Un programme d’insertion et de réduction des risques qui propose à des jeunes en errance d’avoir accès, avec le minimum de contraintes préalables, à quelques heures de travail moyennant un salaire versé tous les jours, puis, selon leur volonté de changement, à un accompagnement graduel global vers le droit commun(1). Telle est la philosophie de TAPAJ (travail alternatif payé à la journée), créé en juin 2012 à l’initiative du Comité d’étude et d’information sur la drogue et les addictions de Bordeaux. L’association a ainsi adapté en France un dispositif québécois et apporte son expertise pour le déploiement du dispositif.
Celui-ci, porté en partenariat avec la Fédération Addiction, fait désormais l’objet d’une convention signée entre l’association tête de réseau TAPAJ France et la mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives (Mildeca), signée pour 2016-2017(2). Ce qui concrétise « le passage d’un modèle innovant développé au niveau local à la reconnaissance d’une structure nationale », a indiqué aux ASH Jean-Hugues Morales, coordinateur de TAPAJ France, à l’occasion de la troisième journée nationale du dispositif, organisée le 2 juin à Paris. En 2015, quelque 200 jeunes en grande difficulté sociale et sanitaire ont pu bénéficier du dispositif, dans dix communes pilotes. Le programme doit être déployé dans dix autres villes courant 2016, auxquelles s’ajoutent neuf nouvelles candidatures. Et des pays européens, comme le Portugal, la Suisse et l’Espagne, ont manifesté leur intérêt pour le projet. Pour Jean-Hugues Morales, ce développement consacre aussi l’expérience d’un « modèle économique innovant, avec un archipel de financements publics et privés, qui permettent une offre différenciée selon les parcours de vie et dépassent les problèmes rencontrés avec les dispositifs classiques d’insertion » pour les jeunes éloignés des institutions.
Les programmes reposent sur une dynamique partenariale entre un CSAPA (centre de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie) ou un Caarud (centre d’accueil et d’accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues), porteur du dispositif, une association intermédiaire, qui est juridiquement l’employeur du jeune, et les acteurs publics et économiques, plusieurs grandes entreprises participant à un « pool national » de partenaires employeurs. Durant la première phase du programme, les jeunes, encadrés par un éducateur, réalisent au maximum quatre heures de travail par semaine (rémunérées à la fin de la journée, une fiche de paie étant établie en fin de mois) sur des chantiers proposés par les entreprises ou les collectivités locales (manutention, entretiens d’espaces verts, déblayage de chantiers, affichage, fresques murales…). Même si l’accompagnement n’est pas segmenté, la deuxième phase, celle de la prise en charge, correspond à une mise à plat de la situation administrative et sociale du jeune, l’engagement de la recherche d’un hébergement, avec des durées plus longues de travail, avant que s’engage, en troisième lieu, un accompagnement vers le droit commun.
Le dispositif, qui s’inscrit dans une démarche de médiation sociale, à partir des principes de la réduction des risques et de l’« empowerment », est conçu comme un vecteur à la fois de revalorisation personnelle, d’accès aux soins et d’insertion professionnelle. Selon Jean-Hugues Morales, les taux de sortie positive (emploi ou formation) enregistrés par l’association intermédiaire ARE 33, à Bordeaux, qui est engagée dans la démarche d’essaimage de TAPAJ comme interlocuteur des associations intermédiairse au niveau national, oscillent entre 45 % et 50 % depuis 2012. D’après un rapport d’évaluation de l’expérience bordelaise remis récemment à la Mildeca par le centre Emile-Durkheim de l’université de Bordeaux, « les jeunes trouvent une solution simple et accessible à leur nécessité du moment, notamment économique », sans que TAPAJ leur soit présenté comme un moyen de renier leur mode de vie, « qui a une forte charge symbolique pour eux ». Les entreprises « ne se trouvent pas en situation de distorsion culturelle car TAPAJ propose des prestations de services » et les professionnels « ont enfin des outils pour réaliser leurs missions, et d’une certaine manière leur vocation aussi ». Quant aux acteurs institutionnels, ils « développent un moyen de réguler l’occupation de l’espace public par des groupes marginalisés ». Bref, tout le monde y trouve son compte, à condition que l’« alchimie locale » soit favorable.
(2) La Fondation de France et la Fondation Vinci apportent également un soutien financier.