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La santé, un enjeu sous-estimé dans le suivi éducatif des enfants placés ?

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Une recherche financée par le Fonds CMU et le défenseur des droits montre que l’accompagnement à la santé des mineurs placés au titre de l’aide sociale à l’enfance ou de la protection judiciaire de la jeunesse rencontre encore plusieurs obstacles.

Comment les enfants pris en charge au titre d’une mesure de protection ont-ils accès aux soins et à un suivi de leur santé ? Comment cette dimension sanitaire s’inscrit-elle dans leur accompagnement éducatif et dans l’articulation entre leur lieu de vie et l’autorité parentale ? Ce sont les questions abordées par une recherche réalisée par l’équipe « Education familiale et intervention sociale auprès des familles » de l’université de Paris Ouest Nanterre, en lien avec l’Association pour la professionnalisation, la recherche, l’accompagnement et le développement en intervention sociale (Apradis) Picardie, financée dans le cadre d’un appel à projets par le défenseur des droits et le Fonds de financement de la couverture maladie universelle(1).

L’équipe de recherche a d’abord étudié les différentes politiques d’affiliation à la couverture santé mises en œuvre par les institutions d’accueil. A leur arrivée, les enfants sont, selon les services de l’aide sociale à l’enfance (ASE), majoritairement affiliés en tant qu’ayants droit à la couverture santé de leurs parents. Le constat est globalement le même à la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ), bien que les mineurs arrivant avec une affiliation individuelle à la couverture maladie universelle (CMU) de base y soient nombreux. L’absence de couverture maladie touche principalement des mineurs issus de familles en situation de précarité ou étrangères et dont la situation administrative n’est pas régularisée et, à la PJJ, les mineurs isolés, étrangers ou non, ainsi que ceux ayant connu une succession de placements. Lors de la mise en place de la mesure de protection, la moitié des unités éducatives d’hébergement de la PJJ privilégie la couverture des mineurs en tant qu’ayants droit sur celle de leurs parents, l’autre moitié opte pour une démarche systématique d’affiliation des mineurs à la CMU-CMU-C. Ce dernier cas concerne 88 % des services de l’ASE interrogés. Ces affiliations individuelles sont facilitées grâce à des allégements de procédures décidés par les caisses primaires d’assurance maladie (CPAM) et qui font l’objet d’une convention ou d’un protocole dans 24 % des cas avec les services d’ASE, et dans 35 % des cas avec la PJJ.

La place des parents

Reste que l’affiliation des enfants placés « est loin de n’être qu’une décision technique », souligne le rapport, puisqu’elle reflète une certaine conception de l’enfant et de son statut. Comment concilier, sur le plan éducatif, la nécessité de réinvestir le rôle des parents avec, sur le plan pratique, l’opportunité d’affilier l’enfant en son nom propre ? « La tension entre ces deux tentations semble suivre la frontière entre placements administratifs et judiciaires au sein de l’aide sociale à l’enfance »,sans que cette ligne de partage soit systématique. En effet, les décisions reposent souvent sur une appréciation de la situation et des capacités des parents, cette lecture pouvant toutefois entraîner des clivages : certains services « peuvent refuser de faire signer une autorisation de soin au nom du droit des parents à garder la main et le regard sur la question du soin des enfants et, d’autre part, ils affilient automatiquement les enfants placés. Les deux pratiques, avec des sens opposés, cohabitent alors. » Les jeunes, eux, « ont une connaissance approximative » de leur couverture maladie, cette confusion faisant émerger « la problématique de la répartition des rôles entre les adultes ».

Le rapport montre, en outre, des difficultés de couverture maladie lors des périodes charnières dans la prise en charge de l’enfant, en raison d’un manque de communication entre les institutions, mais aussi d’un manque de préparation des parents et des jeunes à se saisir de cette responsabilité. Près des trois quarts des CPAM disent rencontrer des problèmes lors des fins de placement liées à la majorité des jeunes, ces derniers pouvant alors se retrouver sans couverture médicale. De plus, une rupture de droits est fréquente lors d’une fin de placement au cours de la minorité, lorsque l’enfant retourne vivre chez ses tuteurs légaux.

Les professionnels témoignent également des obstacles rencontrés par les mineurs placés pour se faire soigner. Les services de l’ASE comme les directions territoriales de la PJJ (DTPJJ) identifient plusieurs raisons à cette restriction dans l’accès aux soins. D’une part, les mineurs placés n’échappent pas aux réticences de la part de certains professionnels de santé à recevoir des publics affiliés à la CMU. Les raisons financières, comme celles découlant des dépassements d’honoraires, sont, d’autre part, citées par 57 % des DTPJJ et 36 % des services de l’ASE. Pour tenter de pallier ces freins, les institutions peuvent recourir à une ligne budgétaire dédiée ou apporter une aide systématique (90 % des services de l’ASE et 37 % des DTPJJ). De la même façon, les assistants familiaux sont amenés à engager eux-mêmes des frais pour répondre aux besoins rapides de soins de l’enfant accueilli.

Perte d’informations

Par ailleurs, les parents ne font pas toujours les démarches nécessaires à l’autorisation de soins ou à l’accompagnement des mineurs et les auteurs évoquent des difficultés particulières dans les situations de délaissement sans délégation de l’autorité parentale. Un autre facteur est avancé par sept DTPJJ sur dix, « directement lié au comportement des jeunes, à savoir qu’ils refusent les soins ou certains équipements »,précisent les chercheurs. De leur côté, 34 % des services de l’ASE mettent en cause l’offre de soins globale du territoire. Si certains acteurs relèvent l’existence de réseaux locaux efficaces, dans le cadre des plans régionaux de santé notamment, les chercheurs observent des difficultés de collaboration avec le secteur du soin psychique du fait du manque de places disponibles et des difficultés d’articulation entre l’action thérapeutique et le placement en protection de l’enfance. Ainsi, une cadre interrogée souligne « la difficulté d’obtenir une place en institut thérapeutique, éducatif et pédagogique tout en conservant le placement de l’enfant dans sa famille d’accueil ». Alors que, sur un même territoire, plusieurs institutions mènent des missions sanitaires à destination des publics vulnérables, « notre étude fait ressortir une faiblesse dans l’interconnaissance, le travail conjoint en réseau et le partenariat effectif entre tous ces acteurs » – CPAM, agences régionales de santé, maisons départementales des personnes handicapées, secteur de psychiatrie, médecine générale, centres de soins…, pointent les auteurs. Les médecins de ville semblent, quant à eux, insuffisamment sensibilisés aux problématiques rencontrées en protection de l’enfance.

Pour autant, environ la moitié des CPAM mène ou a déjà mené des actions de consultation et de prévention santé auprès des jeunes placés, mais dans le cadre de démarches plus larges visant les jeunes ou les populations en difficulté. Celles qui mènent des actions ciblées en partenariat avec les acteurs de la protection de l’enfance (PJJ, ASE, établissements d’accueil) sont moins nombreuses (17 %). « Au regard des problématiques rencontrées par les jeunes pris en charge par la PJJ, les DTPJJ sont très engagées dans des démarches spécifiques partagées », seules 12 % d’entre elles déclarant ne pas s’investir dans de telles initiatives, note le rapport. En revanche, « 31 % des services ASE ne participent à aucune démarche d’évaluation, de réflexion ou de planification avec des partenaires », ce taux variant selon les lieux d’accueil.

Les chercheurs se sont aussi intéressés à l’utilisation des supports existants pour recueillir les informations sur la santé du mineur accueilli. Documents qui nécessitent du temps pour être complétés, mais aussi « un réel investissement pour qu’ils recouvrent un sens éducatif et non seulement administratif ». Or les services s’en emparent de façon disparate. La pratique du bilan de santé à l’arrivée de l’enfant dans le dispositif de prise en charge n’est systématique que dans 35 % des situations à l’ASE et 53 % à la PJJ, relève le rapport. Dans la moitié des situations, la réalisation d’un tel bilan est laissée à l’appréciation des référents au regard de la situation de l’enfant, notamment des motifs de son placement, de son âge et de son exposition à la grande précarité.

Quant au projet pour l’enfant (PPE), il comporte un volet santé portant, a minima, sur le projet d’accompagnement à la santé durant la prise en charge dans 47 % des services de l’ASE interrogés (ayant un PPE finalisé ou en cours d’élaboration). « Mais seuls 14 % prévoient un historique des soins durant cette prise en charge », précisent les chercheurs, ajoutant que, « dans ces cas-là, la santé est conçue comme une absence de maladie », les questions de bien-être et de compétences psychosociales (estime de soi, gestion du stress et des émotions, empathie, coopération…) n’étant « abordées que par 7 % des départements ». Outil pourtant « très complet », le « recueil d’information santé » (RIS) semble peu renseigné : « seules 13 % des DTPJJ estiment qu’au moins les trois quarts de leurs jeunes disposent d’un RIS complété dans leur dossier ». Le carnet de santé ne suivant pas toujours l’enfant, surtout quand il est placé en urgence, ou n’étant pas régulièrement rempli, les professionnels du soin observent au final que l’information relative à la santé « est trop souvent perdue au gré des parcours des enfants ».

Intégrer la santé au PPE

Dans l’ensemble, « ce qui serait censé être un domaine crucial ou du moins important est traité comme un domaine parmi d’autres du suivi éducatif », notamment par manque de moyens et une insuffisante prise en compte de cette dimension dans l’appréhension globale du mineur, estiment les chercheurs. Outre cette ambiguïté apparue dans les témoignages de cadres de services, ils évoquent de la part de certains travailleurs sociaux une distanciation par rapport au monde médical, voire une perception « technique » de la santé. Celle-ci se trouve alors « exclue de l’action éducative portant sur le psychique et sur la socialisation du jeune », considèrent-ils. Une situation qui néanmoins varie selon les lieux de placement et les professionnels, et évolue fortement, sous l’effet des réflexions ou pratiques mises en œuvre, ou encore des actions partenariales existantes(2).

La dimension sanitaire de l’accompagnement des mineurs placés « n’échappe pas au risque de parcours fractionné, avec un manque d’historicité, de globalité et de cohérence », concluent les auteurs, qui proposent cinq pistes de réflexion et d’action. Ils préconisent en premier lieu d’améliorer la connaissance et le suivi de l’état de santé des enfants protégés, grâce à des supports adaptés (systématisation du bilan de santé à l’entrée dans le dispositif, instauration du dossier médical dématérialisé, intégration obligatoire d’un volet santé dans le PPE). Ils proposent également de « repositionner la dimension santé dans sa globalité, comme un élément essentiel de l’accompagnement socio-éducatif », par la formation de l’ensemble des travailleurs sociaux à « l’enchevêtrement des dimensions développementales de l’enfant », et par une réflexion collective au sein de l’institution autour du « prendre soin de l’enfant ».

Autre recommandation : « dynamiser et formaliser un maillage institutionnel et territorial autour du soin », par des protocoles ou conventions entre les services de placement et de sécurité sociale. Les auteurs invitent à renforcer le rôle des lieux de consultation en santé primaire, en favorisant la transmission des informations entre les services. Selon eux, la généralisation du recours à la protection maternelle et infantile permettrait d’uniformiser les démarches, de centraliser les informations et de favoriser les échanges avec les professionnels de la protection de l’enfance. Autre préconisation : anticiper et faciliter les changements de statut de l’enfant. Ce qui doit passer par la préparation des jeunes et de leurs parents à s’emparer de leurs droits, la sensibilisation des équipes éducatives aux aspects législatifs liées à la couverture sociale des mineurs et la transmission automatique aux organismes de sécurité sociale des informations relatives aux enfants en fin de droit. Renforcer la place des parents dans le suivi sanitaire du mineur accueilli suppose enfin, selon les auteurs, d’intégrer cette dimension dans l’accompagnement à la parentalité.

Notes

(1) L’accès à la santé des enfants pris en charge au titre de la protection de l’enfance : accès au soin et sens du soin – Mars 2016 – Séverine Euillet, Juliette Halifax, Pierre Moisset, Nadège Séverac – Disponible sur www.cmu.fr.

(2) A propos de la recommandation de l’Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux sur le sujet, voir ASH n° 2944 du 22-01-16, p. 10.

Une enquête a la fois quantitative et qualitative

Les chercheurs ont mené une enquête quantitative auprès des caisses primaires d’assurance maladie, parmi lesquelles 97 ont répondu, des directions territoriales de la protection judiciaire de la jeunesse, qui représentent 48 répondants, et des services départementaux de l’aide sociale à l’enfance, soit 58 réponses recueillies. Simultanément, une enquête qualitative a été réalisée dans cinq départements, où 41 entretiens ont été conduits auprès de cadres d’institutions, de soignants, de professionnels, de parents et d’enfants concernés par l’ASE ou la PJJ.

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