Après une vie émaillée de souffrances et de maltraitances, Y. a été condamnée à 18 ans de réclusion criminelle pour le meurtre de sa fille. Détenue au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, elle refusait l’idée de sortir un jour car, répétait-elle, la prison était le seul endroit où elle n’avait jamais été déconsidérée… « Face à ce leitmotiv, les outils traditionnels d’accompagnement de la peine avaient vite vu leurs limites », se souvient Catherine Mercier, psychologue chargée des parcours d’exécution des peines, qui cherchait une alternative. « L’animal pouvait être le vecteur privilégié. » C’est ainsi qu’en 2008 a commencé le projet « Autonomisation par le média du cheval ». « Cette femme est sortie vivante. Aujourd’hui, elle a un emploi, des animaux… et elle va bien », se réjouit-elle. Depuis, d’autres détenues ont profité de ce cadre visant à rompre le processus de soumission à l’autre, à améliorer l’estime de soi et à mieux s’approprier son parcours en détention. Un projet de médiation canine a ensuite été développé.
L’action de médiation par le cheval se déroule aujourd’hui une fois par an avec cinq à six détenues volontaires, sélectionnées en commission pluridisciplinaire selon leurs besoins autour de trois ateliers. Le premier permet, en faisant entrer des chevaux dans la prison, de réaliser avec ces femmes en privation sensorielle un travail sur le toucher, les odeurs… Le deuxième atelier conduit des détenus, dans le cadre de permissions de sortir, dans un centre équestre où les chevaux sont en liberté. Observer les interactions au sein du troupeau notamment permet alors d’engager un travail sur les concepts de violence, d’autoritarisme, de domination, de soumission. Le troisième module consiste en des mini-randonnées de deux jours dans la forêt de Brocéliande. Un debriefing technique et émotionnel et des ateliers d’écriture sont ensuite organisés.
Le projet de médiation canine prend, quant à lui, la forme d’un partenariat avec Handichiens. Deux fois par mois, huit détenues sont mises en présence de quatre chiens. « Ces femmes savent qu’ils peuvent être donnés, par exemple, à des enfants autistes. Contribuer à leur éducation participe à leur réparation symbolique », affirme la psychologue. A terme, il est même envisagé « de former des détenues à éduquer des chiots présents en permanence en cellule, afin qu’ils deviennent des chiens d’assistance et d’accompagnement pour des personnes handicapées », explique le directeur, Yves Bidet. Pour ce dernier, les bienfaits de ces actions sont évidents. « Je pensais qu’on verrait les effets à long terme, mais ils sont de suite visibles. Ces femmes retrouvent de la sociabilité, un goût à la vie, un vrai bien-être grâce à l’animal », s’enflamme-t-il. La démarche facilite l’enclenchement d’un processus de changement pouvant mener à la « désistance », autrement dit à la sortie d’une trajectoire de délinquance. « L’animal propose des opportunités transitionnelles dont la personne se saisit pour expérimenter, ressentir ses capacités, et permet l’instauration d’un sentiment de sécurité, qui contribue à élaborer un autre rapport au monde », analyse Catherine Mercier. Les projets ont aussi un impact important sur la vie de l’établissement. « La présence animale modifie les codes habituels de mise en relation des personnes entre elles et avec les professionnels. L’animal devient un support, le prétexte vers un mieux-être individuel et un savoir-vivre ensemble », observe Yves Bidet.
Pour mesurer l’intérêt du dispositif, des évaluations sont menées en lien avec l’Ecole nationale d’administration pénitentiaire et l’université Rennes-2. Les entretiens conduits avec une conseillère d’insertion et de probation (CIP), une infirmière, une surveillante et un surveillant-moniteur sportif ayant participé à la médiation équine font ressortir « le sentiment de mieux communiquer avec la personne, d’être plus efficace dans sa pratique, d’avoir un suivi plus individualisé », pointe Christopher Valente, psychologue clinicien et doctorant en psychologie. Chacun tire ainsi parti de ce qui s’est passé. Par exemple, le moniteur sportif creuse le rapport au corps. « Avec le cheval s’effectue tout un travail d’affirmation du corps : gestuelle, posture, impact de la voix… », explique le psychologue. L’infirmière s’appuie aussi sur l’initiative pour aborder la confiance en soi, le prendre soin de soi.
La CIP, quant à elle, « se sert de l’idée que le cheval agit comme une allégorie de la nature, du monde extérieur, ce qui lui permet de parler plus facilement d’un projet, de préparer la réinsertion. C’est comme si l’horizon de la sortie avait été un peu rematérialisé », poursuit Christopher Valente.
En outre, le programme permet à la surveillante de mieux comprendre la façon dont les détenues vivent le quotidien, leur fragilité, et de déjouer les conflits. La médiation animale améliore enfin les modes de garde. « Dans les pratiques pénitentiaires modernes se développe le concept de sécurité dynamique, car il a été démontré que la plupart des incidents découlent d’un manque d’interactions positives entre détenus et personnels. En positivant les liens, l’approche améliore la mission de garde », assure le psychologue. Le programme a également, en donnant un sentiment de coconstruction, renforcé l’alliance professionnelle autour du détenu et l’articulation des pratiques.
Mais des clivages subsistent. Alors que les CIP adhèrent en général au projet, des personnels de surveillance en particulier restent réfractaires. L’entrée d’animaux en détention pose certes des problèmes d’organisation, mais soulève aussi des résistances idéologiques. Et des réactions comme « la prison n’est pas un lieu pour un animal, mais pour purger sa peine » ou « à l’extérieur, tout le monde n’a pas accès à des loisirs ». Reste donc à faire de la pédagogie.