Quelques jours après la signature d’une convention actant le transfert à l’Etat de la gestion du camp de la Linière à Grande-Synthe (Nord)(1), la Commission nationale consultative des droits de l’Homme (CNCDH) salue, dans un avis récemment paru au Journal officiel(2), « l’initiative pragmatique et courageuse prise par le maire », et mise en œuvre avec l’aide de Médecins sans frontières, avec « le soutien tardif mais salutaire de l’Etat ». Puis formule 25 recommandations relatives, entre autres, à la santé et à l’accès aux soins et à la demande d’asile des migrants concernés, à la protection des mineurs isolés étrangers ou au regroupement des familles au Royaume-Uni.
Alertée en début d’année par plusieurs de ses membres (Médecins du monde, France terre d’asile, le Secours catholique, la Cimade), la CNCDH a procédé à plusieurs auditions et rencontres et s’est déplacée sur place. Elle se réjouit aussi d’avoir entretenu avec le ministère de l’Intérieur « un dialogue riche et constructif » et de « l’attention portée à ses premières préconisations », formulées sur la base de ses constats.
L’instance revient en effet sur « le contexte géopolitique expliquant la présence de migrants en transit sur le territoire de Grande-Synthe » et, plus généralement, le long du littoral de la Manche, en attente de pouvoir gagner le Royaume-Uni. C’est ainsi que, en janvier dernier, « près de 3 000 personnes vivaient dans une totale promiscuité sur le terrain du Basroch, dans des conditions épouvantables, sous des abris de fortune dangereux et insalubres (bâches, tentes et cabanes précaires), dans un état de détresse et de dénuement total », de l’aide leur étant « exclusivement apportée par le secteur associatif (Secours catholique, MSF, Salam, Terre d’errance, Emmaüs, etc.) et par de nombreux bénévoles britanniques ». D’où la décision du maire (EELV) Damien Carême de construire un camp provisoire « dont la capacité d’accueil n’est pas destinée à évoluer », rappelle la CNCDH, qui détaille ses observations concernant les conditions d’existence des migrants dans le nouveau camp, leur prise en charge médicale ou l’accueil favorable de la population, jusqu’à l’engagement du gouvernement à en financer les dépenses de fonctionnement, sachant que « la Commission souhaiterait néanmoins que le ministre de l’Intérieur s’engage également à rembourser les investissements engagés par la commune et la communauté urbaine pour l’installation du camp de la Linière ».
Partant de là, la Commission nationale consultative des droits de l’Homme appelle en premier lieu à « mieux garantir la protection de la santé et l’accès aux soins » des personnes mises à l’abri, en renforçant leur accompagnement car elles ne bénéficient que rarement d’une couverture maladie, et même en pouvant prétendre à l’aide médicale de l’Etat, peu d’entre elles entreprennent les démarches nécessaires.
L’accès effectif à la demande d’asile en France doit être assuré pour tous ceux qui le souhaitent, plaide également l’instance, qui déplore l’absence de représentants de l’Office français de l’immigration et de l’intégration et de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides. Ce n’est certes pas le cas pour la majorité des migrants présents à Grande-Synthe, mais « le fait de pouvoir ’se poser’ dans des conditions humainement supportables » peut en amener certains à reconsidérer leur projet migratoire, estime la CNCDH. A ce propos, elle indique avoir appris que près de 600 personnes ont été orientées vers des centres d’accueil et d’orientation (CAO) entre janvier et avril, mais avoir aussi « eu connaissance, à plusieurs reprises, du manque d’information des personnes partant en CAO, quant à leurs droits et aux modalités de leur prise en charge ».
La commission préconise donc la mise en place de locaux d’information dédiés, d’une part, à la demande d’asile et, d’autre part, à l’orientation en CAO, en procédant à une évaluation sanitaire et sociale des personnes avant tout départ vers l’un de ces centres « afin de permettre une prise en charge adaptée », en particulier en direction des personnes identifiées comme vulnérables. Elle recommande aussi de donner, « au moins provisoirement, compétence à la sous-préfecture de Dunkerque pour le dépôt de la demande d’asile, et de faciliter la domiciliation des demandeurs d’asile ». Par ailleurs, la CNCDH invite les pouvoirs publics à « poursuivre la mise en œuvre d’une politique pénale intransigeante de lutte contre les réseaux de passeurs », en coopération avec le Royaume-Uni et l’Union européenne.
Plus de la moitié des préconisations concernent la protection des mineurs isolés, qui doivent, selon la CNCDH, être identifiés et informés sur leurs droits et se voir proposer un hébergement, un accompagnement et « un suivi de qualité » par du personnel formé aux spécificités de ce public. L’instance recommande aussi le repérage de victimes potentielles de traite ou d’exploitation des êtres humains, « à partir de critères clairement définis et adaptés aux spécificités des parcours migratoires des exilés présents à Grande-Synthe, en particulier les mineurs », ce travail d’identification supposant une coordination entre les services de l’Etat (police, justice, etc.), les collectivités territoriales et le secteur associatif.
Le dernier point abordé regarde le regroupement des familles au Royaume-Uni : la commission recommande « une application systématique » des clauses humanitaires ou familiales du règlement « Dublin III », et demande aux autorités britanniques d’assumer leurs responsabilités et engagements internationaux vis-à-vis du droit au regroupement familial.
(2) Avis du 26 mai 2016, NOR : CDHX1614544V, J.O. du 7-06-16