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L’utilité sociale, un concept en chantier permanent

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La notion d’« utilité sociale » a conservé les contours flous qu’elle avait lors de son émergence pour des raisons fiscales dans les années 1970. Les tentatives de créer un label ont échoué. De quoi réjouir ceux qui pensent qu’elle doit se définir au cas par cas.

Le concept « utilité sociale » a émergé en 1973 par le biais d’un arrêt du Conseil d’Etat en matière fiscale(1). Si le terme n’apparaît pas en tant que tel, la Haute Juridiction prévoit à l’époque une nouvelle condition d’exonération fiscale : un coût nettement inférieur au marché ou l’absence de service équivalent. La notion se développe dans les années 1980 pour justifier certains avantages fiscaux accordés aux associations en échange des services rendus à la collectivité. Elle s’installe véritablement dans les années 1990 lorsque le Conseil national de la vie associative définit des critères d’utilité sociale, réduits à cinq en 1996 : la primauté du projet sur l’activité, la non-lucrativité et la gestion désintéressée, l’apport social des associations, le fonctionnement démocratique et l’existence d’agréments. Les instructions fiscales de 1998 et 1999 mentionnent l’utilité sociale dans les critères d’exonération fiscale pour les associations développant des activités économiques. Quatre éléments sont appréciés, dont le produit et le prix : l’activité doit répondre à un besoin peu ou mal pris en considération par le marché et être réalisée « au profit de personnes justifiant l’octroi d’avantages particuliers au vu de leur situation économique et sociale ».

A la fin des années 1990, la notion apparaît dans quelques lois (sur les emplois-jeunes en 1997, relative à la lutte contre les exclusions en 1998, rénovant l’action sociale et médico-sociale en 2002…), mais aucune définition précise n’en est donnée. Elle fait néanmoins l’objet de plusieurs recherches et expérimentations. En 2000, le rapport « Lipietz » sur le tiers secteur(2) met en évidence trois dimensions de l’utilité sociale : écologique, sociale et sociétale. Trois ans plus tard, un rapport coordonné par l’économiste Jean Gadrey(3) propose une synthèse des travaux sur la question et donne une définition de l’utilité sociale qui reste une référence : « Est d’utilité sociale l’activité d’une organisation de l’économie sociale qui a pour résultat constatable et, en général, pour objectif explicite, au-delà d’autres objectifs éventuels de production de biens et de services destinés à des usagers individuels, de contribuer à la cohésion sociale (notamment par la réduction des inégalités), à la solidarité (nationale, internationale ou locale : le lien social de proximité), à la sociabilité et à l’amélioration des conditions collectives du développement humain durable (dont font partie l’éducation, la santé, l’environnement, et la démocratie). »

Cette définition sera en partie reprise dans la loi relative à l’économie sociale et solidaire (ESS) du 31 juillet 2014(4). Son article 2 précise que les entreprises poursuivant une utilité sociale doivent satisfaire « à titre principal » à une des trois conditions suivantes : apporter un soutien à des personnes en situation de fragilité, contribuer à la lutte contre les exclusions et les inégalités, concourir au développement durable ou à la solidarité internationale. Mais cette disposition vaut uniquement pour les sociétés commerciales qui veulent être rattachées au champ de l’ESS. « Les associations qui font de facto partie de ce secteur se positionnent donc très peu par rapport à cette définition », explique Hélène Duclos, consultante et enseignante en évaluation de l’utilité sociale.

Si la question d’un label a été plusieurs fois évoquée pour stabiliser la notion, la piste semble aujourd’hui abandonnée. C’est une notion indéterminée qui doit rester en chantier, considèrent les spécialistes, qui insistent sur le fait qu’elle est le fruit d’une construction avec l’ensemble des parties prenantes de l’évaluation sans préjuger du résultat. « Il n’est pas possible de la définir dans l’absolu dans la mesure où elle dépend d’un contexte géographique et temporel », explique Benoît Mounier, chargé de mission à l’AVISE. Et de citer l’exemple d’une boulangerie : « Si on peut comprendre que la puissance publique contribue à l’installation d’une boulangerie dans un village très isolé où elle aura une utilité sociale importante, ce n’est pas le cas dans une grande ville. Idem sur le plan temporel : ce qui était utile socialement à un moment donné peut ne plus l’être à un autre moment. » L’utilité sociale dépend également des valeurs des personnes qui la mesurent, poursuit Benoît Mounier, évoquant le cas du préservatif : « En fonction de ses convictions, il peut être perçu comme un moyen de contraception positif ou, au contraire, être considéré comme néfaste. »

Notes

(1) Cette chronologie reprend des éléments publiés dans « Evaluer l’utilité sociale de son activité – Conduire une démarche d’auto-évaluation » – Les cahiers de l’AVISE n° 5, 2007 – Disponible sur www.avise.org.

(2) Le tiers secteur. L’économie sociale et solidaire : pourquoi et comment ? – Ed. La Découverte – La Documentation française, 2001 – Voir aussi ASH n° 2191 du 1-12-00, p. 8.

(3) L’utilité sociale des organisations de l’économie sociale et solidaire – Rapport de synthèse pour la DIIESES et la MIRE – Septembre 2003.

(4) Voir ASH n° 2887 du 12-12-14, p. 51.

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