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« Pour financer un revenu de base, il faut transformer radicalement la protection sociale »

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Le revenu de base, ou d’existence, revient en force dans le débat public. Mais cette idée, à première vue séduisante, est-elle réaliste ? La Fondation Jean-Jaurès (proche du PS) a réalisé une étude pour tenter de répondre à cette question. L’économiste Jérôme Héricourt, qui l’a pilotée, détaille les différents scénarios possibles… et leurs inconvénients.
Allocation universelle, revenu de base, revenu d’existence… Ces expressions recouvrent-elles la même chose ?

Pas nécessairement. Pour l’économiste et juriste belge Philippe Van Parijs, qui a relancé cette idée dans les années 1970-1980, il s’agit d’une prestation universelle versée à chacun de sa naissance à sa mort, sans condition de revenu ni aucune contrepartie. Mais lorsque des libertariens (libéraux radicaux), des militants de la gauche progressiste et des écologistes se retrouvent autour d’une idée, c’est sans doute qu’il y a un malentendu. Milton Friedman, prix Nobel d’économie appartenant à l’école néolibérale, se montre ainsi favorable à un revenu de base d’un montant assez faible. Pour lui, l’objectif est de transférer le pouvoir de décision de l’Etat vers l’individu, et surtout de simplifier de façon drastique le système de protection sociale. Le revenu de base n’est plus qu’un filet de sécurité minimal, chacun devant se débrouiller avec pour assumer ses dépenses. A l’autre bout de l’échiquier politique, dans une approche plutôt marxiste ou écologiste, le revenu de base est perçu comme un instrument de sortie du capitalisme, voire du salariat. Pour le financer, on utilise les gains de productivité permis par les progrès techniques. Chacun pourrait ainsi choisir de ne pas travailler pour se consacrer à des activités socialement utiles. Dans la note de la Fondation Jean-Jaurès, nous avons essayé de développer une troisième approche, davantage sociale-démocrate. Il s’agit de déterminer si le revenu de base peut répondre aux défis de la protection sociale du XXIe siècle, à savoir la sécurisation des parcours professionnels, l’amélioration de la qualité de l’emploi et celle de la situation des personnes précaires. L’objectif était simplement d’en explorer les différentes modalités possibles.

Si cette question se pose aujourd’hui, n’est-ce-pas aussi parce que la société peine à fournir du travail à tous ?

Certains affirment que, du fait de la robotisation, nous allons perdre trois millions d’emplois au cours de la génération à venir. Mais des pans entiers de l’économie disparaissent de façon cyclique pour être remplacés par d’autres. Il faut donc arrêter avec les fantasmes sur la fin du travail. De nouveaux secteurs vont émerger, comme ceux des services à la personne ou de la transition écologique, qui auront besoin de bras sans générer des gains de productivité. Or les partisans de la version progressiste du revenu de base imaginent que des gains de productivité permettront de financer le revenu de base. Nous faisons l’hypothèse contraire. La croissance de ces gains de productivité ne fait que ralentir depuis le milieu des années 1970. Ceux qui pensent qu’il y aura moins de travail associé à des gains de productivité importants, donc une opportunité de créer un revenu de base, se trompent.

S’il n’y a pas de « trésor caché », il faut donc réfléchir à périmètre constant…

Exactement. Pour financer un éventuel revenu de base, il est nécessaire de recycler les dispositifs existants, au prix d’une transformation radicale de la protection sociale. Nous avons imaginé trois plans de financement correspondant chacun à un niveau de revenu différent : 500 €, 750 € et 1 000 € par mois et par personne. Pour le scénario à 500 €, le coût annuel serait de 336 milliards d’euros, soit 16 % du PIB [produit intérieur brut]. Il pourrait être financé en mobilisant la branche maladie (hors affections de longue durée), la branche famille et l’assurance chômage, mais pas la vieillesse, plus 40 milliards d’euros de prélèvements obligatoires complémentaires. Bien entendu, les dépenses de santé seraient alors prises directement en charge par les individus. C’est notamment pour cette raison que nous sommes très réticents vis-à-vis de la création d’un revenu de base. Le deuxième scénario, celui à 750 € par mois et par personne, représenterait 554 milliards d’euros de dépenses annuelles, soit environ 24 % du PIB. Il faudrait mobiliser l’ensemble des dépenses de protection sociale : maladie, famille, vieillesse, assurance chômage, sans prélèvements obligatoires complémentaires. Enfin, pour un revenu de base à 1 000 € – proche du seuil de pauvreté –, le coût total serait de 675 milliards d’euros, soit 31 % du PIB. On mobiliserait alors l’ensemble de la protection sociale, avec en plus une augmentation des prélèvements obligatoires de l’ordre de 153 milliards d’euros, soit 60 % du PIB.

Quelles seraient les conséquences ?

A 1 000 €, on créerait une forte désincitation au travail pour les gens proches du SMIC. Or, dans une économie où il n’y a pas de gain de productivité, si trop de personnes arrêtent de travailler, cela déséquilibre l’assiette de financement du revenu de base. Il faut ajouter l’acceptabilité sociale du système. Il faudrait expliquer à ceux qui continuent de travailler qu’ils le font aussi pour financer le revenu de ceux qui se contentent du revenu de base… Ce système pose en outre des problèmes de redistribution des ressources productives entre branches, classes d’âge et régions. Par exemple, sur le plan démographique, avec un revenu de base à 500 € par mois – qui ne mobilise pas les retraites –, le système bénéficie surtout aux plus de 65 ans, qui cumulent alors revenu de base et retraite. Avec un revenu de base à 750 €, la machine tourne dans l’autre sens. On mobilise la branche vieillesse, supprimant ainsi les pensions pour ne plus verser que 750 € de revenu de base aux personnes de plus de 65 ans. La redistribution s’opère donc massivement vers les plus jeunes. Les conséquences seraient aussi territoriales. La contribution nette au financement de la protection sociale reste très inégale en France, avec des transferts des régions riches vers les régions plus pauvres. Avec un revenu à 500 €, on resterait proche de l’étiage actuel, mais à 750 ou à 1 000 €, ce transfert s’accroîtrait dans de fortes proportions. Par ailleurs, certaines personnes choisiraient de vivre avec le revenu de base dans les régions les moins chères. D’où des transferts de populations et des risques de distorsion inflationniste.

Accorder le même revenu de base aux ménages aisés et aux plus modestes, n’est-ce pas injuste d’une certaine façon ?

L’argument des partisans du revenu de base est que cette somme sera récupérée directement par l’impôt. J’avoue que je suis dubitatif. On va prendre d’une main ce que l’on donne de l’autre, alors que notre système fiscal est déjà passablement opaque et complexe. Se pose aussi la question des conséquences pour les ménages. Dans un couple, le revenu de base va constituer pour celui des deux qui gagne le moins – généralement la femme – une incitation forte à arrêter de travailler. Si le premier gagne 2 000 € et le second seulement 1 000 €, pour celui-ci, même avec un revenu de base à 500 €, arrêter de travailler peut devenir une option intéressante si l’on prend en compte les coûts de transports et de garde d’enfants. Le revenu de base aurait donc des effets non négligeables en termes d’égalité hommes-femmes.

En simplifiant drastiquement la protection sociale, on créerait des économies d’échelle importantes…

C’est un argument que l’on retrouve aussi bien chez les libertariens que chez les progressistes. Mais s’il existe des prestations et des minima sociaux, c’est qu’ils répondent à une nécessité. On revient au principe de justice énoncé par le philosophe John Rawls : « à chacun selon ses besoins ». Est-il légitime, en termes de justice sociale et d’efficacité économique, que tous touchent la même chose ou, au contraire, que les prestations soient différenciées ? J’avoue que je penche plutôt pour la seconde option. En outre, même avec un revenu de base, on verrait sans doute ressurgir très rapidement des exceptions et des régimes dérogatoires – par exemple, des suppléments pour personnes handicapées. On reviendrait ainsi, en partie, à la complexité de départ. Je serais davantage favorable à une augmentation des minima sociaux tout en favorisant le retour à l’emploi et en accompagnant davantage les personnes en difficulté. Il faudrait aussi mener une réflexion sur la qualité du travail et la sécurisation des parcours professionnels. Plutôt qu’un revenu de base, il serait préférable de donner à chaque actif un capital qu’il pourrait utiliser entre deux emplois, par exemple pour se former. Ce serait une solution moins simple à penser, mais plus efficace pour répondre aux défis de la protection sociale du XXIe siècle.

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

L’économiste Jérôme Héricourt est professeur à l’université de Bretagne-Occidentale. Avec Thomas Chevandier, il a coordonné le rapport du groupe de travail « revenu universel » de la Fondation Jean-Jaurès intitulé « Le revenu de base. De l’utopie à la réalité ? » (mai 2016)(1).

Notes

(1) Disponible sur https://jean-jaures.org/nos-productions/le-revenu-de-base-de-l-utopie-a-la-realite.

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