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Projets d’avenir

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A Noyon, dans l’Oise, un Sessad pro accompagne des jeunes en situation de handicap intellectuel vers le monde du travail et des projets de vie autonome. Objectif : mieux préparer ces jeunes à entrer dans la vie adulte.

Son trousseau de clés à la main, Michel D. ouvre les portes qui donnent accès aux locaux techniques du lycée Mireille-Grenet, à Compiègne (Oise). Pantalon kaki recouvert de traces de peinture, le jeune homme presse le pas pour prendre ses affaires de travail avant de rejoindre ses collègues, qui rénovent un appartement de fonction quelques étages au-dessus. « On croise les doigts, mais normalement, c’est champagne cette année », lui lance Luc Lemaire, éducateur spécialisé au Sessad pro de Noyon(1). Michel D. est un peu un miraculé.

Il y a quatre ans à peine, ce jeune de 20 ans en situation de handicap intellectuel végétait chez ses parents, seul et sans aucun projet. En rupture avec l’école et oublié par le système scolaire, il est resté ainsi plus de huit mois à l’écart du monde avant que les éducateurs du Sessad pro lui tendent la main. Sous l’œil attentif de son tuteur, Michel colmate des fissures sur un des murs de l’appartement. « Avec le Sessad pro, j’ai pu retourner à l’école et faire des stages. Au début, c’était plutôt paysagiste qui m’intéressait, et puis j’ai découvert la peinture qui me plaît bien. A partir du moment où je suis entré au Sessad pro, Luc, mon référent, m’a suivi tout le temps. Mais avant, j’avais fait deux stages et ça s’était mal passé. L’employeur me laissait de côté et l’école ne passait jamais. » Actuellement en contrat d’apprentissage, Michel va passer en juin son CAP de peintre applicateur de revêtements et parle déjà de prendre un appartement avec sa copine.

Comme Michel, 15 autres jeunes âgés de 14 à 20 ans sont aujourd’hui accompagnés par l’équipe du Sessad pro de Noyon. Créé en 2008, ce service médico-social rattaché au centre hospitalier de Compiègne et composé d’un cadre socio-éducatif, de deux éducateurs spécialisés, d’une psychologue et d’une secrétaire aide ces jeunes en situation de handicap intellectuel à se construire un avenir à travers un projet professionnel… et à imaginer tout simplement ce que sera leur vie d’adulte. Ils sont orientés vers le Sessad pro par la MDPH (maison départementale des personnes handicapées) de l’Oise. Le service reçoit une notification, puis une première rencontre est organisée avec chaque jeune et sa famille. Des entretiens d’admission ont ensuite lieu.

Jeter des passerelles entre plusieurs mondes

L’idée d’un tel service remonte à la fin des années 2000, lorsque le directeur de l’IMPro (institut médico-professionnel) public de Ribécourt cherche une solution pour intégrer, dans le sillage de la loi de février 2005(2), les jeunes présentant un handicap intellectuel dans le milieu ordinaire. « On s’est rapidement rendu compte que les dispositifs pour la scolarisation des élèves en situation de handicap ne proposaient aucune solution professionnelle aux jeunes lorsqu’ils sortaient. Et l’on se retrouvait souvent face à des parents qui étaient complètement perdus », se souvient Virginie Papaux, éducatrice spécialisée au Sessad pro. L’équipe va alors entamer un minutieux et patient travail pour jeter des passerelles entre les mondes de l’Education nationale et du travail, pour élaborer avec les jeunes et leur famille des projets professionnels les plus adaptés et pertinents possible. Quitte à accumuler les kilomètres pour se rendre dans les établissements scolaires, entreprises, lieux de stages et autres centres de formation de la région.

En cette fin de matinée, les deux éducateurs sont venus voir quelques-uns de leurs protégés intégrés dans une ULIS (unité localisée pour l’inclusion scolaire) du lycée professionnel Jean-Paul-II, à Compiègne. Virginie Papaux examine rapidement le planning des jours à venir avec Sylvie P. : « Tu m’appelles pour me dire s’il y a un rendez-vous pour le code de la route. » La jeune fille de 18 ans termine son CAP d’agent polyvalent de restauration et passe désormais la majeure partie de son temps scolaire dans sa classe de référence. Après plusieurs stages, ses compétences en matière de cuisine ont été repérées par son éducatrice. Il lui a cependant fallu faire des progrès à l’oral pour présenter ses devoirs devant la classe ou pour passer des commandes par téléphone lors d’un stage… Des difficultés qui semblent désormais bien loin, tant la jeune fille semble à l’aise dans la conversation. En juin, plusieurs propositions d’embauche l’attendent déjà dans des maisons de retraite et des hôpitaux de la région. Pour l’instant, il ne s’agit encore que de remplacements pendant les vacances, mais Sylvie espère bien que ces premiers pas dans le monde du travail déboucheront sur un contrat plus pérenne. « Pour nous, le Sessad pro est une vraie béquille, reconnaît Ingrid Gay, enseignante coordinatrice ULIS au sein du lycée professionnel. Ils ont déjà tout un réseau avec des perspectives de stages ou des contrats d’apprentissage pour les jeunes. Et surtout, l’équipe suit les jeunes dans ce processus d’intégration professionnelle. Elle prépare leur entrée dans un stage, aménage si nécessaire leur poste de travail et passe ici toutes les semaines pour faire le point avec les élèves. »

Un accompagnement « en immersion »

Au départ, pourtant, ce rapprochement avec l’Education nationale n’a pas toujours été simple, se rappellent les deux éducateurs spécialisés, qui ont dû batailler ferme auprès de certains établissements pour faire comprendre tout l’intérêt de leur intervention en faveur de l’intégration professionnelle et sociale de ces jeunes. Il a notamment fallu expliquer que l’éducation spécialisée ne venait pas envahir le « territoire » de l’Education nationale. Avec un système comme l’alternance, a martelé l’équipe du Sessad, il est possible de développer une approche complémentaire, les uns analysant les manques des jeunes dans la sphère professionnelle et les autres reprenant ces difficultés au niveau de leur scolarité. « En dehors du fait que nous avons senti que l’alternance permettait aux enseignants de souffler un peu, dans la mesure où ils se sentaient parfois bloqués avec les jeunes qui restaient en classe, ce système nous a permis d’aller vérifier leurs compétences dans le monde du travail et de ramener tout ça en classe pour qu’ils le retravaillent », note Luc Lemaire. Ainsi, l’équipe a pu constater à l’occasion d’un stage de boulangerie qu’un jeune avait des lacunes en calcul et ne connaissait pas suffisamment les unités de mesure pour pouvoir peser les produits. « On a alors fait part de ces observations à ses enseignants et le professeur de mathématiques a revu tout ça avec le jeune, poursuit l’éducateur. On avance comme ça, pas à pas. »

Evidemment, il a fallu aller prospecter les employeurs potentiels et effectuer un travail d’explication et de sensibilisation auprès des entreprises. Un travail qui peut prendre des mois avant qu’une entreprise de la région soit convaincue de l’intérêt de prendre un jeune en stage et, pourquoi pas, de lui proposer par la suite un contrat de travail. « Il faut que les entreprises soient véritablement partenaires du projet. Nous ne les poussons pas à prendre un jeune sous prétexte qu’il est handicapé », précise Luc Lemaire. Compétences, comportement des jeunes à l’égard de la hiérarchie, intégration à une équipe, capacité à respecter des horaires… Les périodes de stages sont scrutées à la loupe par les éducateurs afin de vérifier sur le terrain avec le jeune si, oui ou non, le projet professionnel tient la route. Dans le coffre de leur voiture, les deux éducateurs spécialisés ont d’ailleurs toujours des blouses, des bleus de travail et des sabots de sécurité pour pouvoir être aux côtés des jeunes en entreprise. Ils aiment à rappeler qu’ils font « partie du package » et qu’il n’est pas question de déroger à ce mode de fonctionnement « en immersion ». « Dans l’entreprise, nous faisons le lien avec les tuteurs des jeunes, souligne Luc Lemaire. Certains d’entre eux nous disent parfois qu’ils ne savent pas comment parler à un jeune qui a un handicap, qu’ils n’osent pas toujours lui donner des ordres ou lui faire une réflexion quand quelque chose ne va pas. Nous les rassurons et, en cas de problème, nous revenons le lendemain. »

Un salarié comme les autres

Virginie Papaux gare sa voiture devant une grande enseigne de vente de textile et de bazar de la zone commerciale de Compiègne. Elle a rendez-vous avec Céline L. Accompagnée depuis près de trois ans par l’équipe du Sessad, la jeune fille effectue son dernier stage dans le cadre de son CAP de vendeuse. Tout en déballant des châles dans l’arrière-boutique, Céline montre des signes de nervosité avant le bilan qu’elle doit passer en fin d’après-midi avec un de ses professeurs. « Vas-y, je suis cliente et tu me détailles tous les avantages de la carte de fidélité du magasin… Et ne t’inquiète pas, il ne va pas chercher à te piéger. Tu as rempli tous les objectifs du stage. » Sur un ton bienveillant, l’éducatrice spécialisée fait répéter la jeune fille. Céline dispose les pièces de tissu sur des cintres et raconte le chemin parcouru depuis son arrivée au Sessad pro, ses angoisses qui l’empêchaient, il y a quelques années, de faire un stage toute seule ou son manque de discipline et de concentration qui perturbaient son travail en classe. Elle dit aimer la vente, échanger avec les clients, les renseigner et aimerait décrocher rapidement un travail dans ce domaine pour pouvoir quitter la maison familiale et prendre un logement à elle. La directrice du magasin, quant à elle, ne tarit pas d’éloges sur le travail réalisé par l’équipe du Sessad pro et se dit prête à prendre Céline pour un remplacement en période de vacances. Sur du long terme, en revanche, c’est une autre histoire. La conjoncture n’est pas bonne, soupire-t-elle…

Ce passage du statut de stagiaire à celui de salarié, par le biais de contrats d’apprentissage, d’accompagnement dans l’emploi ou encore de contrats à temps partiel, est difficile à négocier, concèdent les deux éducateurs spécialisés. Mais il est aussi très motivant du fait des enjeux, s’empresse d’ajouter Virginie Papaux. En effet, lorsqu’il est embauché, le jeune en situation de handicap intellectuel devient aux yeux de ses collègues de travail un salarié « comme les autres », et l’équipe du Sessad doit alors redoubler d’attention pour repérer les tensions et conflits qui peuvent alors intervenir au sein de l’entreprise. « Si un jeune n’est pas aussi productif que le reste de l’équipe, on peut rapidement rencontrer des difficultés avec des salariés qui ne comprennent pas que l’on mette en place pour lui des aménagements spécifiques, qu’il puisse se voir accorder une heure ou deux pour aller voir le psychologue, etc. », explique la professionnelle. Les éducateurs organisent alors des temps de rencontre avec les salariés, le tuteur du jeune et le patron de l’entreprise pour voir où ça coince, expliquer le système des compensations lorsqu’il y a une situation de handicap, revenir sur les capacités et les limites du jeune, et montrer que celui-ci a toute sa place dans l’entreprise.

Parallèlement à cet accompagnement vers le monde du travail, l’équipe propose aux jeunes des sorties et des activités tout au long de l’année pour rompre l’isolement dans lequel ils se trouvent souvent. Elle les aide également à devenir plus autonomes au quotidien, en travaillant avec eux des questions comme les déplacements, la gestion d’un budget ou le logement. Beaucoup de jeunes ont ainsi appris à prendre seuls les transports en commun, et certains d’entre eux se sont décidés à passer leur permis automobile ou leur brevet pour conduire un petit scooter. Les éducateurs peuvent en outre s’appuyer sur un appartement relais pour aider ceux qui le désirent à préparer leur départ du domicile parental.

Reste que ce passage dans le monde des adultes n’est pas toujours facile à accepter pour les familles. Si les diplômes obtenus par certains et le fait de décrocher un travail en milieu ordinaire font souvent la fierté des parents, ce cheminement vers l’autonomie et les perspectives nouvelles qu’il ouvre peuvent parfois perturber des représentations et des modes de fonctionnement familiaux bien établis. Ils peuvent remettre en question, souligne l’équipe du Sessad, le rôle que tenaient jusque-là les parents dans la vie de leur enfant. « Récemment, des parents nous ont dit : “Ne faites pas grandir trop vite notre enfant” », se rappelle en souriant Luc Lemaire. Des inquiétudes auxquelles Nelly Lelong, la psychologue, tente d’apporter des réponses lors de ses entretiens avec les familles. « Les parents qui arrivent ici sont souvent dans une grande solitude et témoignent de la difficulté qu’ils éprouvent à faire le deuil du handicap de leur enfant. C’est parfois très compliqué pour des parents qui se sont beaucoup investis jusque-là dans la vie de leur enfant handicapé de lâcher un peu les choses. »

Une nouvelle donne pour les familles

Une question particulièrement sensible chez les mères, qui ont parfois appris à exister au travers de leur enfant handicapé, souligne l’équipe. « En amenant l’enfant à être davantage autonome, nous dépossédons en quelque sorte la mère de beaucoup de choses, observe Virginie Papaux. On essaie donc de travailler là-dessus pour qu’elle vive mieux ce changement et pour permettre aussi à l’enfant de ne pas être dans un conflit de loyauté par rapport à elle. » L’accompagnement des familles a ainsi permis à certaines mères de retrouver une vie personnelle et leur place de femme au sein du couple, ou de reprendre un travail après l’insertion professionnelle de leur enfant. Les familles sont en outre pleinement associées à l’élaboration du projet professionnel des jeunes, afin de laisser aux uns et aux autres le soin de constater par eux-mêmes les difficultés, voire l’impossibilité d’aller vers certains métiers.

L’air concentré, Cyril B. passe le jet sur une voiture stationnée sur le parking. Luc Lemaire est venu faire un point avec ce jeune garçon actuellement en contrat d’apprentissage dans un garage de Pont-Sainte-Maxence. Si les patrons du garage reconnaissent les progrès réalisés par le jeune homme au cours des derniers mois, ils s’inquiètent néanmoins de sa baisse de motivation et s’interrogent sur sa capacité à aller plus loin dans l’apprentissage de ce métier. Il est temps, estime son éducateur référent, de revoir avec lui son projet professionnel et de solliciter l’aide de la psychologue pour travailler sur ses difficultés. « Nous avons, bien sûr, nos hypothèses de travail pour chaque projet professionnel, mais nous laissons toujours le jeune et sa famille proposer leurs propres objectifs et revenir progressivement d’eux-mêmes vers ces hypothèses de départ dès lors qu’ils réalisent que la barre était trop haute », note Luc Lemaire.

Une confrontation incontournable à la réalité, mais qui implique des renoncements souvent difficiles à vivre. Comme ces parents contraints de renoncer au projet dont ils rêvaient pour leur enfant, la désillusion de cette jeune fille qui a dû abandonner son ambition de devenir coiffeuse à cause de son handicap physique, ou encore la déception de ce jeune obligé de reconnaître, après plusieurs stages en plomberie, son manque de compétences dans ce domaine et ses difficultés à se lever tôt et à prendre seul les transports en commun. Parfois, il faut aussi préparer les parents à accepter l’idée qu’une orientation de leur enfant vers une activité dans un milieu protégé est finalement préférable à son intégration professionnelle en milieu ordinaire. Depuis la création du Sessad pro, près de la moitié des jeunes a pu aller vers le milieu ordinaire, l’autre moitié optant pour le milieu protégé. « Au fil des stages et des évaluations, les parents arrivent à faire le deuil du projet initial en milieu ordinaire et comprennent que leur enfant pourra tout à fait s’épanouir en milieu protégé », observe Luc Lemaire. Il faut faire attention à ne pas sacrifier le bien-être de ces jeunes en situation de handicap sur l’autel du travail, confirme pour sa part Virginie Papaux : « A quoi cela sert d’avoir un jeune qui n’a pas de problème dans son travail, mais qui n’a aucune relation avec ses collègues, que personne n’appelle le soir ou n’invite à un barbecue le week-end… »

Notes

(1) Sessad pro de Noyon : 3, place Georges-Pompidou – 60400 Noyon – Tél. 03 44 09 10 10.

(2) Loi n° 2005-102 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées – Voir ASH n° 2394 du 11-02-05, p. 15.

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