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Denis Bourque : « Au Québec, l’intervention communautaire est une composante fondamentale du travail social »

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L’intervention collective est inscrite depuis toujours dans le modèle social québécois. En France, en revanche, ce type d’approche peine à trouver sa place. Titulaire de la chaire de recherche du Canada en organisation communautaire, Denis Bourque détaille les modalités de l’intervention communautaire au Québec et pointe les différences entre nos deux pays.
Action communautaire, intervention communautaire, est-ce la même chose ?

Non, ce sont deux notions différentes. A noter que, en France, on parle plutôt d’action et d’intervention collectives. L’action communautaire est menée directement par les citoyens de communautés qui essaient d’agir collectivement, de la manière qui leur convient, sur des objectifs qu’ils déterminent. L’intervention communautaire, en revanche, est le propre des professionnels dont la fonction est de soutenir l’action communautaire, qui est toujours collective. Ce sont des experts qui ne sont pas nécessairement concernés eux-mêmes par l’objet de cette action collective. Ils sont là pour favoriser le processus démocratique que représente cette action en vue d’améliorer les milieux et les conditions de vie des citoyens.

De quelles communautés s’agit-il : culturelles, territoriales, économiques ?

Ce sont des communautés aussi bien d’intérêts et d’affinités que d’identité. Elles sont aussi géographiques ou territoriales. L’organisation communautaire a souvent une visée préventive, que ce soit dans le domaine social, de la santé ou de l’environnement. Il ne s’agit pas seulement de traiter les symptômes, mais bien d’agir sur les causes des problèmes rencontrés par les citoyens. C’est un principe éthique de l’organisation communautaire. Historiquement, il existe au Québec depuis quarante-cinq ans un service d’organisation communautaire au sein du service public. Dans les établissements publics de santé et de services sociaux – ou institutions, comme on les appelle chez nous – interviennent des professionnels nommés organisateurs communautaires. Ce sont à 70 % des femmes, au nombre de 400, payées pour agir sur l’action communautaire.

Comment expliquez-vous que l’intervention communautaire ait trouvé sa place depuis longtemps au Québec ?

Les sociétés française et québécoise sont, de ce point de vue, assez différentes. Le principe du regroupement de personnes sur la base d’intérêts partagés pour faire valoir certains objectifs est reconnu et valorisé depuis longtemps au Québec. Cette prise en charge collective est vue de façon positive. La présence des corps intermédiaires n’est pas considérée comme une menace à la démocratie et au principe d’égalité. Cette dimension était présente dès l’origine du Québec dans les interactions avec les communautés autochtones qui sont, pour la plupart, très structurées autour de pratiques de délibérations collectives. Mais il faut y voir aussi l’influence du modèle anglo-saxon. Les politiques publiques y sont moins perçues comme émanant de l’autorité suprême de l’Etat et davantage comme résultant d’une coconstruction avec la société civile et les communautés concernées. De ce fait, la formation en travail social, au Québec, est fondée sur trois méthodologies complémentaires : l’intervention individuelle ou familiale, l’intervention de groupes et l’intervention communautaire. Cette dernière est une composante fondamentale du travail social. Il y a des tentatives en France pour aller dans ce sens, mais elles sont loin d’être aussi structurées. Au Québec, il existe un titre d’emploi d’organisateur communautaire dans le service public, dédié à 100 % à l’intervention collective. Ce n’est pas le cas en France, où les travailleurs sociaux, à côté de leur mission d’accompagnement individuel, essaient de faire de l’intervention collective. Mais cela ne peut pas fonctionner car l’intervention individuelle a toujours la priorité.

Concrètement, que font les organisateurs communautaires ?

Ils travaillent dans des établissements publics de santé et de services sociaux, les deux étant intégrés, au Québec, autour de trois axes d’intervention. Tout d’abord, ils font du soutien aux organismes communautaires – en France, on parlerait d’associations – en développement ou en difficulté dans leur action. Ces organismes peuvent agir dans différents domaines : la santé, le social, l’environnement, etc. Les organisateurs communautaires travaillent également au développement local ou à celui des communautés. Pour cela, ils collaborent avec les organisations et les institutions sur une base territoriale, autour d’enjeux transversaux aux communautés. Cela peut prendre la forme de « tables de quartier »(1) – comme à Montréal, où ces tables regroupent des associations de citoyens, des institutions publiques et, parfois, des élus et acteurs du secteur privé sur des enjeux de développement d’un quartier spécifique. Le troisième volet de l’intervention des organisateurs communautaires consiste à faire en sorte que les institutions de santé et de services sociaux s’adaptent au mieux aux besoins des communautés. Cela consiste, par exemple, à créer des liaisons entre les services institutionnels et le terrain en mettant en œuvre des processus consultatifs et participatifs.

Quelle est l’efficacité de cette approche ?

Des travaux de recherche ont été menés notamment sur les « tables de quartier » à Montréal. Ils ont montré que, globalement, ces initiatives avaient des résultats intéressants sur l’implication des citoyens et des acteurs locaux, avec des effets concrets sur la transformation des quartiers, par exemple pour mieux aménager l’environnement. Cela débouche aussi sur une meilleure réponse à certains besoins sociaux, mieux pris en compte et coordonnés entre les différents acteurs, en matière de logement social ou encore de sécurité alimentaire. On observe également des effets concernant l’intégration et la cohésion sociale en favorisant la cohabitation de communautés culturelles et l’émergence d’un sentiment d’appartenance partagé. Le programme des « tables de quartier » a d’ailleurs été reconduit à Montréal cette année, alors que nous sommes en pleine période d’austérité.

Le modèle néolibéral bouscule-t-il ce type d’intervention ?

Le modèle d’organisation communautaire de service public, depuis qu’il existe, est régulièrement confronté à des difficultés, des remises en question et des oppositions. A une époque, les élites locales trouvaient que soutenir des collectifs de citoyens qui contestaient certains modes d’aménagement du territoire heurtait des intérêts privés. Une opposition est venue ensuite de la nouvelle gestion publique prônant une approche descendante et autoritaire des politiques publiques, alors que l’organisation communautaire s’inscrit dans une perspective qui n’est justement pas technocratique. Des affrontements ont eu lieu sur cette question dans le réseau de la santé et des services sociaux. Plus récemment, au Québec, a prévalu une approche hospitalo-centriste, très médicale. On le voit, il existe une tension permanente, mais l’organisation communautaire n’en continue pas moins à vivre et à se développer.

Ce modèle est-il exportable en France,et à quell es conditions ?

Le danger serait de penser que tout est beau au Québec et que tout va mal en France. Je viens souvent ici et j’y apprends toujours des choses(2). Le Québec peut être une source d’inspiration pour vous comme la France l’est pour nous. Mais il est normal que l’action et l’intervention communautaires soient différentes dans nos deux pays. Ce serait une grave erreur de faire du copier-coller. Les enjeux sont sensiblement les mêmes, mais les contraintes différentes. Une question essentielle dans l’intervention collective est celle de la finalité. Pourquoi fait-on cette intervention, et pour qui ? Quand la réponse à cette question est claire, les modalités en découlent assez naturellement. Le problème, en France, est que les techniciens du social sont habitués à organiser pour les habitants, mais très peu à les organiser pour qu’ils s’occupent eux-mêmes des problèmes de la manière qui leur convient. Les professionnels sont dévoués et engagés sans que cela donne toujours les bons résultats. Pour que l’intervention communautaire fonctionne, il faut impliquer les personnes concernées le plus tôt possible, et ne pas élaborer un plan entre professionnels en espérant que les gens y adhèrent. Il faut concevoir le plan avec les personnes concernées. Ce doit être une coconstruction, qui impliquera généralement un accompagnement actif de la part des intervenants et le déploiement de pratiques d’empowerment. C’est de cette façon que l’on peut obtenir les meilleurs résultats.

Repères

Denis Bourque est professeur au département de travail social de l’Université du Québec en Outaouais et titulaire de la chairede recherche du Canada en organisation communautaire. Avec René Lachapelle, il a cosigné Service public, participationet citoyenneté. L’organisation communautaire en CSSS(1) (éd. PUQ, 2010).

Notes

(1) Voir l’interview du sociologue Julien Talpin dans les ASH n° 2959 du 6-05-16, p. 26.

(2) Denis Bourque était notamment présent en France les 18 et 19 mars dernier aux rencontres du Séminaire pour la promotion de l’intervention sociale communautaire (SPISC).

(1) Centre de santé et de services sociaux.

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