« Elle est originaire d’un pays d’Afrique de l’Ouest. Là-bas, une femme lui a proposé de venir en Europe, à Palerme, pour faire de la coiffure. Sur place, elle a découvert qu’il ne s’agissait pas de cela. Elle s’est sauvée, a mendié, dormi dans la rue, a pris un train pour Paris. » Voilà ce qu’Anne arrive à tirer de Destiny, la jeune femme enceinte qu’elle a rencontrée dans le métro. La future mère était sur le point de faire un malaise quand Anne, jeune grand-mère de retour d’une virée d’achats, lui a tendu le bras. Pour ne plus jamais le lâcher. A partir de ce moment, elle a voulu tout savoir de Destiny – qui ne s’exprime que dans un anglais approximatif – et l’aider coûte que coûte. Anne ressent à l’égard de cette inconnue une curiosité dévorante, sans savoir pourquoi celle-ci l’assaille. Au fil des jours, des mois, Anne devient obsédée par cette femme déconcertante et sa cargaison de malheurs : quand elle croise une mendiante accroupie sur le trottoir, elle pense à elle. Quand elle entend à la radio l’effroyable odyssée d’un navire de migrants en perdition, aussi. Quand elle apprend que les subventions des associations caritatives vont être réduites ou quand elle regarde un documentaire sur les Restos du cœur, elle pense à Destiny. La jeune femme ne dit pas tout de son passé. Elle accepte le soutien d’Anne tout en voulant rester libre et « ne perd pas son temps en vaines manifestations de gratitude », écrit Pierrette Fleutiaux dans ce récit dont on ne sait s’il est inspiré d’une histoire vraie. Même quand Anne lui explique ce que signifie son arrêté d’expulsion, qu’elle organise une rencontre avec une assistante sociale ou qu’elle l’aide à récupérer ses deux enfants placés en foyer. Avant de connaître Destiny, Anne, bourgeoise parisienne, ignorait tout des rouages de l’aide sociale française. Tout comme Destiny, d’ailleurs, qui ne connaissait de la France que trois chiffres : « On lui a parlé de la tour Eiffel, elle ne connaît pas ce nom, on lui a dessiné la tour Eiffel, elle ne reconnaît pas cette forme, elle ne connaît rien de Paris, sinon un numéro de téléphone, le 115, son unique sésame. » « Le CentQuinze, écrit Pierrette Fleutiaux, n’est pas un lieu, n’est pas une personne. Il n’a pas figure humaine ni figure animale ni figure de rien, on ne peut le voir ni le toucher. Il peut accomplir certaines de vos prières, si vous le priez suffisamment longtemps, suffisamment fort, avec suffisamment de conviction ».
Destiny
Pierrette Fleutiaux – Ed. Actes Sud – 19 €