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Un autre chemin vers le soin

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A l’Hôtel-Dieu de Paris, l’Espace santé jeunes accueille des adolescents en rupture familiale, sociale et/ou scolaire pour un suivi médical adapté. Unique en France, ce lieu d’écoute, de réassurance et d’accompagnement ne désemplit pas.

Le médecin prend connaissance des résultats d’analyse que Souleymane, 19 ans, lui a apportés. « Bon, ça, c’est une application du principe de précaution, explique Thomas Girard, médecin interniste, en parcourant le document. Vous avez des anticorps du paludisme. Vous n’êtes pas malade, rassurez-vous. Néanmoins, vous ne pouvez pas donner votre sang. » Le jeune homme est arrivé en France il y a trois ans en provenance de Guinée-Conakry. Lycéen en CAP de chaudronnerie industrielle, il fréquente régulièrement l’ESJ (Espace santé jeunes, également nommé unité Guy-Môquet), installé dans les locaux de l’Hôtel-Dieu, à Paris(1). « C’est à l’infirmerie de mon lycée qu’on m’a conseillé cet endroit, un jour où j’étais malade, se remémore-t-il. Je suis venu avec mon éducatrice. J’ai l’impression qu’on y connaît mieux les jeunes et je m’y sens bien. » Tellement bien, même, qu’il a fait du docteur Girard, le responsable de l’unité, son médecin traitant. « Vous allez vous installer sur la table, on va refaire votre examen clinique, poursuit celui-ci en observant attentivement la joue du jeune patient, marquée d’un abcès persistant. Vous prenez bien les médicaments que je vous ai prescrits ? »

En plein cœur de Paris

L’ESJ a été créé en 1998 au sein de l’AP-HP (Assistance publique – Hôpitaux de Paris), en plein cœur de la capitale, sur l’île de la Cité. Il offre des consultations multidisciplinaires (plus de 6 000 rendez-vous annuels) de diagnostic, de dépistage, de traitement et de suivi des problématiques de santé qui surviennent chez des patients âgés de 13 à 25 ans en rupture familiale, sociale et/ou scolaire. « Nous pouvons garder ceux que nous suivons depuis longtemps jusqu’à 25 ans, mais nous n’initions pas de nouveau suivi à cet âge-là », précise Thomas Girard. Trois médecins généralistes, une gynécologue, un dermatologue, un psychologue, une thérapeute familiale, une diététicienne, deux infirmiers et un aide-soignant composent l’équipe.

« Ici, on s’occupe d’abord du corps, car il faut absolument rassurer les jeunes en rupture sur son bon fonctionnement, résume le praticien. Ensuite, si nécessaire, on peut introduire un projet de soin incluant l’outil psychothérapeutique. » Une approche inverse à l’entrée dans le soin habituellement proposée aux jeunes qui débarquent aux urgences alors qu’ils sont en crise, avec des addictions ou un besoin sur le plan de la santé psychique. « Ici, l’approche psychologique est vraiment complémentaire, et enclenchée uniquement selon l’avis du médecin, explique Raphaël Léger, psychologue. Ce qui se passe dans le corps peut avoir une incidence sur ce qui se passe dans la tête, et vice versa, donc il est important de pouvoir proposer les deux. » Avec lui, comme avec le généraliste, l’accueil peut se résumer à une unique consultation, mais peut aussi se transformer en véritable suivi psychanalytique, si le jeune est à l’aise avec cette orientation.

Les patients sont adressés par des travailleurs sociaux de l’ASE (aide sociale à l’enfance), de la PJJ (protection judiciaire de la jeunesse), des missions locales, des structures prenant en charge des mineurs isolés étrangers, des infirmières scolaires… « Même s’ils étaient suivis ailleurs au préalable, chez nous, tous les nouveaux arrivants bénéficient d’une visite médicale à l’ESJ, indique pour sa part Marylène Vénus, éducatrice spécialisée au service d’accueil d’urgence 75. C’est plus pratique car c’est centralisé : on prend les rendez-vous toujours au même endroit, on connaît l’équipe, plutôt que de récupérer les coordonnées d’un médecin traitant, de chercher son adresse, etc. »

Un public qui requiert beaucoup de souplesse

Evelyne Mazelle et Christine Lenen, les secrétaires médicales, s’agacent parfois des absences à répétition et des retards de certains jeunes. Ce matin, trois d’entre eux n’ont pas honoré leurs engagements, sans avertir. « Même avec le service de rappel par SMS, on a environ 23 % de rendez-vous ratés », observent-elles. Ce qui ne les empêche pas de rester disponibles et de rappeler un patient pour lequel elles connaissent l’importance du suivi. Ce sont également elles qui gèrent les rendez-vous avec les autres spécialités présentes dans l’hôpital. « Il faut qu’on soit souple avec les adolescents, ajoute Laurent Raby, l’aide-soignant de l’unité. Parfois, ils n’ont pas d’unités sur leur téléphone pour nous appeler ; d’autres fois, ils vont surgir sans rendez-vous parce qu’un symptôme les inquiète. Cela arrive régulièrement. Ils ont parfois une notion de l’urgence un peu particulière, alors on ressort leur dossier et on voit avec eux si cela peut attendre. Sinon, si un médecin est disponible, il les verra. »

Pour les primoconsultants, une large consultation généraliste (d’environ trente à cinquante minutes) est d’abord proposée, au cours de laquelle un bilan de santé est réalisé, avec examen clinique, entretien, recherche d’antécédents… Lorsque les patients ne parlent pas français (une bonne moitié d’entre eux sont des migrants), un interprète est mis à disposition par la structure d’origine (France terre d’asile, ASE, etc.). Ensuite, l’infirmier prend le relais pour les prélèvements biologiques prescrits ainsi que quelques conseils de prévention. « Ceux qui sont adressés par la PJJ ont généralement un bon suivi médical préalable, explique Claire Allais, médecin généraliste. Ils vivaient chez leurs parents avant d’entrer dans un centre éducatif renforcé ou fermé, avaient un médecin traitant chez eux, et peu reviendront. » En revanche, les adolescents adressés par la médecine scolaire ou l’ASE peuvent présenter des besoins plus importants, qu’il faudra accompagner sur le long terme. « Ceux-là vont quitter leur famille pour un foyer ou un placement en famille d’accueil, ou bien ce sont des mineurs étrangers qui viennent d’arriver. L’ESJ peut devenir leur point d’attache pour tout ce qui concerne leur santé, parce que c’est un lieu facile d’accès et réservé à leur usage. »

La préservation du secret médical

L’équipe de l’ESJ demande qu’un éducateur accompagne systématiquement le jeune pour sa première consultation. « Mais nous recevons le patient seul, précise Thomas Girard. A charge pour nous de voir ensuite ce que nous pouvons divulguer à l’accompagnateur, dans le respect du secret médical et avec l’autorisation du jeune. Certains travailleurs sociaux vont avoir tendance à nous appeler plus que d’autres pour savoir ce qui s’est passé en consultation. Mais, dans l’ensemble, ils comprennent l’intérêt du secret médical. C’est ce qui fait notre spécificité par rapport à un médecin qui serait intégré dans l’équipe sociale, et ce qui nous permet de créer vraiment un lien de confiance avec l’adolescent. » Des éducateurs confient pourtant regretter de ne pas en savoir plus sur les traitements prescrits. « Les connaître nous permettrait d’être plus vigilants quant aux potentiels effets secondaires ou à l’accompagnement nécessaire à la prise d’un médicament », observe Marylène Vénus. L’éducateur sera évidemment averti si une affection représentant un risque pour la collectivité (gale ou tuberculose) est diagnostiquée. Et, au besoin, certaines situations complexes exigeront l’organisation de réunions de synthèse associant les soignants et les travailleurs sociaux partenaires. « Cela nous arrive deux ou trois fois par an », note Thomas Girard. En dehors de ces situations, nous n’avons pas tellement d’échanges avec les travailleurs sociaux. » Par exemple, lorsque l’ESJ appelle l’un de ses partenaires pour signaler un rendez-vous non honoré.

Les problématiques de santé identifiées en consultation sont diverses. « Nous avons fait une étude et découvert que, paradoxalement, les jeunes migrants étaient souvent en bonne santé à leur arrivée »,poursuit Claire Allais. Ils présentent des carences en médecine préventive (vaccination, soins dentaires…) et peuvent subir des syndromes post-traumatiques. Mais ils mangent mieux, plus régulièrement que les non-migrants qui, eux, présentent des problématiques d’addiction et de troubles des rythmes (alimentation, sommeil). La rupture n’est pas la même et n’est pas vécue de la même manière par tous. « Un jeune migrant arrive avec une mission, il doit aider sa famille, donc trouver une école, une formation et avancer coûte que coûte, observe la généraliste. Alors que les jeunes qui sont nés en France sont plus souvent dans le décrochage. »

Un suivi à long terme

Après la consultation, le bilan biologique prescrit par le médecin est réalisé par l’un des deux infirmiers de l’unité. « Nous faisons un bilan standard : hématologie, biologie, recherche des hépatites B et C, dépistage du VIH, analyse des urines, etc., détaille Sophie Bridou, infirmière. En fonction de la curiosité manifestée par le jeune, nous lui apportons des explications sur ce que nous faisons, et expliquons le fonctionnement du corps humain de manière ludique. » La contraception est abordée au niveau médical et infirmier. « Moi qui pensais que la prévention était acquise à ce propos, j’ai été très surpris en arrivant ici, confie Laurent Raby, qui aide à la consultation infirmière. De nombreuses jeunes filles ne savent pas ce qu’est un cycle, et nous découvrons parmi nos patients plein de tout jeunes parents. » Le poste de soin dispose d’un appareil qui réalise les analyses d’urine en direct. « C’est important parce que, lorsque nous avons affaire à des consommateurs de drogue, on peut leur montrer directement les données analysées, afin qu’il n’imaginent pas qu’on est en train de faire une recherche de toxiques à leur insu », poursuit l’infirmière.

Entre les différents rendez-vous, les patients regagnent la salle d’attente, l’un concentré sur son smartphone, l’autre penché sur un puzzle représentant le monde, une troisième dans son coin, les écouteurs vissés aux oreilles. « Cet endroit est vraiment une ressource importante, où les jeunes peuvent revenir facilement quand ils veulent », confie Lindsey Ratajczak, éducatrice spécialisée de la PJJ, qui attend l’adolescent qu’elle accompagne à son rendez-vous. « Et même une fois que le jeune n’est plus chez nous, il peut continuer d’être suivi ici, complète Marylène Vénus. Ce matin, par exemple, nous avons accueilli une jeune fille qui est désormais en errance, mais nous nous sommes rendu compte qu’elle continuait de fréquenter ce lieu. »

Pendant ce temps, à l’accueil, les patients défilent pour programmer le prochain rendez-vous qui leur permettra de récupérer leurs résultats d’analyses ou d’être vus par le dermatologue, la gynécologue, le psychologue… Voire d’accéder aux services du plateau technique voisin, où ORL, tabacologie, consultation de chirurgie réparatrice, dentiste et ophtalmologiste sont facilement accessibles. « Avec ce type de population, il est important qu’un maximum de services soient accessibles dans un même lieu, insiste Thomas Girard. Plus on éclate la prise en charge, plus on risque de perdre ces personnes de vue. »

Un processus qui peut prendre quatre ans

L’ESJ est également un sas pour l’organisation du suivi des jeunes atteints de VIH, au moment de leur passage d’un service de pédiatrie à un service de consultations pour adultes. Une période délicate et difficile, qui amène le patient, déjà en proie aux questionnements de l’adolescence, à perdre le repère que représentent son pédiatre et le service hospitalier où il a été suivi depuis toujours. « C’est une idée qui est apparue il y a une dizaine d’années, raconte Martine Lévine, infectiologue. A l’époque, on se posait surtout la question de savoir comment transmettre un maximum d’informations au médecin d’adultes qui prenait le relais, mais on ne tenait pas compte de ce qui se passait chez l’adolescent, qui ne devenait pas adulte du jour au lendemain. »

L’idée est donc, pour des jeunes suivis à l’hôpital pédiatrique Robert-Debré du XIXe arrondissement de Paris, d’organiser au sein même de l’unité Guy-Môquet les consultations avec Martine Lévine, leur pédiatre infectiologue habituel, qui fait le déplacement une matinée par mois. Ils découvrent ainsi un lieu nouveau, mais plus contenant toutefois qu’un service d’infectiologie adulte. « C’est un lieu où la communication est très souple, et informelle avec les différents soignants, tout cela au service d’une maturité que les jeunes sont en train d’acquérir, au cours d’un temps incompressible d’adaptation. » Une fois installés dans l’ESJ, où ils bénéficient également de consultations avec les autres soignants de l’équipe, les adolescents y rencontrent le médecin d’adultes qui prendra le relais de leur suivi et qui, lui aussi, réalisera ici ses premières consultations. « Le processus peut prendre quatre ans avant que le patient parte définitivement vers le service d’adultes, précise Martine Lévine. Car il ne s’agit pas juste de faire un bon transfert, mais aussi d’accompagner un processus avec un temps et un lieu spécifiques. »

Bien insérés dans le système de soins, ces jeunes ont, en général, également un suivi social adapté, fourni par les associations spécialisées. « On n’a quasiment aucun perdu de vue. Il peut y avoir des difficultés à la prise du traitement au long cours, mais on est là et on peut travailler les choses avec eux », poursuit l’infectiologue. Par le passé, pourtant, certaines situations difficiles se sont présentées, entre autres celles de jeunes expulsés du foyer familial. « Si nous sentons une situation délicate, nous faisons nous-mêmes appel aux associations qui peuvent héberger et accompagner le jeune dans ses difficultés sociales », complète Thomas Girard. En théorie, les travailleurs sociaux de l’Hôtel-Dieu devraient pouvoir prendre le relais. « Malheureusement, regrette l’interniste, le travail social à l’hôpital est actuellement complètement déstructuré. Du coup, lorsque cela est nécessaire, c’est moi qui m’occupe de chercher des solutions. »

Enfin, l’ESJ propose d’autres services tels que l’accès au sport. Une convention a ainsi été signée avec la Mairie de Paris pour faciliter l’inscription des patients dans ses activités de loisirs, et deux lignes d’eau leur sont réservées à la piscine du Marais le vendredi soir, avec la présence d’un éducateur sportif. Cerise sur le gâteau, les enseignants de L’école à l’hôpital interviennent également au sein de l’unité tous les jours de la semaine. « Pour moi, la scolarité fait partie du soin, affirme Thomas Girard. Durant les consultations de suivi, nous demandons toujours au jeune quel est son projet scolaire-professionnel. Si l’on sent un besoin, on l’orientera vers la coordinatrice de l’école à l’hôpital. » Celle-ci peut proposer des cours en mathématiques, en français pour étrangers, en sciences de la vie et de la terre, en langues, en histoire-géographie, en mercatique, etc. Chaque année, 50 à 60 jeunes sont concernés. « On ne remplace pas un établissement scolaire, c’est vraiment du soutien avec un professeur pour un élève, tient à préciser Marthe Liaskovsky, coordinatrice de cette antenne de L’école à l’hôpital. Il n’y a jamais de contrôles, d’interrogations écrites. C’est une aide simple et la plus bienveillante possible, sans jugement. »

L’unité reçoit chaque année un millier de nouveaux patients. Un temps menacée par les projets de réaménagement de l’Hôtel-Dieu, elle est toujours active et disponible. « C’est une chance pour nous, car la santé, c’est une dimension de la vie de nos jeunes qui est prise en charge ici, dans un autre contexte, avec d’autres intervenants et dans la confiance, conclut Lindsey Ratajczak, éducatrice PJJ. Cela peut leur permettre de rebondir, de reprendre leur vie en mains, même si nous restons évidemment leur fil rouge. »

Notes

(1) ESJ Guy-Môquet : Hôtel-Dieu – 1, parvis Notre-Dame – Place Jean-Paul-II – 75004 Paris – Tél. 01 42 34 87 24 (ou 88 72).

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