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Deux éducateurs d’une structure associative spécialisée dans l’accompagnement des adultes autistes interviennent quatre jours par semaine au sein d’une unité de l’hôpital psychiatrique Marius-Lacroix de La Rochelle. Un partenariat original qui renforce les liens entre sanitaire et médico-social.

Nerveux, Anthony L. tortille son haut de survêtement, pendant que Céline Simonet, éducatrice spécialisée, et Frederico De Amorin, infirmier, lui présentent l’affichette accrochée dans sa salle de bains, sur laquelle des flèches pointent les différentes parties du corps. « Anthony a des difficultés avec son schéma corporel, et les pictogrammes l’aident pour son autonomie lors du temps de toilette », explique l’infirmier. Puis, à l’entrée de sa chambre, alors que nous sortons, Anthony fait brusquement tomber du tableau d’activités de sa journée toutes les étiquettes plastifiées qui étaient fixées par des Velcro. « Anthony met souvent les pictogrammes par terre, même si nous prenons soin de n’en mettre qu’un petit nombre, et d’éviter les photos qui pourraient vite l’envahir », commente l’éducatrice. Les pictogrammes de la salle de bains et de l’entrée ont été élaborés spécifiquement pour Anthony. Arrivé à l’USPD (unité de soin pour patients déficitaires) de l’hôpital psychiatrique Marius-Lacroix de La Rochelle(1) à la mi-2014, en pleine crise et s’auto-agressant, le jeune homme, qui venait d’un IME (institut médico-éducatif), a passé six mois isolé dans sa chambre en « hypostimulation » avant de réussir progressivement à partager le quotidien de l’unité.

L’USPD, appelée plus couramment « unité Arc-en-ciel », accueille 14 patients âgés de 28 à 60 ans, tous lourdement handicapés sur le plan psychiatrique et somatique. « Seuls deux patients qui souffrent d’une pathologie de Korsakoff (un trouble neurologique lié à une alcoolisation chronique) ont déjà vécu de façon autonome, détaille Anne-Sophie Dambiel, cadre de santé. Les autres sont arrivés très jeunes ou ont toujours vécu en structure hospitalière. Six patients présentent des troubles du spectre autistique, certains des déficiences mentales (psychose infantile avec déficience). Tous ont une incapacité à vivre à l’extérieur autrement qu’avec un encadrement important. » Cécile Dufresne, la psychiatre référente, précise que « les personnes qui arrivent à l’USPD ont connu une rupture de parcours qui empêche leur maintien à domicile ou dans une structure médico-sociale ».

Rendre les prises en charge cohérentes

Avec Dany M., Sylvie B. et Romy C., trois patients de l’unité qui souffrent comme lui de troubles autistiques, Anthony L. a été pris en charge, à la journée et pour une durée maximale de 90 jours par an, au sein d’Oxygène, un service d’accueil temporaire et d’urgence pour adultes présentant un trouble du spectre autistique situé à Châtelaillon-Plage, au sud de La Rochelle, créé il y a une dizaine d’années au sein de l’association Emmanuelle(2). C’est le cas d’autres patients de la Fisetaa (Filière intersectorielle des soins et évaluations des troubles autistiques et apparentés), qui regroupe trois services de l’hôpital Marius-Lacroix, dont l’unité Arc-en-ciel. Mais, jusqu’en 2014, il n’existait pas de lien entre les méthodes éducatives spécifiques utilisées à Oxygène et la vie quotidienne à l’hôpital. Une incohérence dommageable pour des personnes susceptibles d’être prises en charge, une fois stabilisées, au sein d’une structure médico-sociale de type FAM (foyer d’accueil médicalisé) ou MAS (maison d’accueil spécialisée). Malheureusement, en Charente-Maritime, la pénurie de places en structures spécialisées pour adultes autistes empêche souvent cette mobilité. Une situation qui devrait toutefois s’améliorer à la fin 2017, avec l’ouverture par l’association Emmanuelle d’une MAS de 28 places dans le sud du département.

Sous la pression de la famille d’Anthony L., qui souhaitait qu’il réintègre le secteur médico-social après son passage en psychiatrie, l’ARS (agence régionale de santé) a débloqué une enveloppe exceptionnelle afin de détacher un éducateur cinq jours par semaine à l’USPD « pour un patient non intégrable dans un collectif sans suivi individuel ». « Cette expérience avec un patient a permis de mesurer l’intérêt du dispositif de lien entre Oxygène et l’unité Arc-en-ciel pour d’autres patients, souligne Benoît Foucher, directeur de Marius-Lacroix. L’hôpital n’est pas un lieu de vie, mais il a la nécessité de préparer la sortie de ceux qui peuvent aller dans le médico-social une fois stabilisés. » L’ARS a donc décidé de financer, en 2015 et en 2016, un temps partiel d’éducateur et d’aide-médico-psychologique pour quatre patients, pour un budget de 36 000 € par an. « Cette expérimentation a été mise en place à la suite d’une remontée de besoin, avec une forte implication, tant du centre hospitalier que de l’association Emmanuelle, explique Anne-Laure Thomas, chargée de mission au pôle Animation territoriale des parcours de santé de l’ARS. Celle-ci a souhaité compléter auprès du personnel hospitalier le travail fait avec certaines personnes en hébergement temporaire, pour que l’accompagnement et les techniques particulières utilisées à Oxygène puissent être reprises à l’hôpital. » Anne-Sophie Dambiel, cadre de santé, se félicite de la convention signée en janvier 2015 entre les deux structures. « Avant, les patients allaient à Oxygène sans qu’on voie le travail des uns et des autres. Depuis, nous avons sur l’unité des temps d’échanges et en commun. Les soignants de l’hôpital peuvent aller à Oxygène pour comprendre comment sont mis en place les outils qui permettent d’améliorer la communication et de structurer la journée. On essaie de faire le même travail ici. Cela permet une prise en charge pluridisciplinaire pour nos patients autistes et augmente la cohérence de celle-ci. »

À L’arrivée des éducateurs, des réticences

Grâce à ce partenariat, l’environnement hospitalier s’adapte davantage aux difficultés des pensionnaires. Ainsi, chaque matin, un temps autour du tableau d’accueil les aide à repérer avec des photos qui est présent ce jour-là. De même, dans la cuisine, les éducateurs ont créé un gabarit pour dresser la table, un tableau de débarrassage avec des photos, des pictogrammes pour ranger les chaises et un classeur de demandes destiné à Dany M., sourd-muet. Des outils que les patients autistes utilisent déjà à Oxygène, afin de devenir plus autonomes au quotidien. « Anthony et Dany sont en capacité de participer à ces tâches, explique Céline Simonet, présente quatre jours par semaine en alternance avec un collègue éducateur d’Oxygène. Avec ces outils, on essaie de maintenir les acquis ou de développer les compétences pour faciliter leur intégration future en structure médico-sociale. » Les éducateurs partent des besoins de chaque personne pour créer des outils adaptés. Pour Sylvie, par exemple, les pictogrammes sont simples, en noir et blanc, sinon elle se perdrait dans les détails. Les emplois du temps affichés pour chaque patient structurent le temps avec des repères spatio-temporels qui limitent leurs troubles du comportement. En parallèle, l’éducatrice s’efforce d’expliquer aux soignants du service le sens de son action lors des transmissions, des réunions de synthèse et au quotidien. Un mode d’emploi à leur attention est d’ailleurs affiché à côté de chaque outil.

Reste qu’au début, l’arrivée d’éducateurs – et de leurs méthodes jusqu’alors inconnues – n’a pas toujours été bien vécue. Difficile de dépasser la vieille frontière qui sépare l’hôpital du médico-social. « Certains soignants sont réticents à l’intervention d’éducateurs dans un lieu de soins, reconnaît Yannick Esterbet, aide-soignant depuis quatre ans dans l’unité Arc-en-ciel. Un éducateur fait une prise en charge “un pour un”, alors que nous, en tant que soignants, devons nous occuper de tous les autres. Nous avons moins de temps et moins d’outils. De plus, mélanger au sein du même bâtiment les fonctions de soins et socio-éducatives peut être gênant. Certains patients pourraient ne pas comprendre pourquoi quatre patients seulement sont pris en charge. »

Consciente de ces réticences, Céline Simonet ne rechigne jamais à accorder son attention à un patient du service qui le lui demanderait. « A notre arrivée, ce n’était pas évident car les cultures professionnelles sont différentes, reconnaît-t-elle. Il a fallu apprendre à se connaître, prendre le temps d’expliquer. Ils ne comprenaient pas la mise en place des modalités d’accueil. » Plusieurs professionnels pointent le manque de préparation. « La décision est venue d’en haut, sans concertation », regrette ainsi Yannick Esterbet. Ce que Camille Dubois, infirmière à l’USPD depuis deux ans, confirme : « Ils sont arrivés du jour au lendemain, sans rencontre préalable avec les soignants. Au début, on a eu l’impression que le côté éducatif nous était imposé. Définir le rôle de chacun aurait évité des incompréhensions. » Un virage d’autant plus difficile à négocier que tous les soignants n’ont pas bénéficié d’une formation en amont. En 2015, seuls trois infirmiers, deux agents des services hospitaliers (ASH), trois aides-soignants, la cadre et la psychiatre ont participé à une formation de quatre jours sur l’autisme et sa prise en charge. « Mettre des outils en place, c’est bien, mais on doit être formés à ces outils, poursuit Yannick Esterbet. Nous ne sommes pas de simples exécutants. »

Le syndicat SUD de l’hôpital a d’ailleurs profité du relatif désarroi des soignants pour dénoncer « un glissement de la psy publique vers le médico-social privé ». Charlotte Prunier, AMP (aide médico-psychologique) depuis deux ans dans le service après y avoir été ASH, regrette a posteriori que le message de l’équipe ait été déformé. « Nous ne critiquions pas Oxygène car nous sommes complémentaires, explique-t-elle. Mais nous sommes en sous-effectif, avec d’importants problèmes de violence, une équipe à bout qui a connu plusieurs burn-out et le sentiment de ne pas être entendue par la direction. »

Un turn-over important dans l’unité

Il est vrai que le turn-over rapide des professionnels au sein de l’unité n’a pas facilité l’appropriation des méthodes du médico-social. Ainsi, deux des infirmières ayant reçu la formation à l’autisme en 2015 ont déjà quitté le service. Quant aux soignants du pool de remplacement qui interviennent de temps en temps sur l’USPD, ils ne connaissent pas les outils. « Sur 16 infirmiers, aides-soignants et AMP, seule la moitié les utilise », estime Charlène Prunier. Pour Cécile Dufresne, la psychiatre référente très impliquée dans le partenariat avec Oxygène, la pénibilité du travail dans ce service est réelle, surtout s’agissant de soignants jeunes et peu aguerris, et la différence de culture professionnelle complique encore les choses. « Il est difficile d’intégrer la culture éducative quand on est soignant, confie-t-elle. C’est un autre système de pensée, une révolution culturelle. Mais le constat des bénéfices pour les patients au bout d’une année a donné envie aux soignants de s’investir. »

Des échanges pour mieux se comprendre

L’infirmière Camille Dubois a suivi deux formations (sur l’autisme et la gestion des situations difficiles) qui l’ont aidée à appréhender les difficultés rencontrées dans le service. Une journée passée à Oxygène lui a aussi beaucoup apporté. « C’était passionnant, et j’ai mieux compris pourquoi on ne pouvait pas travailler de la même manière : les locaux n’ont rien à voir, l’effectif non plus… » Au bout de six mois, éducateurs et soignants ont réclamé des temps de réunions qui ont aidé à améliorer la compréhension mutuelle. « Un mardi sur deux, nous avons mis en place un moment d’échange entre l’équipe d’Oxygène et les soignants pour améliorer la cohésion, préciser l’utilité des outils et des “renforçateurs”(3), qu’ils assimilaient à du dressage, par manque de connaissance », raconte Céline Simonet. Chef de service à Oxygène, Mathieu Piro estime pour sa part que « l’idéal serait que des axes de travail soient choisis par l’hôpital et que nous puissions les accompagner sur des questions pragmatiques comme la rythmicité des activités ou l’accompagnement aux loisirs en autonomie ». Un travail en commun s’est toutefois mis en place. « Nous avons échangé sur les besoins entre équipes éducative et soignante afin de coconstruire notre intervention et nos outils, complète Céline Simonet. Cela a été le cas, par exemple, sur la question du schéma corporel chez Anthony ou au sujet des cris de Sylvie à son retour d’Oxygène, pour lesquels nous avons proposé un espace calme coupé du groupe afin de faire la transition. Cette complémentarité et cette coconstruction ont permis une évolution. »

Un an et demi après la signature de la convention entre l’hôpital et l’association, « le bilan est très positif pour trois patients(4), et c’est un plaisir de construire quelque chose de pertinent pour les personnes », observe Céline Baudoin, directrice du pôle autisme de l’association Emmanuelle, en charge d’Oxygène et de la maison d’accueil spécialisée M.A.Vie. « Tout est plus facile maintenant qu’on se connaît. » Frederico De Amorin, infirmier portugais arrivé dans le service il y a deux mois, apprécie, lui, la patience des éducateurs et se félicite de cette « multidisciplinarité [qui] permet une vision plus holistique ». Autre point positif : alors que l’USPD était peu demandée par les soignants, les choses bougent. « Ce partenariat valorise le personnel en interaction avec l’extérieur », confirme la cadre du service, Anne-Sophie Dambiel. Plusieurs sessions de formation auront lieu cette année autour de l’autisme, afin de compléter les échanges de compétences qui se sont produits lors des réunions pluridisciplinaires du mercredi, des prises en charge conjointes et des communications informelles.

La convention sera-t-elle prolongée après l’ouverture de la nouvelle MAS ? « Nous verrons la réalité des besoins et les conclusions de l’évaluation à la fin 2016, au bout de deux ans, répond Anne-Laure Thomas, de l’ARS. Mais on constate déjà que cela a été très bénéfique pour les deux partenaires sur les échanges de pratiques et pour la continuité du projet des personnes. » L’agence prône-t-elle le développement de ce type de partenariat entre le sanitaire et le médico-social ? « L’articulation médico-social et sanitaire est intéressante pour que les personnes aient un parcours construit et qu’on ne les enferme pas dans une catégorie dont elles ne pourraient pas sortir, confirme Catherine Vaure, directrice adjointe de la délégation départementale Charente-Maritime de l’ARS. Nous voyons l’intérêt de généraliser ce type de partenariat, dès lors que des professionnels y sont investis et moteurs. »

Focus
Le besoin de s’ouvrir sur l’extérieur

Le partenariat entre l’hôpital Marius-Lacroix et l’association Emmanuelle s’inscrit dans une logique plus large de renforcement des liens entre l’hôpital et le médico-social. « Dans le contexte du plan national autisme de 2012, nous avons travaillé en réseau au niveau régional, explique Benoît Foucher, directeur de l’hôpital, au sein du groupe hospitalier de La Rochelle-Ré-Aunis. En refaisant le projet du pôle de psychiatrie avec les psychiatres, nous avons identifié le besoin de s’ouvrir sur l’extérieur, notamment vers le médico-social. » Une enquête menée à la mi-2012 a permis d’identifier les attentes des établissements médico-sociaux du nord de la Charente-Maritime (une dizaine de structures) à l’égard de l’hôpital, et inversement. Trois thématiques ont émergé : primo, la nécessité de proposer des soins somatiques pour des patients avec des troubles psychiatriques mais vivant hors de l’hôpital, en famille ou en établissement médico-social – ce qui a été mis en place en novembre 2015 avec l’ouverture de Cap Soins 17 (un plateau technique au sein de l’hôpital avec des généralistes formés à ce public) ; secundo, le besoin d’une équipe mobile de l’hôpital qui se déplace dans les structures médico-sociales – projet en attente, faute de financement. « La dernière thématique, ajoute Benoît Foucher, est de développer les relations entre le médico-social et l’hôpital afin de se connaître, de travailler ensemble de façon régulière, d’échanger les compétences et d’élaborer des projets pour éviter de se renvoyer les patates chaudes. » Ce que favorise un réseau tel qu’ECS Autisme 17(1), groupe d’échange de compétences et de savoir-faire autour de l’autisme, où se rencontrent régulièrement chefs de service, cadres de santé et professionnels des différentes structures du département.

Notes

(1) USPD Arc-en-ciel : hôpital Marius-Lacroix – Direction des pôles et des activités – 208, rue Marius-Lacroix – 17000 La Rochelle – Tél. 05 46 45 60 60 – secretariat.direction.marius-lacroix@ch-larochelle.fr.

(2) Service d’accueil de jour Oxygène : impasse Clemenceau – 17340 Châtelaillon-Plage – Tél. 05 46 56 07 40.

(3) Des stimuli qui permettent de renforcer un comportement positif dans le cadre d’une approche de type comportemental.

(4) La prise en charge de Romy C. par Oxygène a été stoppée en raison d’un épuisement qui augmentait ses troubles du comportement.

(1) www.ecsautisme17.org.

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