réarchitecture des formations n’est pas sans nous inquiéter. Les professions dites “canoniques” du travail social (assistant de service social, éducateur spécialisé, conseiller en économie sociale et familiale, éducateur de jeunes enfants, éducateur technique spécialisé) sont au centre de débats tendus.
La revendication ancienne de l’ANAS (Association nationale des assistants de service social), rejointe par l’ONES (Organisation nationale des éducateurs spécialisés) et par la FNEJE (Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants), à savoir la reconnaissance au niveau II, semble avoir été entendue. Néanmoins, si celle-ci devait s’accompagner, aux dires de certains, de la création (ex nihilo) de nouveaux diplômes de niveau III, les employeurs seraient probablement prêts à privilégier, pour remplir les missions d’accompagnement des personnes fragiles et vulnérables, l’emploi de professionnels dont la formation aurait été amputée du tiers, donnant ainsi la priorité à la dimension économique sur la dimension qualitative des interventions. Les personnes concernées par les politiques sociales auraient alors tout gagné à cette réarchitecture ! Une moindre compétence des professionnels censés mieux appréhender la complexité de leurs situations et la multiplicité des dispositifs mis en place par les politiques sociales pour les aider. Et surtout, des intervenants choisissant ce parcours par défaut (qui, à l’ère du LMD – licence-master-doctorat –, voudrait limiter son parcours de formation à un niveau n’ayant aucune reconnaissance universitaire ?).
Quant aux professionnels qui seront, enfin, positionnés au niveau II mais à des postes de coordination, sans contact direct avec les personnes à accompagner, ils participeront à un processus supplémentaire de bureaucratisation… !
Fredonnée depuis l’origine de leurs diplômes, l’antienne du besoin de reconnaissance de ces professions s’est toujours accompagnée d’efforts réitérés pour prouver le niveau des compétences acquises.
Depuis 2004, les réformes des diplômes du travail social consacrent l’acmé de cette course éperdue à la reconnaissance. Pour pouvoir prétendre au grade de la licence, les réformateurs des diplômes jusque-là reconnus au niveau III ont augmenté sensiblement le nombre d’heures d’enseignement (1 840 heures par exemple pour le diplôme d’Etat d’assistant de service social au lieu des 1 400 heures du précédent diplôme) tout en maintenant un temps conséquent de stage (12 mois pour ce diplôme, 15 pour le diplôme d’Etat d’éducateur spécialisé), afin de marquer la différence avec les diplômes universitaires. Ce programme, qui aurait dû se dérouler sur quatre années, a été construit sur trois années et reconnu comme deux années universitaires…
Cette réarchitecture ne pourrait-elle pas être l’occasion de développer les coopérations avec les universités que le plan d’action gouvernemental appelle de ses vœux ? Elle propose un socle commun de formation dont nous pensons qu’il pourrait représenter un véritable intérêt (en fonction des choix et des modalités qui seront retenus) pour les étudiants et les futurs professionnels. La mise en place d’options compléterait une formation polyvalente en lien avec les besoins des territoires et des personnes. Ces options, dont le format a fort à voir avec celui des diplômes universitaires, pourraient être le lieu d’une coconstruction de nos titres avec l’université. La question n’est plus celle des corporatismes, mais bien celle de la qualité de l’accompagnement des professionnels dans l’aide à la personne, aux groupes, aux territoires et dans la recomposition des liens sociaux. »
(1) Christine Bâché, directrice de l’IFTS AP-HP (Paris), Marie-Christine David, directrice générale de l’EFPP (Paris), Ludwig Fuchs, directeur général de l’IFEN (Le Havre), Chantal Goyau, directrice générale de l’ETSUP (Paris), Olivier Huet, directeur général de l’EPSS (Paris), Martine Noalhyt, directrice de l’école de service social à l’IUT Paris-Descartes, Diane Same, coordinatrice pédagogique et administrative « Carrières sociales », option « assistant social » à l’IUT de Bobigny et Martine Trapon, directrice générale de l’Ecole normale sociale (Paris).
(3) Elle se réunit à nouveau le 11 juillet. Ses travaux continuent de mobiliser plusieurs organisations – Voir ASH n° 2966 du 24-06-16, p. 20.