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La philosophie sociale, une respiration

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« La philosophie est à la mode depuis une vingtaine d’années. S’éloignant de ce que les modèles scolaires et universitaires pouvaient représenter de rébarbatif, elle a su se réinventer, dans les cafés, sur les étals de libraire, mais aussi dans les établissements scolaires, au collège, en élémentaire et même à l’école maternelle.

Pour accompagner ce renouveau de la philosophie, de nouvelles pratiques sont nées, basées sur la discussion dirigée, sur le partage de pensée autour de thèmes choisis.

Il faut sans doute rechercher les raisons de ce renouveau philosophique du côté de la recherche de sens dans une période troublée. La philosophie refait en effet surface partout où le sens de la vie commune, du vivre ensemble et de nos institutions pose problème.

Il y a une soif et une recherche, non seulement de théorisation, mais surtout de nouvelles raisons et de motifs pour agir, au moment où notre société semble bien en panne pour nous proposer projets et avenirs.

Dans le secteur social et éducatif, la philosophie n’a jamais été complètement absente. On la retrouvait, que ce soit dans les formations d’enseignants ou de travailleurs sociaux, du côté d’une philosophie de l’éducation, souvent confondue avec une histoire des idées.

Plus récemment, c’est du côté de la déontologie et de l’éthique qu’une véritable commande sociale s’est développée, favorisant une nouvelle activité réflexive et éditoriale en direction des acteurs sociaux et éducatifs.

Mais pour autant, qu’il s’agisse d’ouvrages d’initiation ou d’apports de notions de philosophie de l’éducation, de textes sur l’éthique, la déontologie ou des très nombreux essais « philosophiques » sur l’évolution du social ou de l’éducation, la conception de la philosophie qui en ressort reste une conception dominante et descendante.

On souhaite apporter à l’acteur social et éducatif des repères, des notions, des savoirs dont il est supposé ignorant et dont il n’est pas invité à être l’auteur.

Si la recherche de sens des actions que nous menons, et qui nous mène à la philosophie, part de besoins réels et sincères, celle-ci s’épuise quand elle rencontre une pensée qui part des notions pour aller vers l’action et non l’inverse.

L’action sociale et éducative a besoin de philosophie, mais pas de n’importe laquelle ; elle a besoin de la sienne, de celle qui naît de sa relation avec la pratique, avec la matière de notre travail ; celle qui naît de la rencontre, de la prise de conscience de nos possibles et de nos entraves.

La philosophie sociale n’est pas une pensée nouvelle : elle était déjà revendiquée par un auteur allemand de la fin du XIXe siècle, Paul Natorp, disciple de Kant qui souhaitait définir une philosophie propre à penser et soutenir les questions d’auto-organisation, de coopérative, de l’effacement de l’autorité et de l’Etat et de l’auto-éducation.

Pour résister au découragement et à l’usure

Nous avons besoin d’une telle philosophie sociale pour être en mesure de penser à la fois les influences politiques, économiques, mais aussi idéologiques que subit sans arrêt notre secteur d’activité. Nous avons besoin d’une philosophie pour résister aux modes, aux discours, mais aussi au lent et profond découragement et à l’usure face à toutes les difficultés et aux obstacles que l’entreprise sociale rencontre.

La philosophie (sociale) peut ainsi être une respiration pour l’acteur éducatif ; elle est peut-être aussi une condition de sa survie quand il s’agit de s’orienter dans une période de troubles et de confusions.

Une telle philosophie ne peut être déconnectée de la pratique ; elle doit être l’œuvre de ses acteurs et elle doit rendre compte du caractère inouï et inédit des enjeux que nous rencontrons chaque jour.

Il est courant d’inviter les travailleurs sociaux et éducatifs à écrire et témoigner de leur pratique. Il est beaucoup plus ambitieux et bien plus fructueux de les inviter à la penser dans sa globalité, dans ses présupposés et dans ses effets. Qu’on ne vienne pas dire qu’un tel chantier est réservé à une élite. Il est probable, à l’inverse, que c’est depuis la marge, l’« en dehors des institutions » et des cénacles, qu’une pensée nouvelle, collective et vivante puisse jaillir. »

Contact : laurent.ott@orange.fr

Notes

(1) Auteur de Philosophie sociale – Ed. Chronique sociale, 2016 – Voir ASH n° 2958 du 29-04-16, p. 35.

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