Ce n’est pas une surprise, la loi « renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement, et améliorant l’efficacité et les garanties de la procédure pénale » – adoptée définitivement par le Parlement le 25 mai (voir ce numéro, page 46) – contient plusieurs mesures liées directement ou indirectement à la lutte contre la radicalisation.
Le texte donne ainsi un fondement légal à la récente pratique, observée dans plusieurs établissements pénitentiaires, de regroupement des détenus radicalisés ou en voie de radicalisation, au sein d’unités dédiées. Ce qui était souhaité par la contrôleure générale des lieux de privation de liberté, par ailleurs très critique sur l’opportunité de ce type de regroupements. Dans un avis rendu il y a près de un an, Adeline Hazan recommandait en effet a minima l’encadrement juridique de cette pratique dont les caractéristiques ne découlaient alors « d’aucune disposition légale applicable, ce régime sui generis ne s’apparentant ni à la détention ordinaire, ni à la mise à l’isolement »(1).
Concrètement, la loi inscrit noir sur blanc dans le code de procédure pénale que, « lorsqu’il apparaît que leur comportement porte atteinte au maintien du bon ordre de l’établissement, les personnes détenues exécutant une peine privative de liberté peuvent, sur décision du chef d’établissement, faire l’objet d’une évaluation ou bénéficier d’un programme spécifique de prise en charge au sein d’une unité dédiée ».
Conséquence de la loi pénitentiaire de 2009, toute personne condamnée est, par ailleurs, tenue actuellement d’exercer au moins l’une des activités qui lui est proposée par le chef d’établissement et le directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation dès lors qu’elle a pour finalité la réinsertion de l’intéressé et est adaptée à son âge, à ses capacités, à son handicap et à sa personnalité. La nouvelle loi indique que l’exercice de ces activités par les personnes détenues au sein d’une unité dédiée « peut s’effectuer à l’écart des autres personnes détenues, sur décision prise par le chef d’établissement après avis de la commission pluridisciplinaire unique ».
La décision d’affectation au sein d’une unité dédiée peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif dans les conditions prévues au code de justice administrative, précise encore la loi.
La loi complète la liste des obligations particulières susceptibles d’être imposées à une personne condamnée à un sursis avec mise à l’épreuve(2), y ajoutant celle de « respecter les conditions d’une prise en charge sanitaire, sociale, éducative ou psychologique, destinée à permettre sa réinsertion et l’acquisition des valeurs de la citoyenneté ». Une formulation qui va permettre « de prescrire aux personnes reconnues coupables des infractions terroristes les moins graves, si leur personnalité permet une alternative à l’incarcération, de suivre, par exemple, des stages de “déradicalisation” », ont expliqué au cours des débats les rapporteurs de la loi à l’Assemblée nationale, les députés (PS) Colette Capdevielle et Pascal Popelin. Cette prise en charge pourra, le cas échéant, intervenir au sein d’un établissement d’accueil adapté dans lequel le condamné est tenu de résider, précise encore la loi.
La même obligation peut aussi être imposée à une personne soumise à un contrôle judiciaire(3).
La mesure dépasse le champ de la lutte contre la radicalisation mais, dans l’esprit, le concerne directement : la nouvelle loi rétablit l’autorisation parentale de sortie du territoire pour les enfants mineurs, au sein d’un nouvel article dans le code civil. A l’origine, l’autorisation de sortie du territoire était un dispositif prévu par plusieurs circulaires du ministre de l’Intérieur, qui instituaient un régime d’autorisation préalable à la sortie du territoire. Elle a été supprimée par une circulaire du 20 novembre 2012 en raison de la création du mécanisme d’interdiction judiciaire de sortie du territoire (IST) par la loi du 9 juillet 2010 relative aux violences faites spécifiquement aux femmes, aux violences au sein des couples et aux incidences de ces dernières sur les enfants. Toutefois, une mesure conservatoire pouvant être prise en urgence, l’opposition à sortie du territoire (OST) a été créée par cette même circulaire pour faire obstacle à la sortie du territoire d’un mineur.
Or IST comme OST n’ont pas permis de répondre au phénomène de départs massifs de personnes vers la zone syro-irakienne, caractérisé par la proportion inhabituellement forte de mineurs concernés. Le gouvernement a essayé de rectifier le tir à travers une circulaire du 5 mai 2014. Initialement non reconductible et d’une durée de 15 jours, l’OST a ainsi été modifiée pour prendre en compte ce phénomène de départs de mineurs vers l’étranger : sa durée de validité est passée à six mois et elle est devenue reconductible à la demande expresse d’un titulaire de l’autorité parentale. La décision d’OST a continué en outre à faire l’objet d’une inscription au fichier des personnes recherchées et d’un signalement au système d’information « Schengen ». Enfin, le service instructeur est tenu d’en informer l’autorité judiciaire aux fins de saisine, le cas échéant, du juge des enfants.
Pour autant, les parlementaires ont estimé que la situation très préoccupante du départ massif de mineurs radicalisés à l’insu de leurs parents ou de leurs représentants légaux vers des territoires où opèrent des groupements à caractère terroriste justifie le rétablissement de la mesure préventive d’autorisation parentale de sortie du territoire.
C’est ainsi que le nouvel article L. 371-6 du code civil dispose que l’enfant quittant le territoire national sans être accompagné d’un titulaire de l’autorité parentale doit être muni d’une autorisation de sortie du territoire signée d’un titulaire de l’autorité parentale, renvoyant à un décret le soin d’en préciser les contours.
En cas d’urgence, dès lors qu’il existe des éléments sérieux laissant supposer qu’un enfant s’apprête à quitter le territoire national « dans des conditions qui le mettraient en danger et que l’un des détenteurs au moins de l’autorité parentalene prend pas de mesure pour l’en protéger », la nouvelle loi autorise le procureur de la République du lieu où demeure le mineur à interdire la sortie du territoire de l’enfant par décision motivée, indépendamment de toute décision au fond. Il doit ensuite saisir dans les huit jours le juge compétent pour qu’il maintienne la mesure ou en prononce la mainlevée. La décision du procureur de la République fixe la durée de l’interdiction, qui ne peut excéder deux mois. Cette interdiction de sortie du territoire est inscrite au fichier des personnes recherchées.
Autre nouveauté : l’interdiction de sortie du territoire peut également être prononcée dans le cadre des mesures d’enquête pouvant être menées par le juge des enfants en application de l’article 1183 du code de procédure civile(4).
(2) Définies par l’article 132-45 du code pénal, ces obligations particulières recouvrent un vaste spectre de mesures, allant de l’exercice d’une activité professionnelle à la réparation des dommages causés par l’infraction en passant par le suivi d’un stage de citoyenneté.
(3) Pour mémoire, le contrôle judiciaire peut être ordonné par le juge d’instruction ou par le juge des libertés et de la détention si une personne mise en examen encourt une peine d’emprisonnement correctionnel ou une peine plus grave. Ce contrôle astreint la personne concernée à se soumettre, selon la décision du magistrat, à une ou plusieurs obligations, listées à l’article 138 du code de procédure pénale.
(4) En vertu de cet article, le juge peut, soit d’office, soit à la requête des parties ou du ministère public, ordonner toute mesure d’information concernant la personnalité et les conditions de vie du mineur et de ses parents, en particulier par le moyen d’une enquête sociale, d’examens médicaux, d’expertises psychiatriques et psychologiques ou d’une mesure d’investigation et d’orientation éducative.