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Détenus radicalisés : la contrôleure des prisons critique une nouvelle fois les « unités dédiées »

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Dans un rapport d’enquête d’une soixantaine de pages, rendu public le 6 juillet et transmis au ministre de la Justice(1), la contrôleure générale des lieux de privation de liberté (CGLPL) dresse un état des lieux très critique des premiers regroupements de détenus radicalisés au sein d’« unités dédiées » (UD).

Alors même que l’expérimentation du dispositif n’en était qu’au stade embryonnaire, Adeline Hazan avait déjà, dans un avis publié il y a un an, émis des réserves(2). Depuis, cinq quartiers ont été mis en place au sein de quatre établissements : le centre pénitentiaire de Fresnes, la maison d’arrêt de Fleury-Mérogis et la maison d’arrêt d’Osny en Ile-de-France, ainsi que le centre pénitentiaire de Lille-Annoeullin dans le Nord. Objectif affiché, d’une part, éviter les pressions et la propagation du prosélytisme religieux radical et, d’autre part, favoriser la prise en charge des personnes radicalisées avec des programmes particuliers. Ces UD peuvent accueillir en théorie 117 détenus. 64 personnes y sont effectivement incarcérées.

Les services de la CGLPL les ont presque toutes rencontrées et ont passé au crible le fonctionnement des cinq structures, s’entretenant aussi avec les personnes chargées de leur prise en charge et de leur surveillance. L’occasion de constater « l’importance des moyens matériels et humains consacrés ainsi que la grande implication de l’ensemble des acteurs concernés ». Mais aussi que, à ce stade, « personne n’estime disposer de certitudes » et que « des interrogations légitimes subsistent sur de nombreux points ». A tel point qu’Adeline Hazan s’interroge sur le bien-fondé du dispositif. Et ne juge pas l’extension de ce modèle expérimental réaliste dans le contexte d’une « surpopulation carcérale structurelle ».

L’efficacité du regroupement en question

La contrôleure générale des lieux de privation de liberté émet ainsi de sérieux doutes sur le principe même du regroupement qui, à ses yeux, « présente plus d’inconvénients que d’avantages ». En premier lieu, elle constate que l’argument initial de la lutte contre le prosélytisme en prison n’est plus mis en avant, au profit de la simple volonté d’organiser « une prise en charge adaptée des détenus radicalisés ». Mais toutes les personnes détenues pour faits de terrorisme islamiste n’y sont pas et la contrôleure s’interroge sur les critères «  pas clairement explicités  » de l’administration pénitentiaire.

Par ailleurs, outre que, dans les faits, «  l’étanchéité  » avec les autres détenus n’est pas ou est peu respectée, le rapport note les «  effets pervers  » des unités dédiées. « Il existe une inquiétude sur les effets provoqués par de tels regroupements qui peuvent mettre inopportunément en présence des personnes ayant appartenu à des factions différentes ou au contraire faciliter les ententes et la constitution de réseaux », écrit Adeline Hazan.

Autre effet pervers pointé par le rapport : l’affectation des personnes en unité dédiée présente le risque d’avoir un impact préjudiciable sur leur parcours judiciaire. Comme l’ont indiqué certains magistrats et avocats aux services de la contrôleure, « le seul fait de placer une personne détenue en UD peut constituer un préjugement qui pèsera au moment de l’audience et lors de l’examen des demandes d’aménagement de peine ».

Des programmes disparates

Adeline Hazan déplore également l’hétérogénéité des programmes dits « de déradicalisation » mis en place au sein des UD. « Nombre d’intervenants rencontrés font part de leurs interrogations sur l’objectif recherché […] : tantôt un accompagnement et un suivi individuels, tantôt une réflexion sur la violence, un travail sur l’esprit critique ou un apprentissage de la gestion des émotions. » L’administration pénitentiaire a en effet choisi de ne pas définir clairement le contenu de ces programmes et de laisser une grande autonomie aux équipes. Or, si elle permet de s’appuyer sur des initiatives locales et de mettre en place des activités innovantes, cette autonomie entraîne aussi de grandes disparités dans l’offre de prise en charge de ces personnes, « voire des improvisations  ». La contrôleure estime ainsi nécessaire d’organiser rapidement une évaluation du contenu des programmes. « Elle devra établir le caractère sérieux et utile de la prise en charge et conduire à une validation officielle. »

La mise en place de ces programmes pose, en outre, des questions d’ordre déontologique. « La précipitation dans [cette] mise en place et l’hypersensibilité du sujet du terrorisme ont pu favoriser une confusion dans la définition du rôle de certains intervenants », indique la CGLPL, visant plus particulièrement les « binômes de soutien » (éducateur et psychologue), formation créée ex nihilo dont le fonctionnement « reste peu compréhensible ». « Destinés à l’origine à accompagner le personnel, [ils] se sont retrouvés dans le rôle d’évaluateur de personne détenue et de “prescripteur” de programme. » Selon les lieux, ils obéissent à des logiques différentes, ce qui entraîne « une disparité injustifiable ». « A Osny, explique Adeline Hazan, les binômes ont expliqué aux contrôleurs qu’il n’était pas question pour eux d’alimenter les dossiers des juges d’instruction » tandis que, à Lille, les binômes de soutien sont rattachés au service du renseignement pénitentiaire. Dans une réponse communiquée le jour même à la contrôleure, le ministre de la Justice, Jean-Jacques Urvoas, a précisé à cet égard qu’une «  doctrine d’emploi des psychologues et des éducateurs  » sera « prochainement » diffusée « afin de disposer de pratiques opérationnelles lisibles et connues par tous ».

Notes

(1) Rapport disponible sur www.cglpl.fr.

(2) Voir ASH n° 2917 du 3-07-15, p. 10.

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