Ce sont deux discours aux tonalités très différentes, voire franchement divergentes : le 2 mai, Ségolène Neuville et Axelle Lemaire, secrétaires d’Etat chargées respectivement des personnes handicapées et du numérique, se félicitaient des « nouvelles avancées pour l’inclusion des personnes en situation de handicap » apportées lors de l’examen au Sénat du projet de loi pour une République numérique. Deux jours plus tard, au lendemain de l’adoption du projet de loi par les sénateurs(1), le Collectif pour une France accessible déplorait, au contraire, « un texte qui exclut de la société des millions de citoyens ».
Les deux ministres insistent notamment sur l’article 43 du projet de loi, qui va permettre de répondre « aux besoins des personnes sourdes et malentendantes, sourdaveugles et aphasiques, qu’ils relèvent de communications interpersonnelles ou encore de communications vers les plateformes d’accueil téléphonique des services publics et des services clients des entreprises ». Ses dipositions prévoient que ces dernières « seront accessibles en langue des signes française, en langage parlé complété et en transcription texte ». Mais, pour le Collectif pour une France accessible, « ce projet de loi amoindrit l’obligation d’accessibilité numérique telle qu’elle était prévue dans la loi handicap de 2005 ».
Les associations ont en particulier dans le viseur l’article 44, relatif à l’accès des personnes handicapées aux sites Internet publics : celui-ci, « en dépit de quelques évolutions limitées, ne répond pas aux besoins des millions de citoyens en situation de handicap ou des personnes âgées qui ne peuvent pas accéder aux services et outils numériques comme tout un chacun », écrit le collectif, dénonçant un article permettant de « contourner l’obligation d’accessibilité ». De fait, « il ne sera pas obligatoire pour ces sites de se rendre accessibles mais uniquement de s’engager dans une programmation de mise en accessibilité ». Et en cas de non-respect, les sanctions financières prévues « sont trop faibles et n’auront pas de caractère dissuasif ».
Ce risque de contournement de l’obligation d’accessibilité avait déjà été soulevé en janvier dernier par le Comité d’entente des associations représentatives de personnes handicapées et de parents d’enfants handicapés, avant l’examen du projet de loi à l’Assemblée nationale(2). En effet, un décret du 14 mai 2009, pris en application de la loi « handicap » du 11 février 2005(3), contraint les services de communication publique en ligne de l’Etat, des collectivités territoriales et des établissements publics qui en dépendent à respecter des règles d’accessibilité définies dans un référentiel. Or le projet de loi prévoit d’obliger les sites des administrations publiques « non pas à se rendre accessibles, mais à préciser leur niveau de conformité aux règles d’accessibilité… pour éviter des sanctions pécuniaires », avait relevé le Comité d’entente, en réclamant au gouvernement de renforcer les obligations d’accessibilité au numérique. Un message qui n’a visiblement pas été entendu puisque le texte adopté par les sénateurs est, sur ce point, presque identique à la version initiale. Ce qui conduit le Collectif pour une France accessible à déclarer que ce projet de loi ne permettra pas de « réduire la fracture numérique dont sont notamment victimes les personnes en situation de handicap et les personnes âgées, mais [va plutôt] la creuser ». Ses membres vont donc « interpeller les parlementaires pour faire saisir le Conseil constitutionnel pour rupture d’égalité dès le vote définitif de la loi ».
(1) Le projet de loi a été adopté par l’Assemblée nationale en première lecture le 26 janvier 2016. A la suite du vote du Sénat, il va maintenant faire l’objet d’une commission mixte paritaire.