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Les conseillers en ESF ne doivent pas disparaître !

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Les travaux autour de la refonte de l’architecture des diplômes du travail social ne doivent pas gommer la spécificité du métier de conseiller en économie sociale familiale, défendent, au nom de France ESF, Eliane Marroc et Christine Scaranello, respectivement présidente et vice-présidente de l’association. Estimant que les débats font l’impasse sur cette profession, elles demandent que leur association participe aux discussions.

« Un trop grand silence entoure aujourd’hui le métier de conseiller en économie sociale familiale (ESF), son histoire, sa raison d’être, sa formation. Les professionnels sont ainsi peu associés à la construction de son devenir dans le cadre de la réingénierie des diplômes du travail social. Les débats engagés à cette occasion font si peu référence à la profession de conseiller en ESF qu’il nous semble important de rappeler ce qui fait la spécificité de ce travailleur social de terrain qui, centré sur le quotidien de la personne, intervient autant sur le plan individuel que collectif(1).

Notre métier a été fondé dès le XIXe siècle sur des bases d’enseignement ménager avec la création par Augusta Moll Weiss d’une première école (1873) qui s’intéressait “à la partie matérielle de la vie, celle qui tend à produire un bien-être dont dépend le bonheur et la prospérité de la famille”. Cet enseignement de l’économie domestique, qui visait à apprendre à vivre et à gérer la vie quotidienne en utilisant de façon optimale les ressources du milieu, se développe au début du XXe siècle, au sein de centres d’éducation sociale familiale ménagère. Il a une double finalité : “celle de l’idéologie émancipatrice reposant sur la croyance dans le progrès […] et celle de la domestication de la vie privée et d’inculcation d’une morale pour conforter la famille et garantir la paix sociale”(2).

Dans cette période de guerres, de crise économique, de famines, l’enseignement ménager familial, rendu obligatoire en 1942, s’ouvre aux notions d’hygiène, de santé, de budget, d’alimentation, de prévoyance, afin d’aider les populations à faire face à la pénurie. Il s’adressera tant aux jeunes qu’aux adultes, principalement des femmes, sur leurs lieux de travail ou d’habitation. Cette fonction sera reconnue en 1943 par la création d’un diplôme (préparé en trois ans) de monitorat d’enseignement ménager et d’un diplôme de professeur d’enseignement ménager familial sous la double tutelle du ministère de l’Instruction publique et du ministère de la Santé et de la Population. Les professionnels formeront en 1945 une première union nationale(3). Mais “la constante de la profession, au-delà de l’expertise du quotidien, sera de s’adapter au contexte économique et social, dans le souci grandissant des professionnels, de venir en aide aux publics en difficulté”(4).

Une approche globale des problèmes quotidiens

Les années 1960 permettent l’ancrage de la profession dans l’action sociale. Avec le développement de l’équipement ménager et des crédits à la consommation, la monitrice d’enseignement ménager, qui a jusqu’ici aidé à “faire au mieux avec ce que l’on a”, met en place des actions de formation et d’information auprès d’adultes dans des services sociaux (SNCF, CAF, MSA,..). Il s’agit, tout en contribuant “au progrès et au bien-être social des différents membres du groupe familial en favorisant leur adaptation au milieu social”(5) de savoir “mieux” acheter. Son rôle évolue vers celui de conseillère ménagère, qui est reconnu par un brevet de technicien supérieur (1963). La profession s’arme alors de sciences humaines, sociales, économiques, physiques…, afin d’informer, de conseiller et de mener des actions d’animation avec une approche globale des problèmes quotidiens de la famille, en valorisant les compétences des personnes dont la participation est sollicitée. Les intervenantes intègrent alors les services sociaux départementaux. Selon la circulaire du 12 décembre 1966, il est en effet “souhaitable de prévoir à côté des assistantes d’autres agents tels que […] conseillères ménagères […]”. Les activités domestiques ne sont plus une fin en soi, mais elles deviennent le “support à la création de liens sociaux, un mode d’intervention au service du travail social… ; les conseillères s’orientent vers une animation socioculturelle dans les centres sociaux… ; le maître mot est la prévention dans le domaine de l’action sociale”(6).

C’est le BTS en ESF, créé en 1969, qui fait disparaître l’expression “enseignement ménager” au profit de celle d’“économie sociale familiale”. En effet, cette dernière formulation, selon l’arrêté du 13 juin 1969, “élargit les problèmes à la mesure de notre temps, qui exprime la pénétration de la vie sociale à travers la vie familiale”. Elle s’accompagne de la constitution de l’Union nationale des professionnelles en ESF en 1969.

En 1973, le diplôme de conseiller en économie sociale familiale, préparé en un an après le BTS, reconnaît aux professionnels un rôle de “travailleur social qui concourt à l’information et à la formation des individus et des groupes pour les aider à résoudre les problèmes de la vie quotidienne. Son activité spécifique s’insère dans le cadre de l’action sociale en collaboration avec les autres travailleurs sociaux” (article 1er de l’arrêté du 9 mai 1973). Ce professionnel sera présent dans l’action sociale générale et spécialisée, mais aussi dans le secteur sanitaire. Avec l’évolution des rôles familiaux, la profession, exclusivement féminine à ses débuts, s’ouvre peu à peu aux hommes.

Elle connaît ensuite des changements. L’année 1978 va lui permettre d’intégrer des méthodes de travail pour aborder, analyser et proposer concrètement des projets d’action relatifs à la vie quotidienne, à travers tous ses aspects (sociologique, économique, psychologique, technique, écologique) et dans différents domaines (habitat et environnement, logement et équipement, alimentation, habillement, vie sociale, santé). La dernière réforme en 2009 structure le BTS, dont les enseignements sont renforcés dans le domaine de l’habitat, du développement durable, de la gestion financière et administrative, et le diplôme de CESF – devenu d’Etat – autour de quatre domaines de compétences à acquérir. Ce qui a comme effet de doubler le nombre d’épreuves de certification et de rendre plus difficile, au final, l’octroi du titre. En outre, l’année de diplôme d’Etat de conseiller en ESF est désormais accessible, en plus des techniciens en ESF, aux autres diplômés du secteur social de niveau III (ASS, ES, ETS, EJE), aux diplômés des instituts universitaires de technologie “carrières sociales” et par la voie de la validation des acquis de l’expérience. Cette réforme renforce l’inscription de la profession dans le champ du travail social tout en reconnaissant sa capacité à adapter ses pratiques préventives et éducatives relatives à la gestion de la vie quotidienne aux besoins plurifactoriels des personnes en difficulté socio-économique.

Une expertise reconnue

L’histoire a ainsi permis aux conseillers en ESF d’asseoir leur légitimité dans la gestion du quotidien. Les employeurs disent apprécier ces professionnels(7) en raison de leur capacité à exercer diverses fonctions et à passer à l’action à partir de supports très concrets de la vie courante. C’est grâce à notre double formation technique et d’intervention sociale, sur un registre tant curatif que préventif, que nous savons accompagner la ou les personnes dans l’objectif de développer leurs capacités d’agir et de faire des choix de vie adaptés à leurs besoins. Notre expertise en éducation budgétaire vient d’ailleurs d’être reconnue à travers notre intégration dans les “points conseil budget”(8), qui sont actuellement expérimentés sur certains territoires. Nous restons toutefois vigilants pour que ce dispositif reste professionnel et exclusivement au service des personnes.

Encore aujourd’hui, notre formation en ESF est placée sous une double tutelle ministérielle : l’ Enseignement supérieur et la Recherche, d’un côté, et les Affaires sociales et la Santé, de l’autre. Nous nous interrogeons sur la façon dont ces deux ministères vont se coordonner pour porter un projet commun sur l’avenir de notre profession dans le cadre de la réforme des diplômes sur laquelle la commission professionnelle consultative du travail social et de l’intervention sociale est chargée d’émettre des propositions(9).

Comment cette réforme va-t-elle prendre en compte la spécificité de notre formation, qui s’est construite autour d’un BTS et d’un diplôme d’Etat, et celle de son financement ? Quels moyens seront-ils dégagés pour permettre au travail social de s’adapter à l’évolution de la société et quelle place sera donnée à l’accompagnement social de la personne dans son quotidien ? Pourquoi la prévention n’a-t-elle pas davantage de place dans l’action sociale ?

Ce sont sur ces questions que nous voulons pouvoir débattre avec l’ensemble des acteurs. Nous avons à nos côtés des milliers de professionnels, de formateurs, d’étudiants qui s’inquiètent de l’issue des réflexions actuelles. C’est pourquoi nous insistons avec conviction auprès des pouvoirs publics pour participer au nécessaire travail de coconstruction des diplômes du travail social. Il nous semble très important de préserver la spécificité de notre formation en ESF dans ses dimensions techniques, socio-économiques, scientifiques, humaines, si utiles à la compréhension des besoins de “quotidienneté” des personnes et à leur accompagnement vers un mieux-être dans notre société. »

Contacts : eliane.marrocesf@laposte.net ; christine.scaranello@gmail.com

Notes

(1) Voir notre décryptage « Les CESF, expertes du quotidien » dans les ASH n° 2741-2742 du 13-01-12, p. 34.

(2) Brigitte Bouquet, Emmanuel Jovelin – Histoire des métiers du social en France – Ed. ASH Professionnels, 2005.

(3) Union nationale des professeurs et monitrices d’enseignement ménager et familial.

(4) Voir Tout en un CESF – Sous la direction d’Agnès Fostel – Ed. Vuibert, 2014.

(5) Op. cit.

(6) Op. cit.

(7) Voir le rapport d’évaluation du diplôme d’Etat de conseiller en ESF réalisé par le cabinet Geste et Louis Dubouchet en 2013 – Disponible sur http://goo.gl/UQ1d99.

(8) Voir ASH n° 2948 du 19-02-16, p. 9.

(9) Voir ASH n° 2962 du 27-05-16, p. 25. La CPC devrait se réunir à nouveau le 21 juin prochain sur le sujet.

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