Déjà pessimiste il y a un an quant à l’évolution des dépenses départementales d’action sociale(1), l’Observatoire national de l’action sociale (ODAS) constate dans sa dernière étude, rendue publique le 21 juin(2), que « la situation ne s’est guère améliorée » en 2015. Si la dépense nette de fonctionnement d’action sociale en France métropolitaine a augmenté de façon moins importante qu’en 2014 (de 3,1 %, contre 4,3 %), elle continue « de représenter les deux tiers de la dépense de fonctionnement des départements », écrit l’ODAS. La charge nette de fonctionnement, obtenue en déduisant de la dépense nette – qui s’élève à 36,1 milliards d’euros – la contribution de la caisse nationale de solidarité pour l’autonomie (CNSA) aux allocations de soutien à l’autonomie et les contributions de l’Etat affectées au revenu de solidarité active (RSA), a, elle, atteint 28,3 milliards d’euros, soit 1,1 milliard supplémentaire (+ 4 %).
Côté recettes, les transferts de fiscalité, qui ont apporté aux départements 1,5 milliard d’euros en 2014 et 2,1 milliards d’euros en 2015, ne doivent « pas laisser penser que la situation financière des départements s’améliore » : en effet, ces nouvelles recettes « s’inscrivent dans un contexte de baisse programmée de la dotation globale de fonctionnement (DGF) démarrée en 2014 ». Cette diminution a été de 1,1 milliard d’euros en 2015, soit plus du double de celle subie en 2014, ayant un effet négatif sur « l’ensemble des politiques départementales, dont les politiques de solidarité ». Au sein de ces dernières, la charge liée au RSA demeure la plus lourde, avec une dépense nette de 9,8 milliards d’euros en 2015, soit 510 millions de plus qu’en 2014 (+ 5,5 %). « Cette augmentation est toutefois plus contenue que précédemment » mais reste supérieure à celle des autres dépenses d’action sociale.
Par ailleurs, la contribution de l’Etat au financement du RSA (5,6 milliards d’euros) « continue de stagner » : stable en valeur absolue depuis trois ans, elle représente chaque année une part décroissante de la dépense des départements. Ainsi, de 90,4 % en 2009 lors de la création du RSA, le taux de couverture de l’allocation par l’Etat n’est plus que de 61,3 % en 2015. Par ailleurs, ce taux « fluctue de moins de 50 % à plus de 75 % », selon les départements observés, soit de moins de 70 € à plus de 200 € par habitant, sans qu’« aucune corrélation » n’ait pu être constatée entre la participation de l’Etat et le taux de pauvreté des départements. « C’est cette situation qui explique que l’effort départemental en matière de solidarité s’accroisse tant », pointe l’ODAS. Avant de souligner que la part du budget alloué aux actions d’insertion ne correspondait plus qu’à 7,7 % de la dépense nette d’allocation du RSA en 2015, contre 14,5 % 2009. « Les sommes dédiées à l’insertion deviennent donc minimes au regard du nombre d’allocataires concernés, même s’il faut noter que les départements financent également l’insertion économique », souligne l’ODAS.
Face à cette baisse de moyens, certains départements privilégient des actions d’insertion orientées vers les publics les moins éloignés de l’emploi, « avec un risque important de relégation des autres publics ». Par ailleurs, « les contrôles sont de plus en plus tatillons, ce qui ne manque pas de susciter des débats, car les abus sont peu importants alors qu’inversement une part non négligeable des bénéficiaires potentiels ne fait pas appel au dispositif RSA ». Une situation qui conforte l’ODAS dans sa conviction que l’Etat « devrait engager la solidarité nationale et non la solidarité locale ». Un principe qui devrait s’accompagner, ajoute l’organisation, de l’obligation pour les départements, « conformément à la réglementation initiale du RMI [revenu minimum d’insertion], de consacrer une part de leur budget de solidarité à l’insertion, cette part devant être déterminée de façon concertée ».
Dans le champ du soutien aux personnes handicapées, l’année 2015 est aussi « caractérisée par la poursuite de l’augmentation des dépenses ». Si celle liée à l’hébergement et à l’accueil de jour augmente de 3,4 %, un rythme stable depuis 2012, la dépense de la prestation de compensation du handicap (PCH) est « considérable »(3). Dix ans après sa création, elle « connaît en effet un regain d’augmentation » (+ 8 % contre + 6,6 % en 2014) pour atteindre 1,7 milliard d’euros en 2015, une progression qui « ne s’explique qu’en partie par la hausse du nombre de bénéficiaires » (+ 6,1 %). Autre constat : le soutien des départements aux maisons départementales des personnes handicapées (MDPH) « se renforce ». Pour autant, « face aux difficultés croissantes [de ces structures] à absorber l’augmentation des demandes, certains départements font état de leur inquiétude quant à un possible accroissement du soutien financier qu’ils devront apporter ».
L’ODAS souligne également que, dans le domaine du handicap, les départements développent des modes de prise en charge alternatifs à l’internat classique à temps plein, tels que l’accueil de jour ou les colocations entre adultes handicapés donnant lieu à des mutualisations de PCH. « Souvent moins coûteux en dépenses d’hébergement, ces modes d’accueil et d’hébergement sont également plus souples et peuvent favoriser l’autonomie et l’inclusion sociale des personnes en situation de handicap et répondre à l’évolution de leurs attentes. Toutefois, ces initiatives, souvent difficiles à mettre en œuvre en raison des montages financiers spécifiques qu’elles nécessitent, restent encore marginales au regard de l’ampleur des besoins qui fait craindre une pression financière toujours plus importante pour les départements dans les années à venir », relève l’enquête.
Dans le secteur des personnes âgées dépendantes, où la dépense nette des départements a augmenté de 70 millions d’euros en 2015, l’ODAS estime que la priorité affichée par les pouvoirs publics pour le soutien à domicile « ne se vérifie pas dans les chiffres ». Ainsi, depuis cinq ans, la dépense de l’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile est stable (3,2 milliards) et, après quatre ans de légère augmentation, le nombre de bénéficiaires recule cette année de 0,2 %. « La limitation des plans d’aide peut conduire des bénéficiaires, en particulier les moins dépendants (GIR 4), à y renoncer en totalité ou en partie lorsqu’ils estiment que les contraintes en termes de gestion administrative et d’impact sur la vie privée sont supérieures aux bénéfices attendus, analyse l’ODAS. Par ailleurs, certains départements durcissent les conditions d’attribution et de mise en œuvre de l’aide à domicile pour les personnes les moins dépendantes, réduisant ainsi le rôle préventif de l’APA. » Reste que, à l’avenir, « la progression de la dépense pourra s’avérer plus conséquente », car la loi d’adaptation de la société au vieillissement (ASV) propose une meilleure prise en charge de la perte d’autonomie à domicile, à travers le relèvement des plafonds autorisés pour l’APA et un soutien accru pour limiter le reste à charge. « Les départements s’inquiètent donc légitimement de l’augmentation de charge qui pourrait résulter d’une insuffisante compensation de ces nouvelles dispositions à moyen terme. » A l’inverse, la dépense d’APA en établissement augmente chaque année en moyenne de 3 % depuis cinq ans.
Enfin, dernier champ analysé, la protection de l’enfance absorbe un peu plus du quart des dépenses d’action sociale des départements (26 %), en progression de 2,7 % après deux années successives de faible évolution. Cette augmentation « est exclusivement liée à l’hébergement (+ 3,4 %), les dépenses consacrées aux aides et accompagnements à domicile étant en très légère baisse (– 0,8 %) ». Le nombre de jeunes accueillis augmente faiblement (+ 1 %) et « il semble que, comme les années précédentes, cette augmentation des prises en charge soit essentiellement due à l’arrivée de mineurs isolés étrangers ». Selon l’ODAS, les départements s’inquiètent également de la recrudescence des situations de placement dues à l’extrême précarité de certaines familles.
De fait, la protection de l’enfance « n’échappe pas à un certain nombre de contradictions auxquelles les départements doivent faire face » : d’une part, « la volonté initiée par l’Etat de limiter les prises en charge physiques en privilégiant les accompagnements à domicile se heurte à la nécessité d’accueillir un nombre croissant de mineurs non accompagné s [et], d’autre part, les départements peinent à repenser l’organisation de la protection de l’enfance dans un cadre administratif et non judiciaire, laissant davantage de place aux familles. L’offre d’hébergement s’en trouve saturée, alors même qu’elle n’est plus forcément adaptée, tout particulièrement aux nouveaux types de publics accueillis. »
L’ODAS appelle donc à une recentralisation de financement du RSA, alors que le Premier minsitre a annoncé, le 21 juin, que les discussions avec l’Assemblée des départements de France sur le sujet n’avaient pas permis d’aboutir à un accord, même si l’association d’élus devait encore se prononcer sur la question le lendemain en assemblée générale. L’observatoire préconise par ailleurs des « réformes plus structurelles visant à repenser le système dans son ensemble » : en effet, « les deux autres volets principaux de l’action départementale – accueil en établissement et maintien à domicile – ne pourront faire face à la croissance inéluctable des besoins sans une remise à plat de l’ensemble des politiques publiques sociales, avec la volonté de faire mieux à moyens constants ». Il plaide pour que « les priorités d’action soient définies collectivement en prenant en compte les réalités sanitaires et sociales contrastées des territoires pour une bonne affectation des finances publiques » et juge indispensable de « repenser les réponses à partir d’une vision globale des personnes, de leurs besoins et de leur parcours, et non plus par la simple juxtaposition de dispositifs segmentés et disjoints ».
(1) Voir ASH n° 2914 du 12-06-15, p. 24.
(2) La lettre de l’ODAS – Juin 2016 – En ligne sur
(3) La DREES vient de publier un dossier intitulé « Dix ans d’aide sociale départementale aux personnes handicapées 2004-2013 », montrant notamment une hausse de 80 % sur cette période du nombre de mesures d’aide sociale des départements concernant ces publics, les dépenses qui leur sont consacrées augmentant, elles, de 60 % en euros constants – Les dossiers de la DREES n° 2 – Juin 2016 – Disponible sur