Identifier les spécificités des besoins des personnes en situation de handicap psychique en termes d’aide à domicile afin de déterminer la stratégie globale d’intervention à mettre en place pour ce public : c’était le principal objectif d’une étude qu’Handéo a rendue publique le 30 juin(1). Celle-ci résulte des données recueillies dans le cadre d’entretiens individuels ou collectifs réalisés auprès des équipes de six services d’aide et d’accompagnement à domicile (SAAD), de six de leurs partenaires, de six de leurs usagers et de six aidants, et des réponses aux questionnaires diffusés sur Internet auxquels une centaine de personnes handicapées et 488 aidants ont répondu.
Il en ressort d’abord que, dans la très grande majorité des cas, la demande d’aide à domicile a été faite par un professionnel ou un proche. « L’état du logement, ou le risque que la personne soit débordée par les exigences du quotidien, est souvent l’élément déclencheur », notent les auteurs. Cela peut aussi faire suite à l’aggravation de l’état de santé de la personne « ou, pour le moins, l’apparition de nouvelles difficultés », ou encore d’un changement dans son mode de vie (sortie d’hospitalisation, déménagement, arrêt d’un mode de vie collectif).
L’évaluation des besoins est le plus souvent réalisée par les responsables de secteur des SAAD, qui n’ont pas « bénéficié systématiquement de formation sur le handicap psychique ». Certains y associent, « ponctuellement ou habituellement », une aide à domicile et recherchent la participation d’autres professionnels intervenant déjà sur la situation ainsi que celle des aidants familiaux quand ils existent. Cependant, aucun des six SAAD rencontrés « ne dispose d’outil d’évaluation spécifique pour les personnes en situation de handicap psychique ».
Lors des premières interventions, les services ont tendance à constater « que la mise en place est souvent plus longue que pour les autres publics et peut se heurter à des résistances de la part des bénéficiaires, pour lesquels cette intervention ne fait pas toujours sens (du fait notamment d’une perception souvent différente de la réalité) et/ou vient souligner leurs incapacités ». Ce qui nécessite un travail de persuasion de l’usager du bien-fondé et de l’intérêt de cette aide.
La mise en place de l’accompagnement est par ailleurs conditionnée par les ressources de la personne et/ou son accès à des allocations et prestations d’aide, sachant que toutes les personnes suivies par un SAAD ne bénéficient pas de la prestation de compensation du handicap (PCH) aide humaine. En cause notamment : la complexité du montage du dossier et la nécessité de renouveler la demande régulièrement. Les problèmes de solvabilisation de l’aide constituent d’ailleurs l’une des principales causes de l’arrêt de l’intervention du SAAD, aux côtés de l’insatisfaction par rapport au service rendu et, dans une moindre mesure, de l’amélioration de l’état de santé de l’usager. Les autres motifs sont l’admission dans une institution et, « de façon plus marginale, le droit de retrait ou la mise en danger des intervenants ». Quelle qu’en soit la raison, la rupture de l’intervention « est vécue difficilement » par les personnes handicapées (état de stress, « difficulté à faire seul », voire dégradation de l’état de santé).
S’agissant de l’intervention proprement dite, l’enquête montre que « l’entretien du logement et le développement des interactions sociales sont deux axes indissociables et primordiaux pour ce public ». Le premier parce qu’il « répond à la nécessité de préserver un cadre de vie où la personne en situation de handicap psychique se sente en sécurité, connaisse un certain bien-être et puisse recevoir de la visite ». C’est aussi un support pour « stimuler, développer ou entretenir les habiletés sociales, à la condition que l’intervenant sollicite l’usager pour réaliser les tâches ménagères ». Sur la dimension relationnelle, « les intervenants à domicile évoquent des liens affectifs et personnalisés avec la personne en situation de handicap psychique, qui se tissent “presque inévitablement” pour pouvoir être acceptés par elle ». L’investissement dans la relation est ainsi décrit comme plus important qu’avec les autres publics accompagnés. La qualité de cette relationconstitueaussi un « préalable indispensable pour associer l’usager à la réalisation des tâches du quotidien ». Mise en confiance, la personne « acceptera les sollicitations qui lui sont faites, l’aidant ainsi à retrouver des capacités d’agir sur son quotidien et à renforcer son estime d’elle-même. En cela, cette aide à domicile contribue au processus de réhabilitation psychosociale ». L’intervention auprès des personnes handicapées psychiques « implique également des “négociations” fréquentes et, d’une façon générale, des remises en question régulières des procédures ».
Par ailleurs, l’enquête souligne pour les personnes en situation de handicap psychique, les « besoins de multi-étayage nécessitant l’intervention de plusieurs partenaires ». Dans ce cadre, les SAAD ont développé des « pratiques collaboratives » avec divers dispositifs appartenant aux secteurs sanitaire, social et médico-social, s’inscrivant soit dans un partenariat institué, soit dans le cadre de relations plus informelles. Si tous les services rencontrés considèrent que la psychiatrie est un partenaire essentiel, les relations sont toutefois « jugées trop aléatoires ». De leur côté, les partenaires des SAAD « sont globalement bien conscients de la difficulté du travail des aides à domicile, peu payés, confrontés à des usagers qui peuvent parfois être insultants/menaçants, pas toujours assez soutenus, notamment dans la phase de la mise en place de l’intervention où des maladresses peuvent compliquer encore les choses ».
Face à ces freins, Handéo recense une série de préconisations pour une intervention « adaptée » des services à domicile auprès des personnes en situation de handicap psychique. La première concerne leur accès à la PCH aide humaine par une meilleure diffusion des critères d’éligibilité à ce droit à compensation. « En termes de principes d’intervention, il apparaît important d’organiser une visite à domicile d’évaluation qui associe, outre le responsable du [service à domicile], l’intervenant à domicile principal, mais aussi l’aidant familial (s’il existe), ainsi que le partenaire professionnel prodiguant des soins (équipe psychiatrique) ou tout autre professionnel apportant son appui. » Les auteurs conseillent également de prévoir une montée en charge de l’intervention à domicile progressive et « négociée », de préparer les intervenants à domicile à assurer une fonction de veille, de « viser dans l’accompagnement un développement de l’autonomie et [d’]acculturer les intervenants à domicile à stimuler la personne ». Autre recommandation : que les plans de formation des services d’aide à domicile intervenant auprès de ce public comportent des modules spécifiques, qui pourraient être renforcés par des « interventions régulières des équipes de psychiatrie et des structures médico-sociales dédiées aux personnes ayant des troubles psychiques ».
Plus globalement, « se pose la question de la place des [services à domicile] dans les politiques publiques en faveur des personnes en situation de vulnérabilité, et plus particulièrement dans celles relatives aux personnes présentant un handicap psychique », écrivent les auteurs en conclusion. Ils estiment en effet que les SAAD peuvent constituer une ressource territoriale essentielle pour éviter les ruptures de parcours et permettre la mise en œuvre d’un projet de vie à domicile.
(1) En ligne sur