Quelques jours après le recours par le gouvernement au « 49.3 » pour faire adopter, le 12 mai, en première lecture à l’Assemblée nationale, le projet de loi « travail », l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire (UDES) est revenue sur ses attentes. Ou plutôt sur une « forme de déception », notamment sur le volet dialogue social du texte, a expliqué Hugues Vidor, président de l’organisation multiprofessionnelle, au cours d’une rencontre organisée le 19 mai par l’Association des journalistes de l’information sociale.
L’organisation d’employeurs, estimant globalement que le projet de loi est « fait pour les grandes entreprises », s’inquiète des effets qu’aurait la primauté des accords d’entreprise sur les accords de branche en matière de temps de travail. Dans le secteur de l’économie sociale et solidaire, qui compte une majorité de petits employeurs, « les conventions collectives de branche constituent l’alpha et l’oméga des relations d’emploi », a souligné Hugues Vidor. L’UDES redoute que les accords locaux (qui devraient être désormais conclus par des syndicats rassemblant 50 % des voix des salariés aux élections professionnelles) se multiplient et entraînent une baisse du coût du travail. L’effet pourrait, selon elle, être particulièrement désastreux dans des secteurs « sous contrainte financière », dans lesquels employeurs et syndicats seraient « amenés à proposer des solutions “moins-disantes”, entraînant une moindre qualité des interventions et des disparités locales ». Dans l’état actuel du texte, l’articulation des accords d’entreprise avec les accords de branche a disparu et « on abandonne le rôle de régulation économique de la branche », ajoute Hugues Vidor, rappelant que les accords dans les conventions collectives de l’aide à domicile et du secteur sanitaire, social et médico-social sont opposables. Dans le contexte budgétaire actuel, les conseils départementaux « vont favoriser les structures qui ont un coût du travail inférieur, et il y aura un effet domino pour l’ensemble du secteur ». Néanmoins favorable à des dispositions accordant plus de « souplesse et de sécurité » aux employeurs, l’UDES avait en revanche soutenu la mesure, finalement retirée du texte, facilitant la mise en œuvre du forfait jours dans les petites entreprises. « Il y a peu de négociations de branches sur le sujet », argue Hugues Vidor. L’UDES était également favorable au plafonnement des indemnités prud’homales, l’une des mesures qui ont entraîné la mobilisation contre le texte. « Dans un intérêt prédictif », souligne son président, évoquant des cas d’entreprises en difficulté par manque d’anticipation des sommes à débourser.
Autre inquiétude de l’organisation : la rationalisation des branches professionnelles, dont le nombre devrait passer de 700 à 200 selon le ministère. « Les critères ne peuvent pas être seulement quantitatifs. Ce qui importe, c’est la qualité du dialogue social dans les branches », alerte-t-il, évoquant par exemple celle des missions locales. Deux branches sur les 14 que compte l’UDES – celles de régies de quartier et des foyers, résidences sociales et services pour jeunes – seraient néanmoins susceptibles de se rapprocher. Au vu de l’enjeu pour le secteur, impossible, pour l’organisation multiprofessionnelle représentative de l’ESS, de ne pas siéger au sein de la commission nationale de la négociation collective. Ce qui devrait être le cas après le débat parlementaire sur la loi « travail ». Myriam El Khomri avait aussi annoncé, en octobre 2015, l’intégration de l’UDES dans le Haut Conseil du dialogue social et le Conseil supérieur de la prud’homie. L’union attend « pour le mois de mai » les textes portant nomination de ses représentants dans ces instances, comme au Conseil d’orientation des conditions de travail. « Notre statut multiprofessionnel doit fonctionner à plein régime », défend le président de l’UDES, qui, au-delà de sa représentation dans les instances consultatives du dialogue social, souhaite ne plus être simplement consultée sur les accords nationaux interprofessionnels (ANI). Pour que ces derniers tiennent compte des spécificités de l’ESS, qui représente 10 % des emplois, elle souhaite désormais être autour de la table. L’organisation a donc demandé à avoir un représentant lors des négociations, et à être partie prenante du processus de transcription des ANI dans la législation.
Pour renforcer son statut multiprofessionnel, l’Union des employeurs de l’économie sociale et solidaire, qui rassemble aujourd’hui 25 syndicats et groupements d’employeurs (plus de un million de salariés, soit un salarié de l’ESS sur deux), entend encore s’élargir. Dans son viseur : l’adhésion de la FEHAP (Fédération des établissements hospitaliers et d’aide à la personne privés à but non lucratif), qui représente 220 000 salariés et est le seul membre de l’Unifed (Union des fédérations et syndicats nationaux d’employeurs sans but lucratif du secteur sanitaire, médico-social et social) à ne pas encore avoir rejoint l’organisation multiprofessionnelle. La FEHAP avait de son côté annoncé son souhait d’en faire partie, mais à condition que le poids économique du champ sanitaire, social et médico-social soit davantage reconnu. Elle souhaiterait que le collège représentant ce champ dispose de la moitié des voix en assemblée générale. Ce qui n’est pour l’heure pas envisagé, selon le président de l’UDES. « Nous sommes en pourparlers. La FEHAP aura toute sa place, mais dans les conditions des statuts actuels », précise Hugues Vidor, qui cependant n’exclut pas des modifications statutaires à plus long terme, en fonction des nouveaux adhérents et de la recomposition de l’union.