Communiquer au-delà de l’aspect pratique

Pour Jacques Souriau, les méthodes telles que PECS (système de communication par échange d’images) ou Makaton(2) sont tout à fait intéressantes à condition de les utiliser dans une perspective la plus large possible : « Le danger est qu’elles soient mises en œuvre selon une vision seulement pratique et utilitaire – pour informer, demander quelque chose – sans ouvrir suffisamment à l’échange soutenu et à la compréhension des expressions individuelles – gestes, mouvements, attitudes corporelles… » S’appuyant sur un travail d’analyse vidéo de situations professionnelles rencontrées avec des enfants présentant un handicap complexe, il a mis en évidence leur inventivité pour communiquer bien au-delà des sujets généralement investis par les établissements. A l’instar de cet enfant d’une douzaine d’années qui ne parle pas et dont la motricité est très limitée. Lors d’un déjeuner avec son éducatrice, il caresse l’arrière de son crâne d’un geste précis. « Etant donné qu’il vivait un moment plutôt agréable, j’ai fait l’hypothèse que ce geste correspondait à une émotion particulière de bien-être, raconte Jacques Souriau. Après avoir enquêté auprès de sa famille, j’ai appris que sa grand-mère, qu’il aimait beaucoup, avait l’habitude de lui caresser l’arrière de la tête. Aussi a-t-il été possible d’imaginer que ce geste particulier était pour lui associé à un état agréable. »

Outre une observation fine, Jacques Souriau s’appuie sur des outils théoriques comme la sémiotique : « Ce champ scientifique part du principe que le sens des mots est toujours en partie situationnel. Autrement dit : leur usage immédiat n’est qu’une variante ou une utilisation métaphorique de la version du dictionnaire. Mes recherches montrent que, dans le domaine du handicap complexe, cette contextualisation du sens est encore plus importante. » Et de prendre l’exemple d’un jeune homme qui se touche le nez avec le pouce et se tourne vers l’extérieur. Son accompagnateur l’interroge : en s’orientant vers l’extérieur, veut-il évoquer l’établissement ? Le village ? La ville ? Grâce à une réponse par oui ou non, il finit par comprendre que le jeune homme évoque la ville. Mais que signifie se toucher le nez ? Même jeu de piste : as-tu mal ? Es-tu enrhumé ? Veux-tu aller chez le médecin ? Le jeune homme regarde une image de girafe qui se trouve à proximité. L’éducateur se souvient qu’un cirque va se produire en ville prochainement. Il en déduit que le jeune homme veut tout simplement aller au cirque, se toucher le nez évoquant un clown. « Dès lors qu’il s’agit de personnes en situation de handicap complexe, on rapporte souvent ce type de gestes à des besoins immédiats, alors que leur vie imaginaire et la complexité de leur pensée sont beaucoup plus développées. Nous avons tendance à activer des modèles de communication trop simplistes par rapport à leur potentiel », observe Jacques Souriau. Il insiste sur le fait que la communication est aussi de l’ordre du commentaire et du récit : « C’est le cas à hauteur de 80 %, cela nous aide à affiner notre compréhension du monde social. Il faut donc veiller à ne pas cantonner les outils utilisés dans le cadre du handicap complexe à un sens littéral et immédiat. »