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Accompagner autrement les « situations critiques »

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L’accueil des enfants « sans solution », organisé dans la foulée des préconisations du rapport « Zéro sans solution » de Denis Piveteau, diffère d’une admission classique en institution, avertit Joël Roy, pédopsychiatre à l’institut médico-éducatif Le Bosquet à Nîmes. L’ébranlement des familles qu’entraîne la rupture des soins impose en effet une procédure spécifique.

« Depuis novembre 2015, dans le cadre du dispositif de gestion des « situations critiques »(1), la maison départementale des personnes handicapées a adressé à notre institut médico-éducatif (IME) 12 enfants (âgés de 6 à 10 ans) sans solution. Cette expérience nous permet de tirer des premiers enseignements utiles pour les équipes qui souhaitent s’engager dans ces accueils(2).

Il faut d’abord prendre en compte l’impact spécifique qu’a la rupture d’accompagnement sur le parcours de la famille. En effet, l’absence de socialisation de l’enfant (école ou institution), qui se voit dès lors confiné à la maison, et l’arrêt des soins, qui prive les parents de partenaires, modifient considérablement les processus habituels d’“adaptation” des familles au handicap :

1. le projet éducatif est en panne. L’existence des parents seuls avec l’enfant se cantonne au présent, avec le sentiment de ne gérer que l’essentiel, d’être empêché d’anticiper un quelconque avenir positif ;

2. les représentations se modifient. Le doute s’installe sur la valeur de cet enfant qu’aucun professionnel apparemment ne souhaite prendre en charge. Une représentation idéalisée de l’enfant se construit alors à la hauteur des soins prodigués par les parents. On assiste sur Internet à une quête effrénée de méthodes miracles, véhiculées par des blogs animés par des parents, souvent eux-mêmes en difficultés relationnelles avec les professionnels ;

3. dans la tourmente, les couples qui étaient pourtant jusqu’alors solidaires sur la façon d’élever l’enfant divergent. La maman le plus souvent s’isole au sein d’une dyade mère-enfant pathologique ;

4. l’isolement social se creuse. L’enfant reclus accapare les pensées des parents. Après plusieurs tentatives de rencontre (amis, proches, voisinage), la famille se renferme progressivement sur elle-même. Peu de choses s’échangent également à l’intérieur du couple de peur de raviver chez le partenaire ses fragilités, son sentiment de détresse, de mettre à mal l’illusion d’y arriver même “sans eux” (les professionnels). A l’isolement social s’ajoute la solitude personnelle ;

5. les fratries, habituellement vigilantes aux changements du rythme familial dus à la présence d’un enfant déficient, s’inquiètent de la présence constante de ce dernier à la maison et prennent de la distance. Leur vision du clivage éventuel “mère courage, père absent” s’accentue ;

6. les troubles préexistants de l’enfant a minima stagnent, le plus souvent se compliquent (pelade, inversion des rythmes sommeil-veille, prise de poids, troubles alimentaires) et/ou s’aggravent (intolérance accrue à la frustration, hyperréactivité, retrait relationnel, réapparition de troubles sphinctériens). Les suradaptations de la famille s’accompagnent de surhandicaps relationnels : enfant tyrannique/tout puissant, troubles de l’attachement (insécure évitant ou ambivalent).

Unité transitionnelle

L’intensité de l’ébranlement des familles est tel qu’un dispositif spécifique est nécessaire pour les recevoir. C’est ainsi qu’à l’IME nous avons mis en place une unité transitionnelle d’accueil organisée autour de deux priorités :

1.réinstaurer le dialogue parents-professionnels.

Cela commence par notre appel téléphonique qui annonce qu’une place est disponible et présage de la sortie du cauchemar intrafamilial. Pourtant, au soulagement initial des parents succède rapidement leur souvenir d’avoir été, par les équipes précédentes, délaissés, abandonnés, voire maltraités. Comment alors pourraient-ils faire confiance à des professionnels inconnus, dont ils ignorent la technicité et les valeurs ? Dans ces “situations critiques”, un long apprivoisement des parents se révèle nécessaire pour reconstruire l’alliance thérapeutique ;

2. élaborer le projet d’accompagnement en nous appuyant sur :

a. le respect des souhaits des parents. Recueillir leur expérience de cette période critique, écouter leurs propositions et reconnaître leurs souhaits de prise en charge permet de reconsidérer cette période d’isolement et de l’inscrire dans la continuité de l’accompagnement précédent. Les parents idéalisent parfois ce dernier et souhaitent alors son équivalent, ou ils l’exècrent, l’annulent et se défient de toute offre dont ils ne seraient pas les auteurs. D’où leurs souhaits parfois paradoxaux : accueil à temps très partiel d’un enfant tyrannique, épuisant la famille, rétablissement d’une scolarité pour un enfant très agité, refus a priori de toute prise en charge spécialisée pour un père déniant tout handicap à son enfant, acceptation passive de l’accueil dans le cadre d’une attitude globale de renoncement où la toute-puissance de l’enfant est vécue comme une fatalité ;

b. des propositions ajustées. En nous appuyant sur ce que les parents évaluent comme supportable pour l’enfant et comme tolérable pour eux-mêmes, les rythmes d’accueil sont individualisés. Nous proposons ainsi une, puis deux demi-journées hebdomadaires le premier mois, le maintien d’une scolarisation minimale, l’invitation du père à une visite préalable de l’établissement pour lui permettre de voir les enfants que son petit garçon “indemne” (de handicap) va côtoyer, le transport de l’enfant avec sa maman matin et soir par le taxi qui l’accompagnait auparavant au centre d’action médico-sociale précoce. Ces modalités seront réajustées lors du bilan d’entrée fixé deux ou trois mois après l’admission ;

c. un aménagement de la transition entre le repli familial et la délégation de l’enfant. Nous explorons avec le parent, à partir de la qualité des relations sociales qui existaient avant la rupture de soins et de l’intensité du repli de l’aidant principal, la façon dont il pourra s’approprier des “temps libres” sans l’enfant, auxquels il nous dit aspirer. Il s’agit d’éviter l’installation d’un vécu d’inaction, de marasme, d’ennui qu’il pressent lorsqu’on lui demande comment il compte se réorganiser. Des rencontres fréquentes avec les éducateurs (au minimum une fois par semaine) sont proposées aux parents afin qu’ils puissent, en même temps que l’équipe découvre leur enfant, mieux comprendre ce dernier. L’occasion de repérer les similitudes, les différences de comportement de l’enfant entre les deux lieux, voire les premiers changements au domicile. Lors de l’admission, nous rencontrons les pères, particulièrement ceux qui sont éloignés, absents au plan éducatif depuis longtemps, disqualifiés (au sein de la famille, voire aussi par les équipes précédentes). Sans oublier la fratrie que nous rassurons sur l’intérêt de la solution adoptée par les parents ;

d. un accompagnement spécifique de l’enfant. Adopter d’autres rythmes (lever, coucher, repas…), rencontrer de nouveaux professionnels bouleversent les habitudes acquises et imposent à l’enfant un cadre différent. Dans les premiers jours surgissent des crises d’opposition assez bruyantes, des comportements erratiques, dans l’institution et/ou à la maison, dont il faudra, avec l’équipe, analyser les composantes. Ces changements entraînent un surcroît d’attention de la part de l’enfant que nous compensons en lui proposant des activités de courte durée entrecoupées de temps de répit dans une salle dédiée au repos. Cette pratique séquencée suppose, au moins pour un temps, un accompagnement individualisé. Très souvent, l’enfant, qui a été pendant plusieurs mois quasiment en permanence accompagné à la maison par un adulte, exige ce type d’accompagnement sous peine de repli sur soi ou d’agitation ;

e. un travail à domicile. Après l’observation des comportements de l’enfant dans l’institution et l’atténuation de ces troubles, l’intervenant principal propose, une fois par semaine, de le raccompagner et de partager une courte période de vie à domicile afin, au besoin, de le “déconditionner” des comportements tyranniques qu’il commence à abandonner avec les éducateurs. Il s’agit d’éviter que des écarts trop importants et durables s’installent entre les attitudes de l’enfant à l’IME et à la maison ;

f. une nécessaire supervision. L’aide hebdomadaire d’une psychologue et, plus à distance, du pédopsychiatre est nécessaire dans ces situations à haut risque de stagnation des troubles. Elle permet de recentrer le dispositif d’accompagnement sur les rythmes des parents et de l’enfant et d’éviter d’estomper trop vite l’aspect iatrogène de ces situations critiques.

Protocole spécifique

L’admission classique d’un enfant en IME s’organise autour d’un travail préalable d’information des familles par les équipes en amont, d’un accueil bienveillant des souhaits des parents par l’équipe de l’institut et d’un “tuilage” entre les équipes. Lors de l’admission d’un enfant et de sa famille en “situation critique”, la délégation d’accompagnement des parents aux équipes est très difficile. Aussi un protocole spécifique d’accueil s’impose-t-il :

1. ne pas négliger le parcours des parents et de l’enfant, le recueillir, entendre et reconnaître les efforts de suradaptation de la famille, évaluer sa capacité à s’en détacher ;

2. individualiser l’accueil de l’enfant, séquencer ses activités en s’appuyant sur l’expérience des parents et sur sa capacité à supporter un nouveau cadre ;

3. l’accompagner à domicile pour rééquilibrer les interactions enfant-famille.

D’où la nécessité d’un encadrement individuel de l’enfant et d’un soutien personnalisé des équipes pour permettre au jeune, par la suite, d’accéder à une prise en charge plus classique au sein d’un groupe. »

Notes

1) Voir la circulaire du 22 novembre 2013, ASH n° 2837 du 13-12-13, p. 40.

(2) Joël Roy, « Handicaps et familles, actualités de la relation parents professionnels » – Les cahiers de l’Actif n° 456/459, 2014 ; et « Le bébé handicapé et sa famille » – In La construction des liens familiaux pendant la première enfance – Ouvrage collectif – PUF, 1995.

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