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Dépistage néonatal de la surdité : sortir des débats archaïques

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Opposer langue des signes et oralisation, c’est perpétuer un débat d’un autre âge, estime Jean Clarisse, directeur de l’Institut national des jeunes sourds de Chambéry. Il réagit ici à la récente recension dans nos colonnes d’un ouvrage du psychanalyste André Meynard, très critique envers la généralisation du dépistage de la surdité à la naissance depuis 2012, symptôme, selon lui, d’un « abord technoscientiste » de ce handicap(1).

« Un point de l’article m’a fait sursauter, l’amalgame fait entre dépistage précoce de la surdité, d’une part, et “sonorisation du malade” avec “disqualification” de la langue des signes française (LSF), d’autre part. Cet amalgame est désormais courant dans le cercle de la surdité, je le constate : il faut s’affirmer pour ou contre l’implant cochléaire et donc pour ou contre la LSF. Cela frôle à mon sens la radicalisation, voire l’intégrisme… et je pèse mes mots ! L’absurdité de cet amalgame n’a d’égal, pour moi, que celui du Congrès de Milan qui, en 1880, a interdit l’usage de la langue des signes dans l’enseignement, la “méthode orale” supprimant la “méthode gestuelle”. Assistons-nous à un renouveau inverse de ce débat ? L’opposition entre LSF et oralisation serait-elle une simple question de polarité et de rythme de l’Histoire(2) ?

L’institut que j’ai l’honneur et le plaisir de diriger apprend aux jeunes sourds à communiquer, avec tous les moyens à sa disposition, de la LSF et du “langage parlé complété” jusqu’aux schémas heuristiques et bientôt au numérique. Et chaque jeune que nous accompagnons dispose de son projet individualisé, adapté à sa situation. Une classe spécifique a, par exemple, été ouverte dans une école maternelle de proximité, pour un enseignement en LSF en inclusion scolaire.

Mais, car il y a un mais, le pôle médical de mon établissement est aussi centre expert pour la confirmation de dépistages précoces douteux de la surdité permanente néonatale. J’ai accepté cette évolution, oui, mais pas dans le cadre “technoscientiste” avec des “experts en acoustique”, comme mentionné dans l’article. Au passage, il y a comme une sorte de mépris ainsi affiché pour les ORL ou les audioprothésistes, que je ne partage pas ! J’ai accepté cette évolution avant tout pour des raisons de bon sens. La première est celle de l’annonce du handicap aux parents. Je préfère de beaucoup que les psychologues de l’établissement soient étroitement intégrés à cette action si sensible. La deuxième est liée au développement cérébral de l’enfant. Il n’est pas besoin d’être grand spécialiste pour savoir que le développement du cerveau d’un bébé se fait essentiellement entre l’âge de 6 mois et 2 ans et demi, avec l’apprentissage de la parole en lien avec l’attachement maternel. Cette étape du développement est justement pilotée par le centre de l’ouïe qui éveille le centre de la parole, parole qui, mettant du sens et des mots sur des émotions et des ressentis, structure et vivifie le cerveau. Pour les sourds, il y a donc un problème majeur dès ce niveau. Le dépistage précoce permet alors de mettre en place, au bon âge de l’enfant, un accompagnement familial, une guidance parentale et une éducation précoce indispensables au bébé pour accéder à la phase des apprentissages scolaires : tous les enfants sourds qui n’ont pas eu cette étape du développement ont deux à trois années, au moins, de retard scolaire persistant.

D’autre part, certaines surdités du nourrisson, pas toutes, permettent la mise en place d’un appareillage ou d’un implant cochléaire. Cet implant doit être mis en place le plus tôt possible, justement pour s’inscrire dans cette période sensible de l’apprentissage de la parole. Il faut deux heures pour poser un implant et permettre à un enfant sourd d’entendre. Mais il faut toujours deux ans pour lui apprendre alors à parler : deux ans pour qu’il puisse passer de la détection sonore de bruits à la mise en sens et en mots de ces sons. Il peut alors avoir une langue maternelle (avant, il n’en a pas) et apprendre d’autres langues comme tous les entendants, dont la LSF… Car la LSF est en effet aujourd’hui une langue que tout le monde peut apprendre, même les entendants. Et pas seulement pour la grâce et la poésie de la gestuelle, mais aussi pour entrer en communication avec les sourds : ils ne demandent que ça et il faut bien qu’ils puissent faire valider par des entendants leur choix de LSF en langue vivante lors du passage de leurs diplômes… Car les jeunes sourds ont aussi besoin de s’insérer professionnellement. »

Notes

(1) Ouvrage intitulé Des mains pour parler, des yeux pour entendre. La voix et les enfants Sourds – Voir ASH n° 2959 du 6-05-16, p. 31.

(2) Un récent rapport des inspections générales des affaires sociales et de l’Education nationale appelle aussi de son côté à sortir de cette opposition – Voir ce numéro, p. 6.

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