Dans un rapport qui vient d’être publié(1), le député (PS) du Val-d’Oise, François Pupponi, et le député (LR) du Haut-Rhin, Michel Sordi, dressent un premier bilan de la loi du 21 février 2014 de programmation pour la ville et la cohésion sociale – dite loi « Lamy » –, qui a rénové en profondeur le cadre de la politique de la ville en faveur des quartiers prioritaires(2). Un premier bilan « plutôt positif, même si sa mise en œuvre reste inachevée ». « Un travail important reste encore à accomplir sur la mobilisation du droit commun, sur la mixité sociale dans l’habitat, sur la participation des habitants et sur la solidarité financière intercommunale », estiment les deux députés.
Les sept décrets d’application prévus par la loi ont tous été publiés dans les délais fixés, se félicitent d’emblée les rapporteurs. Notamment celui qui délimite les 1 500 quartiers prioritaires de la politique de la ville (QPV), pris « à l’issue d’une concertation constructive avec les collectivités territoriales ». L’intention du législateur était de simplifier la géographie prioritaire et de réduire le nombre de quartiers visés afin de se concentrer sur ceux les plus en difficulté. Cette intention a été respectée, souligne le rapport, puisque la nouvelle géographie prioritaire a mis fin à la coexistence de plusieurs zonages et compte environ 40 % de quartiers en moins que la géographie précédente.
Le législateur voulait également recentrer la politique de la ville sur les quartiers les plus pauvres de France et, là encore, cette intention a été respectée par les décrets. « La nouvelle géographie prioritaire fait consensus auprès des acteurs de la politique de la ville » rencontrés par les députés et « aucune anomalie majeure n’a été détectée ». Certains élus ont toutefois regretté les effets de seuil créés par les critères démographiques, en particulier le seuil minimal de 1 000 habitants(3). « Dans le Nord et le Rhône par exemple, certaines poches de pauvreté ont été exclues de la géographie prioritaire en raison de ce seul critère et, en Seine-Saint-Denis, des quartiers pavillonnaires, moins denses mais en voie de paupérisation, n’ont pas non plus été retenus. »
Autre remarque : les députés estiment que la coordination avec d’autres zonages prioritaires pourrait être perfectionnée. Celui de l’éducation prioritaire par exemple, réformé en 2015 sur la base de critères différents de ceux qui ont été utilisés pour la réforme de la politique de la ville. « Un certain décalage peut subsister entre les deux géographies même si 86 % des collèges et 84 % des écoles relevant de l’éducation prioritaire sont situés dans les QPV ou à proximité. »
Par ailleurs, le ministère de l’Intérieur continue à avoir une géographie prioritaire spécifique avec les « zones de sécurité prioritaires » (ZSP). Sur 80 ZSP, 77 – soit 96 % – « sont toutefois situées dans un QPV ».
Les députés se félicitent que tous les contrats de ville aient été signés « dans un délai relativement court grâce à la forte mobilisation des services de l’Etat et des collectivités territoriales ». Néanmoins, cette rapidité de signature « a pu nuire à la qualité de certains d’entre eux ». D’après tous les acteurs auditionnés par les rapporteurs, la qualité du contenu de chacun des piliers autour desquels un contrat de ville doit être organisé est très inégale en fonction des territoires. « En raison des contraintes de calendrier, de nombreux contrats de ville signés en 2015 ne sont, en réalité, que des contrats-cadres qui se contentent de fixer des grandes orientations », indique le rapport.
Certains principes de la loi ont, en outre, été ignorés « pour l’instant ». Ainsi, alors que tous les contrats de ville sont censés désigner une structure locale d’évaluation chargée de mesurer et d’évaluer les résultats obtenus dans les QPV, très peu l’ont fait et « le principe même d’une observation locale des résultats n’a pas été mis en œuvre ».
Les annexes financières des contrats de ville permettant de distinguer les crédits spécifiques et les moyens de droit commun mobilisés dans les QPV n’ont pour la plupart pas été publiées, déplorent encore les députés. « Les négociations en cours se heurtent parfois à des difficultés techniques ou à la mauvaise volonté des acteurs locaux. » Pourtant, s’alarment-ils, sans annexe financière, « les actions décrites dans le contrat de ville peuvent se révéler être des vœux pieux sans lendemain, qu’il est impossible de mesurer ». La difficulté principale de ces négociations consiste à mesurer la mobilisation du droit commun, en particulier celle de l’Etat (Education nationale, justice, police).
Autre problème pointé par le rapport : le contrôle des contreparties à l’abattement de 30 % sur la taxe foncière sur les propriétés bâties (TFPB) pour les bailleurs sociaux « semble inapplicable ». Cet abattement – dont bénéficiaient les logements sociaux situés en zone urbaine sensible – est pourtant censé s’appliquer désormais dans tous les QPV. Son objectif : donner des moyens supplémentaires aux organismes HLM afin d’améliorer la qualité de vie quotidienne des habitants des quartiers. Pour en bénéficier, ils doivent avoir signé les contrats de ville avant le 31 décembre 2015. En plus de cette obligation légale, le ministère de la Ville et l’Union sociale pour l’habitat ont élaboré un cadre national d’utilisation de l’abattement de TFPB dans les QPV et une instruction a demandé aux préfets de faire appliquer ce cadre, lequel prévoit la signature d’une convention d’utilisation de l’abattement, annexé au contrat de ville. Or « la négociation de ces conventions et le contrôle que devraient exercer les communes sur les contreparties mises en œuvre par les bailleurs se heurtent à une difficulté de taille : l’impossibilité qu’ont les communes à mesurer exactement la somme que représente cet abattement par bailleur social et par quartier ». En l’absence de données précises, les engagements des organismes HLM contenus dans les annexes au contrat de ville ne sont donc pas contrôlables et les communes ne peuvent pas vérifier si les sommes supplémentaires engagées par les bailleurs sociaux sont au moins égales au montant de l’abattement. Les députés estiment essentiel qu’un groupe de travail soit créé sur le sujet.
Les députés critiquent aussi, au passage, la réforme de la dotation politique de la ville (DPV), qu’ils jugent « inaboutie ». Cette DPV devait remplacer la dotation de développement urbain (DDU) et devait bénéficier aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale signataires d’un contrat de ville. La loi de finances pour 2015 a bien procédé au changement de nom de la DDU en DPV mais ni le montant de la dotation (100 millions d’euros), ni les critères d’éligibilité et de répartition n’ont été modifiés par rapport à la DDU. « La réforme n’a donc pas vraiment eu lieu », indiquent François Pupponi et Michel Sordi. Le gouvernement s’est contenté de demander aux préfets de financer, avec la DPV, des projets qui se situaient dans les nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville. Les circuits de distribution n’ont pas été modifiés. Ainsi, « ces crédits font toujours l’objet d’une contractualisation spécifique entre le préfet de département et les communes éligibles et celle-ci n’intervient que très tardivement dans l’année ». Or, pour les rapporteurs, « la DPV devrait être versée en début d’année aux communes selon une programmation triennale, dès lors que les objectifs et les actions de la commune ont déjà fait l’objet d’une contractualisation avec l’Etat dans le cadre du contrat de ville ».
Un enjeu majeur de la loi « Lamy » était de renforcer la participation des habitants des quartiers à toutes les étapes de la politique de la ville. Elle a créé dans cette optique les conseils citoyens, censés exister dans chaque QPV. Les rapporteurs estiment qu’ils sont un succès, même si, dans la majorité des territoires, « le délai nécessaire à leur création n’a pas pu permettre de les associer à l’élaboration des contrats de ville ». « La création des conseils citoyens a permis d’attirer de nouveaux habitants qui n’étaient pas impliqués dans la vie du quartier jusqu’alors. »
Leur fonctionnement est très variable en fonction des territoires. Certains ont, par exemple, créé une association loi 1901 ad hoc tandis que d’autres sont adossés à une structure préexistante comme un centre social.
La loi du 21 juin 2014 indique clairement qu’ils doivent travailler de manière autonome par rapport aux pouvoirs publics mais, remarquent les rapporteurs, certaines communes ne respectent pas cette autonomie, fixant par exemple un programme de travail au conseil citoyen. « Face à ces pratiques, il appartient au préfet de rappeler les principes de la loi », estiment François Pupponi et Michel Sordi.
Les deux parlementaires jugent encore essentiel que les conseils citoyens participent de manière effective à la mise en œuvre des contrats de ville et à la négociation des différentes conventions d’application. Pour cela, leurs membres « doivent être formés ». A charge pour l’Etat, donc, de s’assurer que les conseils citoyens disposent de moyens financiers suffisants pour assurer ces formations.
(1) Rapport disponible sur
(3) Certains quartiers sont sortis de la géographie prioritaire parce qu’ils ont une population inférieure à 1 000 habitants.