Recevoir la newsletter

L’ONPES se penche sur l’invisibilité sociale des travailleurs non salariés pauvres

Article réservé aux abonnés

Poursuivant ses travaux sur l’invisibilité sociale, l’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale (ONPES) a publié en mai une étude sur les travailleurs non salariés pauvres, confiée à l’économiste indépendant Stéphane Rapelli(1). Ce dernier a exploré un public composé notamment de commerçants, d’artisans, d’agriculteurs et de professions libérales en situation de pauvreté, qui fait partie de ces « groupes de population mal couverts par la statistique publique, peu visibles pour les pouvoirs publics et peu ou mal appréhendés par les politiques sociales ». Il constitue pourtant plus d’un quart des travailleurs pauvres (27 %).

Absents de la recherche

En premier lieu, le chercheur rappelle que les études accumulées depuis des années sur les travailleurs non salariés pauvres sont incomplètes et insatisfaisantes. De fait, elles participent à leur « invisibilisation », que vient renforcer l’imaginaire collectif : celui-ci associe volontiers les non-salariés aux entrepreneurs, qui bénéficient d’un préjugé favorable. Une image donc très éloignée de la pauvreté, qui, elle, dans les représentations, va de pair avec l’échec. En outre, cette « invisibilisation » s’auto-alimente. L’économiste démonte ainsi la mécanique à l’œuvre : les statistiques sur les travailleurs non salariés pauvres n’étant pas crédibles, elles n’intéressent pas les chercheurs, qui ne peuvent pas, à leur tour, faire évoluer l’opinion que les décideurs politiques et le grand public ont de cette population…

Stéphane Rapelli parvient malgré tout à esquisser un portrait de cette catégorie de travailleurs, parents pauvres de la recherche, en s’appuyant notamment sur les données de l’INSEE. Ainsi, ce public représente 461 000 personnes, dont le revenu annuel s’élève en moyenne à 8 000 €. Pour un quart d’entre elles, il n’excède pas 6 191 €. Les commerçants et les artisans sont les plus représentés : ils regroupent respectivement 33,5 % et 32,7 % des non-salariés pauvres, suivis des agriculteurs (21,4 %) et des professions libérales et assimilées (9,8 %). L’étude montre, en outre, qu’être indépendant, avoir moins de 45 ans, être né à l’étranger et vivre seul constituent autant de critères qui augmentent les risques de connaître la « pauvreté laborieuse ».

Le chercheur tente, par ailleurs, de dégager une typologie. Après avoir étudié un échantillon de 771 ménages, il fait émerger cinq catégories spécifiques : les ménages d’artisans pauvres nés à l’étranger (20,6 % de l’échantillon), ceux qui sont composés de non-salariés et de salariés (24 %), les jeunes précaires isolés (25,6 %), les commerçants âgés (9,3 %) et les ménages d’exploitants agricoles (20,5 %).

Enfin, dix entretiens approfondis permettent de mieux appréhender comment cette population vit à la fois la pauvreté et cette invisibilité sociale. Certains témoins interviewés expriment ainsi le sentiment de n’avoir aucune emprise sur les choses ni sur les événements. D’autres affirment contrôler leur situation, mais ressentent des contraintes imposées qui leur semblent insurmontables. Enfin, certains considèrent leur situation comme un mode de vie transitoire assumé. Parmi les témoins, André, ayant travaillé « comme une sorte de chauffeur », reste peu confiant en un avenir qu’il conçoit comme étant subordonné au hasard. Il ne parvient pas à formuler de projet, même à court terme. Alexandre, lui, « entrepreneur dans l’âme », reporte les causes de son échec sur les effets délétères de contraintes et de dysfonctionnements administratifs. Deux exploitants agricoles en couple, Anaïs et Antoine, estiment que leur métier est une passion qui les a conduits à faire des erreurs de gestion lourdes de conséquences. Pour Lucie, gérante d’une entreprise de location, fragilisée par un divorce, et Charles, agriculteur, la pauvreté « est vécue comme un stigmate d’un échec personnel et professionnel ». Elle est « une réelle souffrance qui obère en partie leur capacité de projection dans l’avenir ».

Pas de réponses adaptées

Le jugement qu’émettent les personnes enquêtées sur leur visibilité à l’égard des intervenants et des interventions publiques transparaît en partie au travers de l’étude. En dehors de certains dispositifs spécifiques aux agriculteurs, les personnes interrogées déplorent ainsi une absence de prise en charge et de mesures adaptées. Entre leur envie de visibilité et l’invisibilité qu’ils subissent, les individus interrogés font le grand écart. Ils semblent tiraillés « entre le besoin de parler pour chercher un réconfort, ou pour le moins une écoute, et l’autocensure qu’ils s’imposent ». C’est le paradoxe qui se dégage de cette étude : si les personnes interrogées aspirent à sortir de l’invisibilité dans laquelle elles sont plongées, elles revendiquent, en même temps, l’exigence de cacher tout ce qui a trait à leur pauvreté.

Notes

(1) « L’invisibilité sociale : publics et mécanismes. Les travailleurs non salariés pauvres » – Disponible sur www.onpes.gouv.fr.

Côté terrain

S'abonner
Div qui contient le message d'alerte
Se connecter

Identifiez-vous

Champ obligatoire Mot de passe obligatoire
Mot de passe oublié

Vous êtes abonné, mais vous n'avez pas vos identifiants pour le site ?

Contactez le service client 01.40.05.23.15

par mail

Recruteurs

Rendez-vous sur votre espace recruteur.

Espace recruteur