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Sortir de l’oubli les enfants handicapés confiés à l’ASE

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En dénonçant la situation des enfants handicapés placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), le défenseur des droits a mis en évidence les failles des systèmes d’information, le cloisonnement des politiques publiques et des dispositifs ainsi que les carences de l’offre médico-sociale. Parmi les priorités, coordonner l’ensemble des interventions autour de l’enfant et de sa famille.

Sur les 300 000 mineurs pris en charge dans les structures de protection de l’enfance, plus de 70 000 seraient porteurs d’un handicap, qu’il soit physique, sensoriel, mental, cognitif ou psychique. Soit 17 % des enfants placés à l’aide sociale à l’enfance (ASE), quand la prévalence du handicap n’est que de 2 à 4 % dans l’ensemble de la population. Une différence difficilement explicable. Les chiffres avancés par le défenseur des droits dans son rapport de 2015 consacré aux enfants handicapés placés à l’ASE(1) ont, pour la première fois, braqué le projecteur sur ce public situé dans les interstices des dispositifs, après que plusieurs associations ont dénoncé ces situations(2). Une catégorie d’« invisibles » oubliés à la fois des politiques d’accompagnement du handicap et de protection de l’enfance et, finalement, ignorés de la statistique.

Geneviève Avenard, défenseure des enfants et co-auteure de ce rapport, avoue avoir été frappée par ce désintérêt général de la société. « Tout découle de ce manque de prise en considération : manque d’informations partagées, manque de coordination autour des enfants. Alors que leur double appartenance au handicap et à la protection de l’enfance nécessiterait une attention particulière, ils arrivent à l’âge adulte dans une absence totale d’anticipation, avec des réponses de bric et de broc posées sans évaluation de leurs besoins. »

Situations dangereuses

Ces enfants arrivent à l’aide sociale à l’enfance au terme d’une spirale de difficultés qui commence dès le diagnostic du handicap. Celles-ci peuvent prendre la forme d’une dégradation des conditions de vie de la famille, générant l’apparition de tensions plus ou moins vives. Plus la famille est fragile, plus les difficultés peuvent s’exacerber, notamment sur le plan éducatif, et conduire à la mise en danger de l’enfant. Parfois aussi, l’enfant peut être laissé pendant des années sans solution, faute de place en institution spécialisée, au risque de remettre en cause l’intégrité et la sécurité de son entourage. Il arrive d’ailleurs qu’un signalement soit effectué par un travailleur social dans le seul but de trouver, enfin, un accompagnement en établissement.

Certaines maisons d’enfants à caractère social (MECS) comptent plus de 25 % de mineurs inscrits à la maison départementale des personnes handicapées (MDPH) pour des handicaps, en majorité cognitifs et psychiques, parfois très lourds. Près de Marseille, Marianne Antunès, directrice de la MECS Les Marcottes, a fait ses comptes : en 2015, sur les 47 enfants accueillis dans son établissement, 35 % bénéficiaient d’une notification de la MDPH. « On pensait que les parents d’enfants handicapés n’étaient pas touchés par des problèmes sociaux et relationnels. Or on voit poindre aujourd’hui des dossiers de protection de l’enfance qu’on ne voyait jamais avant, handicap physique, autisme, trisomie », observe la directrice. Son établissement a même dû accueillir un enfant paraplégique qui faisait l’objet d’une mesure séparative. Le département a fourni les aides nécessaires : rampe d’accès, salle de bains adaptée pour l’aménagement des locaux et renfort d’une aide-soignante pour l’organisation des soins…

Pascal Hauffray, directeur de la MECS L’Envol à Saint-Brieuc, fait, quant à lui, état du désarroi de l’ASE. « Nos établissements subissent de plus en plus de pressions pour accueillir des enfants handicapés qui relèvent du médico-social. Il est anormal que l’ASE soit acculée à rechercher des solutions, en particulier à chaque période de vacances, quand les autres établissements médico-sociaux sont fermés ou ne parviennent pas à imaginer une continuité des accompagnements. »

Conséquence de ces transferts entre institutions spécialisées et ASE ? Ce sont des professionnels peu formés à l’accompagnement du handicap qui sont sollicités, alors même que les enfants qu’on leur confie cumulent les déficiences et les situations familiales les plus lourdes. Le cadre est lui-même si flou, ajoute le directeur de L’Envol, que ces transferts s’effectuent fréquemment sans convention d’accompagnement avec l’institution d’origine. « Il nous est souvent arrivé d’accueillir des adolescents accompagnés en institut médico-éducatif sans que rien ne soit signé. Au bout de quelque temps, l’établissement se retirait car le mineur disait se plaire davantage chez nous, et nous nous retrouvions seuls. On voit bien que cette situation dépasse les compétences départementales de protection de l’enfance et qu’elle devrait aussi préoccuper l’ARS [agence régionale de santé] », affirme Pascal Hauffray.

Manque de données

A l’échelle nationale, le manque de sources d’information fiables et globales, quantitatives comme qualitatives, empêche de suivre le parcours de ces mineurs. Les passages d’établissement à établissement, de famille d’accueil à famille d’accueil, contribuent un peu plus à brouiller les pistes. Selon le défenseur des droits, on ne dispose d’aucune donnée ni sur le pourcentage d’enfants accueillis à l’ASE et bénéficiant d’une orientation MDPH, ni sur ceux qui sont pris en charge par l’ASE dans les établissements médico-sociaux, ni sur ceux qui bénéficient d’une orientation MDPH, mais laissés sans solution. Ou, quand ces données existent localement, la réglementation très stricte qui entoure le partage d’informations en protection de l’enfance et dans le champ du handicap interdit leurs croisements. « No data, no problem, relève le rapport du défenseur des droits. Le système actuel de remontées de données confié depuis 2007 à l’Observatoire national de l’enfance en danger peine à se mettre effectivement en place sur l’ensemble du territoire national, et les estimations dans le rapport remis annuellement au Parlement restent insuffisamment détaillées. »

Auteure d’une des très rares études sur la santé des mineurs placés à l’aide sociale à l’enfance, Laurence Champsaur, médecin territorial dans les Bouches-du-Rhône, pointe également la difficulté d’identifier la population concernée. Troubles mentaux et du comportement, troubles du développement, dyspraxie, dysphasie et autres « dys » continuent à être soumis à de grands écarts d’interprétation quant à leur degré de gravité, et donc à leur assimilation au handicap. En témoignent les résultats d’un questionnaire passé en 2014 aux médecins intervenant dans les MECS et les familles d’accueil du département. « Invités à mentionner les déficiences des enfants, certains médecins considéraient que celui-ci était porteur de handicap alors même qu’il n’était pas inscrit à la MDPH. Dans d’autres cas, les médecins ne nous signalaient pas que l’enfant était porteur de handicap, alors qu’il était inscrit à la MDPH, et parfois pour des pathologies lourdes », raconte Laurence Champsaur (voir aussi page 37). Vérification faite, 20 % des mineurs bénéficiaient d’une notification de la maison départementale des personnes handicapées. Même si la notion de handicap reste complexe à envisager, admet-elle, « au moins peut-on se dire que si ces enfants sont inscrits à la MDPH, c’est que, d’une manière ou d’une autre, ils ont besoin d’un accompagnement spécifique ».

La proportion des enfants porteurs de troubles autistiques demeure une autre énigme. L’association de familles Autisme France a d’ailleurs reproché au défenseur des droits de négliger ce public dans son rapport. « On ne cesse de nous parler de troubles du comportement ou de troubles psychiques, qui n’existent dans aucune classification internationale. Compte tenu du retard français pour les diagnostics des troubles neurodéveloppementaux, il est probable que, sous ce vocabulaire, on retrouve à l’ASE un grand nombre d’enfants autistes non diagnostiqués », assure Danièle Langloys, présidente d’Autisme France.

Afin d’enfoncer le clou, l’association a sorti, en juillet 2015, un rapport alternatif sur « les violations des droits et dysfonctionnements de l’aide sociale à l’enfance »(3). Selon Autisme France, les familles d’enfants autistes seraient prises dans un « engrenage infernal » à l’égard de l’ASE. A un premier stade, la proximité des troubles du comportement de certains enfants autistes avec les troubles liés aux carences éducatives ou à la maltraitance se traduirait – de façon « récurrente » – par « des signalements abusifs auprès des services de protection de l’enfance ». Dans les cellules de recueil d’informations préoccupantes des conseils départementaux, le manque de connaissance des symptômes de l’autisme ainsi que la « culture psychanalytique » des travailleurs sociaux conduiraient ensuite à n’étudier le dossier que sous le seul angle des carences éducatives entre la mère et l’enfant. « Nous recevons chaque semaine à l’association des témoignages de mères, des femmes seules pour la plupart, qui se voient retirer leur enfant au bout de ce processus », témoigne Danièle Langloys. Pourtant, rappelle-t-elle, « depuis 2010, les recommandations de la Haute Autorité de santé et de l’ANESM [Agence nationale de l’évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux] ne cessent de réaffirmer que l’autisme n’a rien à voir avec la relation mère-enfant » !

Un scandale français ? C’est, en tout cas, l’opinion du Comité des droits de l’enfant de l’ONU qui, en février dernier(4), s’est dit « préoccupé » par « la surreprésentation des enfants handicapés dans les établissements de l’aide sociale à l’enfance » en France. Sa « recommandation » faite à l’Etat français d’« assurer des garanties adéquates et des critères clairs, basés sur les besoins, les vues et les intérêts supérieurs de l’enfant », pour déterminer s’il doit faire l’objet d’un placement, en dit long sur le regard que les experts portent sur la situation dans l’Hexagone.

Du côté des associations de protection de l’enfance, on se félicite de l’ouverture de ces débats. « Nous attendions le rapport du défenseur des droits avec impatience, affirme Laurence Rambour, directrice du pôle médico-social de la Convention nationale des associations de protection de l’enfant (CNAPE). Les mineurs handicapés forment le quotidien de quasiment tous les établissements et services de l’ASE et leur nombre ne fait qu’augmenter en raison de l’aggravation des pathologies psychiques dans la population française, de la dégradation des situations familiales due au contexte économique, et de la diminution du nombre de places en internat spécialisé. » La CNAPE se félicite surtout que, en braquant le projecteur sur ces dizaines de milliers d’enfants, le rapport du défenseur des droits ait montré que la protection de l’enfance avait pu devenir une réponse par défaut. « Quand il n’y a pas de place en internat spécialisé et que l’enfant se retrouve en MECS à plein temps, c’est un dévoiement du dispositif et des métiers, mais c’est aussi une absence de réponse pour l’enfant », déplore Laurence Rambour.

Un projet unique

Consultée par le défenseur des droits, la Convention nationale des associations de protection de l’enfant a avancé une série de mesures : renforcement de la prévention et du diagnostic précoce du handicap, soutien à la parentalité, développement des coordinations interinstitutionnelles et mise en place d’équipes mobiles susceptibles de venir en soutien aux professionnels de protection de l’enfance. Pour autant, la mesure la plus urgente, estime la fédération, consisterait à mettre en cohérence l’ensemble des interventions décidées pour l’enfant et sa famille. La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance avait prévu l’obligation d’établir un « projet pour l’enfant » (PPE), qui précise les actions qui seront conduites auprès de lui et de ses parents, les objectifs visés ainsi que les moyens pour les mettre en œuvre. Sauf que la protection de l’enfance n’est pas la seule concernée. Entre prise en charge éducative, sociale, médico-sociale, sanitaire et scolaire, on estime que ce ne sont pas moins de six projets différents qui doivent être mis en œuvre (5), avec autant d’acteurs, de parcours et donc de potentielles ruptures. « D’où la nécessité d’un projet unique autour de l’enfant qui articulerait tous ces projets », avance Laurence Rambour.

La loi du 14 mars dernier relative à la protection de l’enfance va dans ce sens : elle réécrit l’article sur le projet pour l’enfant et rend le président du conseil départemental garant de sa mise en œuvre ainsi que de la continuité des interventions, désormais décidées par une commission pluridisciplinaire(6). Mais, pour parvenir à la cohésion des prises en charge, le chemin est encore long. L’enquête réalisée en 2014 par le défenseur des droits auprès de 70 départements en vue de la préparation de son rapport le montre bien : 32 % n’avaient pas élaboré de PPE et aucun de ceux qui l’avaient mis en place n’avait intégré les documents relatifs au handicap de l’enfant…

Pour Roland Giraud, président de l’Association nationale des directeurs d’action sociale et de santé des conseils départementaux et des métropoles (Andass), il ne s’agit pas de chercher des coupables. « La seule question à se poser est de savoir comment sortir ces enfants du monde de l’invisible. C’est notre feuille de route. Ils incarnent le parfait résultat des politiques publiques en silos, avec le handicap et la protection de l’enfance qui vivent chacun leur vie séparément. »

Mieux partager les informations

Partisane d’une « reconfiguration de l’offre », l’Andass en appelle à une grande loi qui permette le partage de l’information entre tous les acteurs institutionnels concernés. Un pas en avant a été accompli par la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui vient d’adopter trois délibérations portant autorisation unique de traitements de données à caractère personnel afin de simplifier les formalités des organismes dans le champ social et médico-social(7). L’association entend également soutenir le processus d’une « réponse accompagnée pour tous », issue du rapport « Zéro sans solution » du conseiller d’Etat Denis Piveteau (8). Actuellement expérimentée dans 23 départements avec le concours des ARS et de l’assurance maladie, celle-ci vise à apporter une réponse aux personnes handicapées de tous âges, en situation de rupture ou d’urgence, grâce à une démarche fondée sur une « orientation permanente » de la personne et sur la mise en place d’un plan d’accompagnement global dépassant les clivages traditionnels des politiques publiques. « C’est à ce niveau seulement que nous pourrons apporter des solutions », assure Roland Giraud.

Après l’onde de choc créée par son rapport, le défenseur des droits s’est engagé dans une opération de suivi auprès des différents protagonistes du dossier : départements, professionnels de l’aide sociale à l’enfance, des maisons départementales des personnes handicapées, des agences régionales de santé, de l’Education nationale et de la magistrature. « Il s’agit de continuer à sensibiliser et à informer les acteurs sur la réalité que vivent ces enfants et ces familles », soutient Geneviève Avenard.

De son côté, comme elle s’y était engagée en janvier dernier, Ségolène Neuville, secrétaire d’Etat chargée des personnes handicapées et de la lutte contre l’exclusion, a annoncé, le 21 avril dernier(9), l’ajout au plan « autisme » 2013-3017 d’un volet sur « la prise en charge des spécificités de l’autisme dans les prises de décision en protection de l’enfance ».

Elaboré avec les ministères concernés en lien avec le défenseur des droits, ce plan d’action devra renforcer la formation des professionnels de l’ASE à l’autisme, favoriser les approches pluri-institutionnelles et, surtout, « s’appuyer davantage sur les représentants des usagers et les associations pour accompagner les enfants autistes et leurs familles hors et dans le champ de la protection de l’enfance », a promis la secrétaire d’Etat.

Des groupes locaux de concertation en Seine-Maritime

Relevant à la fois des champs de la protection de l’enfance, du handicap et de la santé mentale, la prise en charge d’un enfant ou d’un adolescent handicapé dans une structure de l’aide sociale à l’enfance (ASE) nécessite la coordination des partenaires concernés de leurs autorités administratives. Un exercice délicat auquel quelques départements tentent néanmoins de se livrer.

C’est le cas en Seine-Maritime, où trois « groupes opérationnels locaux de concertation » (GOLC) ont été installés depuis 2012. Réunissant des représentants de la psychiatrie, de l’ASE, de la protection judiciaire de la jeunesse, de l’Education nationale et du handicap, ces groupes locaux ont vocation à examiner les situations où l’intérêt de l’enfant requiert une articulation des dispositifs difficile à mettre en œuvre. « Les GOLC sont nés du constat que chacun a tendance à se renvoyer la balle dès lors qu’un enfant relève de plusieurs champs institutionnels », explique Barbara Sorel, coordinatrice ASE. En réunissant tous les acteurs autour de la table, les GOLC jouent le rôle d’instances de régulation. Chaque groupe étudie les situations complexes qui lui parviennent par l’intermédiaire des institutions de son territoire, puis élabore collégialement une stratégie. Les orientations adoptées sont consignées dans un relevé de décisions et donnent lieu soit à un plan de coopération, soit à un renvoi vers la commission départementale des situations critiques. Après plus de trois ans d’existence, le dispositif a le mérite d’avoir fédéré des professionnels de tous horizons, en évitant nombre de ruptures de parcours. Malheureusement, la mise en œuvre des préconisations reste difficile en raison du manque de places dans les établissements éducatifs spécialisés, reconnaît la coordinatrice. « Lorsqu’on a des enfants lourdement handicapés en situation de rupture familiale, nous essayons au niveau du GOLC d’être inventifs et coordonnés pour trouver des solutions alternatives, avec un peu d’accueil familial, un peu d’IME [institut médico-éducatif] en journée et un peu de psychiatrie pour venir en soutien aux équipes d’accueil. »

Notes

(1) Handicap et protection de l’enfance : des droits pour des enfants invisibles – Voir ASH n° 2934 du 20-11-15, p. 5.

(2) Voir ASH n° 2922 du 28-08-15, p. 12.

(3) L’aide sociale à l’enfance : une impitoyable machine à broyer les familles d’enfants autistes – Danièle Langloys – Rapport de l’association Autisme France – Juillet 2015 – Disponible sur www.autisme-france.fr.

(4) Voir ASH n° 2947 du 12-02-16, p. 7.

(5) Projet pour l’enfant (PPE), projet personnalisé de compensation (PPC), projet personnalisé de scolarisation (PPS), projet d’accueil individualisé (PAI), projet d’accueil et d’accompagnement (PAA), projet individualisé d’accompagnement (PIA).

(6) Voir ASH n° 2950 du 4-03-16, p. 32.

(7) Voir ASH n° 2961 du 20-05-16, p. 36.

(8) Voir ASH n° 2934 du 20-11-15, p. 8.

(9) Voir ASH n° 2958 du 29-04-16, p. 5.

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