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« Mon projet est de porter un éclairage différent et novateur sur les quartiers »

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D’Accueil à Valorisation, Yves Rey-Herme, qui a travaillé plus de trente ans dans les quartiers populaires, brosse dans son « Abécédaire » le portrait de la jeunesse des banlieues. Porté par ses constats et ses indignations, il propose différentes pistes d’actions, en particulier d’être davantage sur le terrain, auprès des jeunes, et de partir des préoccupations des habitants.
Quel a été votre parcours professionnel ?

J’ai commencé en tant qu’enseignant. Puis le hasard a fait que je suis devenu éducateur à Antony (Hauts-de-Seine). Mon « territoire » était un immense bâtiment de 11 étages et 390 mètres de long. J’en ai écumé les caves, les coursives, et j’y ai vu des situations insupportables. Ça a été un électrochoc, et j’ai décidé de m’orienter vers l’action sociale. Après quoi j’ai suivi une formation en sociologie et suis devenu responsable d’un secteur jeunes en Rhône-Alpes. J’ai dirigé par la suite des centres sociaux dans cette région puis en Ile-de-France, avant d’être recruté il y a une vingtaine d’années comme chef de projet par une filiale de la Caisse des dépôts. Jusqu’à récemment, j’étais ce que l’on appelle un ingénieur social, chargé de diagnostics, de conseils et d’accompagnement auprès de collectivités. Aujourd’hui, je travaille sur différents projets de coopération entre habitants en tant que consultant indépendant.

D’où est venue l’idée de cet ouvrage original en forme d’abécédaire ?

En 2005, lors des émeutes dans les banlieues, cela faisait déjà vingt ans que je travaillais dans l’action sociale. Ces événements m’ont motivé à coucher sur le papier ce qui me semblait être les éléments marquants, vu du terrain, pour mener à bien une démarche d’action sociale plus efficace dans les quartiers. Je suis parti de quelques idées fortes, comme la participation accrue des habitants, qui me semble essentielle. Ces quartiers dégagent énormément d’énergie positive. Or on se focalise souvent sur 1 à 2 % de perturbateurs, en oubliant tous ceux qui ne demandent qu’à se mobiliser. Puis, en tirant ce fil de la participation, j’ai rédigé un chapitre sur différentes formes d’un soutien novateur à apporter aux associations. De là, j’ai rebondi sur la question du partenariat et sur les moyens de l’enrichir. Initialement, je n’avais pas l’intention d’en faire un ouvrage. J’écrivais pour m’éclaircir les idées, mais les thèmes se sont succédé assez naturellement et la forme de l’abécédaire s’est imposée d’elle-même.

Pourquoi avoir retenu certaines entrées apparemment peu en rapport avec la jeunesse des banlieues, comme « Record », « Oignon », « Rien » ou « Sable » ?

Mon souhait est que ces intitulés interpellent le lecteur. Mais chacun a un sens et est relié à d’autres chapitres qui abordent des questions de fond. Ainsi, le chapitre « Rien » reprend le témoignage court et saisissant d’un jeune de 16 ans qui disait que si dans une cité on n’est rien, on peut vite basculer dans la dépression. Et qu’il est donc essentiel d’accorder de la considération à ces jeunes qui, justement, peuvent se sentir considérés comme « rien ». Le paragraphe sur l’« Oignon », lui, m’a été inspiré par l’ouvrage Chagrin d’école, de Daniel Pennac. On y observe que l’enfant, en particulier dans les quartiers difficiles, est constitué de différentes couches de tendresse, de souffrance, de colère, d’envie, etc., et qu’il s’agit de créer d’abord une solide écoute, d’éplucher ainsi les couches de cet « oignon », et que l’enfant soit alors en capacité d’entendre ce que nous lui disons. A travers ces têtes de chapitre parfois originales, mon projet est de porter un éclairage un peu différent et parfois novateur sur les quartiers, et surtout de proposer une approche locale et globale, car sans traitement d’ensemble, on n’y arrivera pas. Or, sur le terrain, on est plus souvent dans le parcellaire et le court terme que dans le global et la vision à long terme. Dans la réaction que dans l’action. On rencontre un problème, on essaie de le traiter dans l’urgence sans prendre suffisamment de recul pour en mesurer le sens, voire sans évaluation.

Certains mots, comme « communautarisme », n’apparaissent pas dans votre abécédaire…

Ce terme est traité différemment, dans le chapitre consacré à l’« Identité ». Je me suis interrogé sur toutes ces communautés qui peuvent vivre les unes à côté des autres, sans se croiser. Qu’est-ce qui crée une identité collective ? C’est à la fois une histoire et des valeurs communes et des projets partagés. Voilà ce qu’il faut démultiplier pour réduire les fractures communautaires et les raisonnements étroits qui nourrissent les extrêmes. D’autres termes auraient pu également apparaître dans le livre, comme le « sexisme », la « parentalité », l’« enfermement », etc.

A travers ces termes, votre propos était aussi de mettre en lumière les spécificités de ces quartiers…

Ces lieux d’habitation sont en effet particuliers pour plusieurs raisons. D’abord, s’y concentrent évidemment des situations sociales et familiales difficiles. Ensuite, l’échec scolaire y est deux fois supérieur à celui que l’on connaît ailleurs. Même chose pour le chômage, et la résignation y est prégnante. Le résultat est que de nombreux jeunes vivent dans une absence totale de considération, et sans vision d’avenir. Convaincus qu’ils n’y arriveront pas, ils se retrouvent au pied de leur immeuble, où ils cherchent un présent « intense », même dans les déviances. C’est compréhensible ! Pour y répondre, il faut auprès d’eux bien plus de présence quotidienne d’adultes positifs. Des adultes qui les confrontent à leurs résignations par des discours concis et percutants. Qui leur martèlent : « Tu peux y arriver, tu es capable. » Il faut réirriguer ces quartiers, avec des intervenants et des parents sachant inspirer et mobiliser, et que ces intervenants soient toujours plus concrets, qu’ils réinjectent de la participation et de l’envie.

Chaque chapitre se clôt par quelques lignes qui tracent des pistes de propositions…

Une fois qu’on a pointé les manques, il ne s’agit pas de rester sur un constat d’échec. Selon la formule attribuée à Antonio Gramsci, il faut opposer au pessimisme de l’intelligence l’optimisme de la volonté. J’ai donc essayé de proposer ici une palette d’actions simples, souvent expérimentées, et pas nécessairement coûteuses. Car s’il faut des moyens, on ne pourra convaincre les financeurs que lorsque nous serons nous-mêmes solides sur le sens de notre action. Par exemple, une des propositions qui me tient à cœur est que l’on travaille bien plus solidement qu’aujourd’hui sur l’émergence de projets à l’initiative des habitants, et en particulier des jeunes. On crève d’un défaut de participation sur le terrain. Trop de projets sont encore pensés d’« en haut ». Or les postures professionnelles et les outils existent pour impliquer une majorité d’habitants. La résistance à l’abstention et à la résignation se construit. On peut toucher ces habitants à travers la création de lieux d’écoute et de remobilisation, et en partant de leurs centres d’intérêt. Lors de ma dernière mission au sein d’un habitat social, un collectif de bénévoles et de professionnels s’est mobilisé pour faire du porte-à-porte dans un îlot de 1 500 habitants. Au final, un projet de système d’entraide entre habitants a émergé, et 65 % des habitants y ont participé. Des problèmes de salubrité des bâtiments et d’aménagements de l’espace public étaient essentiels pour eux et leur expression, soutenue, a abouti à la création d’une Amicale des locataires et à des améliorations sensibles. Par ailleurs, un groupe de jeunes créait des problèmes. Un système d’échanges autour de repas de quartier réguliers a commencé à se mettre en place avec eux. Il faut trouver le bon support pour le dialogue, discuter, faire confiance et travailler à une solution alternative, et ça marche.

Vous plaidez donc pour une démarche pragmatique et constructive…

En effet. J’ai collecté toutes mes expériences, mes idées, et celles de collègues. Cet ouvrage veut être un appel à oser des solutions, dont une cinquantaine sont proposées ici, afin de retravailler ensemble en partant des préoccupations des habitants. Il faut aussi que chacun se sente responsable et se demande ce qu’il peut faire à son niveau. Les acteurs sociaux sont très nombreux dans les quartiers : éducateurs, animateurs, médiateurs, assistantes sociales, conseillers en économie sociale et familiale, d’insertion et de la caisse d’allocations familiales, bailleurs sociaux… sans compter les acteurs socioculturels et économiques. Mais nous ne travaillons pas suffisamment ensemble et nous ne questionnons pas suffisamment le sens de nos actions. Or les forces et les propositions existent, et elles sont nombreuses !

Propos recueillis par Jérôme Vachon

Repères

Praticien de l’action sociale dans les quartiers sensibles, Yves Rey-Herme est titulaire de diplômes universitaires d’enseignement, d’action sociale et de gestion associative. Il a travaillé trente-cinq ans dans les secteurs de la prévention, de l’animation, de l’enseignement, de la formation et du développement social urbain. Il publie L’abécédaire de la jeunesse et des banlieues. Indignation, propositions (éd. Champ social, 2016).

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