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Violences intrafamiliales : les pistes de la CNCDH pour mieux les combattre

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Si l’instance s’oppose à l’introduction du terme « féminicide » dans le code pénal, elle prône en revanche la création d’une circonstance aggravante en cas de meurtre commis à raison du sexe. Elle invite aussi à aménager le régime de la légitime défense.

A la suite de récentes affaires d’homicides perpétrés par des victimes de violences conjugales(1), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) s’est longuement penchée, dans un avis récemment publié au Journal officiel(2), sur les violences de genre, la mise en œuvre effective des politiques publiques pour les combattre ainsi que les évolutions souhaitables du code pénal et des dispositifs d’accompagnement des victimes existants. Certes, reconnaît l’instance, il y a eu des « avancées » – pas moins de 17 lois ont été votées en dix ans et quatre plans interministériels adoptés pour lutter contre les violences faites aux femmes –, mais elles « restent précaires et de nombreux mécanismes sociaux permettent encore aujourd’hui […] de minimiser, voire de nier les violences à l’encontre des femmes ». Après avoir rappelé les « chiffres accablants » reflétant le phénomène, la commission formule donc un certain nombre de recommandations pour améliorer le sort des victimes.

Modifier le code pénal ?

Alors que l’introduction de la notion de féminicide dans les législations trouve un écho sur la scène internationale(3), la CNCDH estime que, en France, cela ne semble « pas opportun » car cela « comporterait le risque de porter atteinte à l’universalisme du droit et pourrait méconnaître le principe d’égalité de tous devant la loi pénale, dès lors qu’elle ne viserait que l’identité féminine de la victime ». Malgré tout, elle encourage l’usage de ce terme sur la scène internationale et dans les médias afin de couper court à la banalisation des affaires de violences domestiques, souvent cataloguées de faits divers ou de crimes passionnels.

En revanche, la commission préconise de modifier l’article 221-4, 7° du code pénal pour y préciser que le meurtre commis en raison du genre de la victime soit constitutif d’une circonstance aggravante, faisantencourir une peine de réclusion criminelle à perpétuité. Cette fois, argumente-t-elle, la disposition ne méconnaîtrait pas le principe d’égalité entre les femmes et les hommes, « dès lors qu’elle ne viserait pas l’identité de la victime mais la motivation sexiste de l’auteur des faits ».

Le régime de la légitime défense pose aussi question en matière de violences domestiques. Actuellement, la légitime défense constitue une cause objective d’irresponsabilité pénale qui, pour pouvoir être invoquée, doit répondre à trois critères cumulatifs : une agression injustifiée, une riposte par un acte concomitant, une proportionnalité de la riposte à l’attaque. Des conditions « difficilement » applicables aux situations de violences conjugales, admet la CNCDH. Aussi estime-t-elle que le code pénal « devrait pouvoir prendre en compte, dans la mesure du possible, des éléments concrets tels que l’état psychologique de la victime, le phénomène d’emprise et ses répercussions, sa perception du danger, l’antériorité des violences et de menaces graves ». Une réflexion également encouragée par le président de la République, dont les fruits pourraient être introduits, par voie d’amendements, dans le projet de loi sur la modernisation de la justice du XXIe siècle(4). En tout cas, la commission n’est « pas favorable à l’instauration de présomption en matière de légitime défense, et a fortiori de légitime défense différée ». Toutefois, faisant référence à l’existence, dans l’ancien code pénal, à des « excuses de provocation », elle suggère de réfléchir à des solutions analogues, afin de pouvoir « exiger du juge pénal qu’il retienne des éléments individualisés comme la taille, l’âge, le sexe ou les capacités physiques des parties en cause ou les rapports antérieurs existants entre l’auteur et la victime (violences psychologiques et physiques extrêmes depuis de longues années) ».

Revoir certaines pratiques judiciaires

« Si la dernière décennie de lutte contre les violences à l’encontre des femmes a marqué des avancées, il n’en reste pas moins nécessaire de maintenir une vigilance constante, de consolider les progrès réalisés et même d’adapter ou de modifier certaines dispositions afin de mieux protéger et accompagner les victimes de violences de genre », estime la CNCDH. Tel est le cas, par exemple, de l’ordonnance de protection, un « outil encore insuffisamment utilisé parce qu’insuffisamment connu », malgré les directives de la circulaire du 7 août 2014(5). Dans la pratique, constate la commission, « encore trop souvent, les magistrats exigent une plainte comme élément de vraisemblance du danger » et tardent à la délivrer (37 jours), un délai « trop long pour un dispositif d’urgence ». Aussi invite-t-elle le ministère de la Justice à produire une nouvelle circulaire qui « pourrait utilement orienter les magistrats pour une utilisation plus fréquente et judicieuse de l’ordonnance de protection, notamment pour l’appréciation de la vraisemblance de la commission des faits de violence allégués et l’exposition au danger ».

Afin de s’assurer une réponse pénale adaptée et délivrée dans un délai raisonnable, l’instance préconise aussi de renforcer la coordination des acteurs, « par une clarification des circuits de signalement et de communication sous l’impulsion du procureur de la République ». L’association des acteurs locaux de la prévention (Etat, protection maternelle et infantile, travailleurs sociaux…) pourrait efficacement compléter la réponse judiciaire. Il s’agit là de développer une « politique de juridiction volontariste », qui suppose par ailleurs que « les poursuites soient effectivement engagées et que les peines prononcées soient dissuasives ». Or, à l’heure actuelle, la CNCDH déplore une « tendance à la correctionnalisation “en opportunité” des affaires de violences faites aux femmes », ce qui a pour effet de requalifier les faits en agression sexuelle, c’est-à-dire en un délit et non plus en un crime. Cette requalification, désormais encadrée par la loi, n’est aujourd’hui possible qu’avec l’accord des parties. Certes, il y a là des avantages, reconnaît l’instance : « la procédure est plus rapide, moins coûteuse et moins traumatisante pour les victimes qu’une procédure devant la cour d’assises ; par ailleurs les juges professionnels seraient plus sévères que les jurés d’assises – ainsi, le risque d’acquittement serait réduit devant les tribunaux correctionnels ». Toutefois, regrette-t-elle, « ce procédé, non content de supprimer la force symbolique du procès d’assises, nuit à la reconnaissance sociale des violences contre les femmes comme des faits graves ». Il convient donc de s’assurer que les préalables requis à la mise en œuvre de cette procédure de correctionnalisation ont été respectés et que la victime n’a subi aucune pression de quelque nature, « ce qui en pratique ne semble pas souvent être le cas »,souligne la commission. En réalité, pour elle, il s’agit « surtout d’un moyen de désengorger les cours d’assises », sans compter que ce procédé conduit aussi à réduire le délai de prescription, à prononcer des peines moins importantes et des dommages et intérêts moindres pour les victimes. Pour la commission, la symbolique du procès d’assises est également importante pour l’auteur des violences dans la mesure où elle lui « permet bien souvent de prendre conscience de la gravité des actes commis », préalable à tout accompagnement médical et à la prévention de toute réitération des faits. Dans ce contexte, la CNCDH demande aux autorités judiciaires de ne pas recourir à la procédure de correctionnalisation « en opportunité » pour les crimes sexuels ou sexistes.

Mieux protéger les femmes étrangères

Des menaces spécifiques pèsent sur les femmes étrangères victimes de violences conjugales dont le droit au séjour repose bien souvent sur l’existence d’une communauté de vie. La loi du 7 mars 2016 relative au droit des étrangers a ainsi permis d’améliorer leur protection(6), en permettant aux femmes étrangères mariées avec un Français ou un ressortissant étranger rejoint dans le cadre du regroupement familial de conserver son titre de séjour malgré l’interruption de la vie commune et de se le voir renouveler. Quant à la victime bénéficiant d’une ordonnance de protection, le préfet doit lui délivrer, dans les plus brefs délais, une carte de séjour temporaire mention « vie privée et familiale ». Mais, pour la CNCDH, le dispositif demeure « insuffisant pour appréhender toutes les situations de précarité administrative dans lesquelles des personnes de nationalité étrangère peuvent basculer en raison de violences commises au sein du couple ». En outre, déplore-t-elle, il existe « de grandes disparités » dans la mise en œuvre de ces nouvelles dispositions entre les préfectures, qui réclament souvent une ordonnance de protection – méconnue des femmes migrantes – comme preuve de la vraisemblance des violences.

La commission attire par ailleurs l’attention des pouvoirs publics sur le sort des personnes pacsées, vivant en concubinage, entrées hors regroupement familial, mariées avec un Français, mais entrées irrégulièrement sur le territoire français ou n’ayant pas de visa long séjour (sauf si elles bénéficient d’une ordonnance de protection). Ou encore sur celui des femmes algériennes, dont le droit au séjour relève d’une convention spécifique de 1968. L’instance s’inquiète enfin du sort des femmes étrangères victimes de mariage forcé ou de traite des êtres humains qui n’ont aucune possibilité d’être accompagnées et protégées. Des situations qui sont, pour certaines, censées être réglées par la proposition de loi visant à favoriser « l’autonomie des femmes étrangères », actuellement débattue au Parlement(7).

Notes

(1) La commission fait référence à l’affaire « Jacqueline Sauvage », cette femme condamnée en 2015 par la cour d’assises à dix ans de prison pour le meurtre de son époux qui la battait depuis plusieurs décennies, et partiellement graciée par le chef de l’Etat. Ou encore à l’affaire « Bernadette Dimet », une femme condamnée en 2016 par la cour d’assises à cinq ans de prison avec sursis pour avoir tué son mari violent qui l’avait battue et humiliée pendant 40 ans.

(2) Avis du 26 mai 2016, NOR : CDHX1614541V, J.O. du 7-06-16.

(3) Le féminicide est défini comme l’homicide d’une femme, d’une jeune fille ou d’une enfant en raison de son sexe.

(4) Voir ASH n° 2952 du 18-03-16, p. 12.

(5) Voir ASH n° 2873 du 5-09-14, p. 46.

(6) Voir ASH n° 2961 du 20-05-16, p. 43.

(7) Voir ASH n° 2963 du 3-06-16, p. 14.

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